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Critique de Belem


J'ai reçu ce petit livre, que j'ai choisi parce que le titre m'intriguait. Je ne savais pas qu'Oscar Wilde avait réfléchi (et écrit) sur le socialisme. Bon évidemment, être socialiste en 1891, c'est autre chose que (se dire) socialiste en 2013...
[Petit rappel pour le contexte, alors : les ouvriers luttent quasiment dans le monde entier pour la journée de travail de huit heures maximum. A Chicago, au cours d'une manifestation, le 1er mai 1886, deux ouvriers sont tués. Une émeute éclate quelques jours après, une bombe est lancée sur les policiers, qui en tue huit. Sept anarchistes sont arrêtés, condamnés à mort. La mobilisation pour leur libération devient vite internationale, et sera à l'origine de la journée internationale de lutte des travailleurs, chaque 1er mai.
George Bernard Shaw, le poète irlandais, mobilise les artistes britanniques, et Oscar Wilde y participe.]

Je pensais que ce pamphlet était lié au moins en partie à cet épisode, car sinon, pourquoi Wilde écrirait-il sur le socialisme ? Et bien non, je me trompais complètement, le combat de l'auteur est plus « subtil », et finalement bien plus profond, que cela.
En fait, les préoccupations sociales De Wilde sont liées à son combat pour la liberté des artistes, qu'il revendique à raison. En l'occurrence, il s'agit aussi de la liberté de faire ce qu'il veut, c'est-à-dire « de développer librement ce qui, en lui, est merveilleux ». C'est cela qu'il appelle le grand ou le nouvel individualisme. (qui, comme le mot socialisme, n'avait sans doute pas la même signification qu'aujourd'hui).

Dans la première moitié de son essai, Oscar Wilde dit pourquoi il est pour le socialisme. Une de ses préoccupations est d'éradiquer la pauvreté, ce qui, pour lui, en gros, ne consiste pas à donner de la « propriété privée » à ceux qui en sont dépourvus. Au contraire, seul le socialisme, c'est-à-dire une autre organisation sociale, basée sur la propriété collective, fera que plus un homme ne sera pauvre. C'est aussi pourquoi il déteste la charité, qui ne fait que perpétuer l'état de pauvreté, en occultant, et donc en retardant la solution socialiste.
Oscar Wilde pense que la propriété privée est la source d'un individualisme étroit, qui ne permet pas l'épanouissement des individus. Pour lui, l'avènement du socialisme (ou du communisme, son étape ultérieure), ouvrira la voie à un individualisme grand format, car la disparition de toute autorité permettra réellement à chacun de se réaliser pleinement, affranchi qu'il sera de l'État ou de la Religion.
En cela, Oscar Wilde est proche des conceptions de l'individualisme libertaire.

Dans la deuxième moitié du livre, il règle ses comptes avec les journalistes. (Il se trouve que son « portrait de Dorian Gray » s'est fait démolir dans de nombreux journaux). Alors, pendant 25 pages, Wilde explique comment et pourquoi les journalistes tyrannisent les artistes, (fouillant jusque dans leur vie privée, pour satisfaire la curiosité d'un public aliéné). Cette partie semble au premier abord ne plus avoir grand rapport avec le titre de l'essai... au premier abord seulement ! Car il existe, entre le communisme et l'art, une proposition philosophique semblable, dont Wilde effleure subrepticement, à travers ses réflexions personnelles, les subtilités. [explication : le règne du communisme, c'est la liberté. Marx y apporte une démarche scientifique : être communiste, pour lui, c'est d'abord tenter de saisir 'tels qu'ils sont' les processus sociaux qui entravent le développement harmonieux de la société et l'épanouissement des individus qui la composent. Conception matérialiste du monde, le socialisme se hisse, au stade communiste, à l'émancipation du monde matériel. Forgé dans la lutte des classes, il abolit les classes. Hissé au-dessus de l'économie, de la marchandise, de l'argent, il les annihile. Il supprime leur utilité. Il supprime aussi l'utilité de l'État. On passe du règne de l'utilité à celui de l'inutilité, comme on passe du règne de la nécessité à celui de la liberté. Or, l'émancipation des entraves (matérielles, morales, étatiques, religieuses, etc...), l'épanouissement, le partage de cette liberté avec les autres, la possibilité de l'inutile, sa transcendance créative, c'est précisément ce que l'art propose.]
Les idées De Wilde sur l'art ne sont donc pas seulement celles d'un esthète (toujours tiré à quatre épingles, avec foulard en soie, chapeau melon et bottes de cuir). Elles l'ont amené sur la voie de l'idée communiste, aussi bien que s'il avait été débardeur dans les mines de charbon du Pays de Galles. Il a compris – et nous aide à comprendre – beaucoup de ce qu'il en serait de l'âme humaine sous le socialisme.
Finalement, sa thèse est simple : l'avènement du socialisme est proche, cette nouvelle organisation sociale n'imposera aucune contrainte aux artistes, et, en éradiquant la pauvreté, elle permettra à un public plus cultivé, mieux éduqué, d'apprécier le travail artistique à sa juste valeur, sans conservatisme ni conformisme rassurant. [J'ajouterais même que : chacun aura le loisir d'être artiste !]
Alors, oui, Oscar Wilde est sans doute ce dandy qui « s'intéresse au communisme entre deux mondanités » (dixit Terry Eagleton). Cependant, son rêve utopique, vu sous le prisme de la liberté de l'artiste (même en complet chic, un verre de Brandy à la main), j'y adhère, car c'est, à mon humble avis, une manière lucide – paradoxalement – d'envisager une voie vers le Socialisme.
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