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Critique de tamara29


Après « Cry father », j'avais envie de découvrir le dernier roman de Benjamin Whitmer « Les dynamiteurs ». Je remercie Babelio et les Editions Gallmeister de m'avoir permis de satisfaire mes envies.
1895, dans la ville de Denver, Colorado, pauvreté, violence, drogue, prostitution, corruption, alcool, tables de jeux (faro) se côtoient et s'entremêlent…
Cette année-là, Sam, le narrateur a 14 ans et vit avec une bande de jeunes orphelins dans une usine désaffectée. Cora, la plus âgée, protége les petits, bec et ongle, comme une mère, contre les adultes –notamment les clochards, qui cherchaient à se récupérer le lieu. C'est aussi une lutte presque philosophique, un désir de les protéger, de les empêcher d'entrer dans le monde des adultes, pervertis, dépravés, ces adultes qu'ils appelaient « les crânes de noeuds ».
Lors d'une des attaques des clochards, ils vont être secourus par un géant impressionnant, muet, appelé « Goodnight », dont le visage est à moitié défiguré. On apprendra par la suite qu'il était dynamiteur et qu'il a été gravement blessé en posant de la dynamite pour ouvrir un coffre-fort avec son amie. Peu de temps après, Cole, propriétaire d'un bar clandestin et vieil ami de Goodnight, entre en scène. Comme Goodnight ne communique qu'à travers les mots griffonnés sur un carnet, Cole propose à Sam (l'un des seuls à savoir lire), un emploi pour faire l'interprète.
Contre l'avis de Cora qui ne veut pas qu'il côtoie les adultes, qui sait tous les risques et dangers à les fréquenter, Sam accepte en pensant à l'argent qui permettra de nourrir les enfants. Et même s'il est amoureux de la belle et dure à cuire Cora, il va passer outre ses recommandations, peut-être aussi pour lui montrer qu'il est capable de s'occuper des enfants et qu'elle peut compter sur lui. Il met un pas dans l'antre du mal et sera vite aspiré dans l'oeil du cyclone. Ce sera le début d'une plongée en enfer, faite de violence, de sang, de trainée de poudre et de morts. Un aller simple et sans retour.
Sam va peu à peu entrer dans le monde des adultes, à la fois fasciné et plein de défiance. Et nous assistons en même temps que lui à des luttes et combats de plus en plus violents et meurtriers qui balaient tout sur leur passage.
Les mots qu'emploient Sam pour nous raconter son histoire nous laissent presque sans illusion. le titre de chaque chapitre contient son prénom (« Sam et xxx »). Chaque titre marquant une étape de son apprentissage, de ses découvertes d'enfant dans le monde des adultes. Il va être le spectateur de ces hommes rongés par la haine, la douleur et les blessures, presque immunisées contre la pitié ou la compassion pour les autres. Ces titres résonnent un peu comme ceux d'une histoire pour enfants qu'on lirait le soir pour les endormir. Mais avec Cole et Goodnight, il n'y a pas de « Bonne nuit les petits », pas de gentil Gros Nounours en peluche, de Marchand de sable ni de naïves marionnettes. Les bagarres décrites sont brutales, crues et surtout en montent en crescendo. de quoi en faire des insomnies…
Et si parfois on sourit aux remarques et expressions fortes imagées de Sam et des personnages qui l'entourent, ce sourire se transforme rapidement en grimace d'effroi face à ce déchainement de violence. Et le titre de ce roman ne parle finalement que de ces adultes dynamiteurs des rêves et de l'innocence des enfants.
Même si je n'oubliais pas le contexte, la période dans laquelle se déroulait l'histoire, il m'a été parfois difficile de lire ces passages tant la violence était trash, les attaques exécutées froidement comme si elles étaient dans la normalité de la vie. J'imagine que le fait qu'un enfant soit témoin de toutes ces scènes de violence me rendait la lecture difficilement supportable. Difficile aussi de le voir grandir. Difficile peut-être parfois aussi de comprendre la psychologie et les comportements de chacun. J'espérais un peu plus de douceur et de tendresse, dans ce Denver sans foi ni loi, même de la part de Sam vis-à-vis de Goodnight désigné par tous comme monstrueux avec sa moitié de visage ravagé.
J'oubliais que l'âme humaine est plus complexe que cela, plus torturée et sombre. Ce n'est vraiment qu'en toute fin de roman que j'ai enfin compris (ou au moins, un peu mieux). Et je me suis dit que le visage de Goodnight, avec un des deux côtés abimé, était peut-être l'image de l'âme humaine. Et ce n'est qu'en écrivant ce petit billet que j'en prends toute la mesure. Et j'en suis à inventer des symboles et allégories là où il n'y en a pas (comme le choix du prénom Sam qui m'a fait penser à l'oncle…).
Lors des périodes d' «action», les phrases sont sèches, courtes. Telles des images instantanées de la scène implacable qui se déroule sous les yeux du jeune garçon et qu'il nous raconte.
Mais il y a aussi tous ces autres moments entre deux rixes où Sam pense à tout cela, où il a le coeur qui palpite pour Cora, où il nous parle de ces enfants attachants, avec chacun leurs singularités. Durant ces moments-là, Sam a encore ses yeux d'enfant et, nous, adultes, ça nous fait chavirer.
Ce deuxième roman que je lis de Whitmer me confirme qu'il est un des grands romanciers américains de ces dernières années. Whitmer sait raconter des histoires, nous dessiner des personnages profonds, nous plonger dans le coeur des ténèbres de l'Amérique, une période qui a bien y réfléchir n'est pas si ancienne que cela (il suffit d'allumer un peu les informations). Un roman western des plus sombres. Un conte amer pour adultes raconté par un enfant. Une histoire qui bouscule, nous triture les boyaux, nous malaxe le cerveau, et met à mal les quelques utopies qu'ils nous restent, à nous les plus grands. Je mentirai si je disais que j'en redemande tout de suite… Va falloir quand même que je retrouve un peu d'oxygène.
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