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Critique de Ingannmic


Lomark est un village comme tant d'autres, constitué pêle-mêle d'une rivière qui déborde l'hiver, d'une entreprise -les Bitumes Bethléem- qui fait vivre nombre de ses familles, d'un réseau de potins, et d'un coq figurant dans ses armoiries, emblème mis à toutes les sauces (cousu sur du linge, prenant la forme de pâtisseries, s'affichant sur la vaisselle…) par des concitoyens pour lesquels il concrétise la fierté collective d'un passé imaginaire. Il faut y vivre depuis plusieurs générations pour qu'on vous dise d'ici.
Joe Speedboot y déboule tel une météorite. En venant s'encastrer dans le salon des propriétaires des Bitumes susnommés, la voiture conduite par son père fait de lui à la fois un orphelin et une légende dès son arrivée dans la bourgade. Et son comportement ne fait qu'entretenir son aura de mystère, tout en suscitant la méfiance de ses nouveaux concitoyens, du moins celle des adultes, l'adolescent exerçant sur ses camarades une profonde fascination. Tout le monde ignore le véritable prénom de celui qui s'est choisi un patronyme en accord avec son énergique personnalité. Joe, c'est une force qui se libère, un inventif audacieux pour qui rien n'est impossible, doté d'une capacité de concentration hors normes. Fasciné par la mécanique et la beauté du mouvement, ignorant de la peur et des conventions, il occulte toute entrave à la réalisation de ses idées. Il fabrique ainsi des bombes dont les explosions alimentent sa réputation de voyou, et entreprend à 15 ans la construction d'un avion…

C'est du moins ainsi qu'il nous est présenté par Frans, le narrateur, avec une verve exprimant l'admiration qu'il éprouve pour ce garçon qui apporte à Lomark un vent de nouveauté et de fraîcheur. Il faut dire que lui-même est aux antipodes de la force motrice générée par son camarade : subissant les graves séquelles d'un coma prolongé, il est condamné à vivre en fauteuil roulant, avec son seul bras droit intact, des litres de bave coulant en permanence de sa bouche, et pour s'exprimer un vague grommellement spasmodiquement interrompu par des cris disgracieux dont il n'a aucune maîtrise.

Mais Frans a toute sa tête -et une tête bien faite-, et il bouge. A bord du fauteuil manoeuvré par son unique bras valide qui en développe une force extraordinaire, il est de tous les parages et toujours à l'affût, grimpant et dévalant par monts et par vaux, absorbant le monde "comme un python se taperait un porcelet". Rien ne lui échappe, ainsi que le prouve le journal dans lequel il détaille, jour après jour, les événements dont il est témoin ou auxquels il participe, y exprimant ses émotions d'adolescent, sa passion pour les samouraïs, ses premiers émois amoureux… L'amitié y occupe une place prédominante, autour d'un quatuor formé par Joe, Frans, Christof (fils du propriétaire de la maison dans le mur de laquelle le père de Joe a trouvé la mort) et du gentil et séduisant Engel.

On pourrait donc dire de "Joe Speedboot" qu'il s'agit d'un roman initiatique, mais je n'aime pas ce terme, que je trouve galvaudé et trop fourre-tout… ce n'est pas non plus un roman sur les contraintes liées au handicap, celui du narrateur passant presque pour accessoire tant il est étranger à tout auto-apitoiement, et déploie dans la relation de ses aventures et celles de ses camarades un humour et une énergie profondément réjouissants. Porté par une écriture qui traduit à merveille l'amour que porte le narrateur à la langue, le récit oscille entre truculence et envolées à dimension philosophique, et la tragédie, quand elle survient, se pare d'un sens de la dérision qui lui dénie toute gravité.

C'est drôle, enlevé, intelligent et touchant.

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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