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Critique de irena_


Oscar Wilde. À l'évocation de son nom, ce sont d'abord des images qui surgissent. Un presque bel homme (il est massif), d'une élégance rare, les cheveux longs. Une photographie de lui vient à l'esprit, il est enveloppé dans une toge, il a une rose entre les mains. Sur une autre, c'est une canne - sans doute à pommeau d'argent. Les portraits de l'extravagant dandy sont connus. Les oeuvres aussi : «Le portrait de Dorian Gray» au premier chef, roman fantastique dans lequel la beauté d'un homme reste intacte alors que son portrait vieillit.
La beauté est un thème central dans l'oeuvre De Wilde. En quelque sorte, c'est elle qui causa sa perte, en la personne de Lord Alfred Douglas, dont le père courroucé par leur liaison précipita la déchéance de l'écrivain, qui mourut en France en 1900.

L'esthète est très connu du grand public pour son esprit, lequel lui fit écrire des choses comme «Il est tentant de définir l'homme comme un animal rationnel qui se met toujours en colère lorsqu'il est supposé agir en accord avec les préceptes de la raison», ou bien «Je réprouve les longues fiançailles. Elles permettent à chaque fiancé de connaître le caractère de l'autre avant le mariage, ce qui, à mon avis, n'est jamais judicieux.»

Maintenant, prenons ce Carnet de l'Herne intitulé «L'âme humaine sous le socialisme». Sans doute, il y a erreur, cela ne peut pas être Wilde l'auteur, c'est une farce spirituelle comme les affectionnait l'Irlandais. Absolument pas. Rappelons que Wilde était un homme de principes, notamment défendus lors des controverses nées à la parution du «Portrait de Dorian Gray». L'homme aux multiples paradoxes inventa donc un titre dans lequel cohabite le concept d' «âme», pas vraiment un concept matérialiste, avec celui de «socialisme»...

«L'âme humaine sous le socialisme» peut donc dérouter, pourtant, c'est du pur Oscar Wilde : l'écrit est généreux, idéaliste - en plus, il se termine sur une phrase magnifique : «Le nouvel Individualisme est le nouvel Hellénisme». «The Soul of Man under Socialism» a initialement trouvé place en 1891 dans la revue «The fortnightly Review» - pas n'importe laquelle des revues anglaises, une des plus prestigieuses, fondée par Anthony Trollope en 1865.

Dans cet essai, Wilde affirme des convictions utopiques dans la lignée des socialistes réformateurs comme Robert Owen et William Morris : la fin de la propriété privée, le droit à la liberté, au bonheur, à l'originalité, la nécessité d'un progrès techniques profitant aux travailleurs, etc.
Petites précisions : les socialistes réformateurs d'alors voulaient changer la société. Aujourd'hui, le terme de «réforme» s'entend dans un sens bien moins fort qu'autrefois !
Par ailleurs, lorsque j'emploie le terme utopique, je fais bien référence à l'utopie dans son sens de «plan imaginaire de gouvernement pour une société future idéale, qui réaliserait le bonheur de chacun», de «système de conceptions idéalistes des rapports entre l'homme et la société, qui s'oppose à la réalité présente et travaille à sa modification».


Ces précisions posées, revenons à l'essai : Wilde s'inscrit ainsi dans l'esprit socialiste de son temps, avec un très beau texte. D'abord révolté par les injustices criantes observées et raillant bonne conscience («recommander l'économie aux pauvres, c'est chose à la fois grotesque et insultante») et charité, prônant la désobéissance (aujourd'hui il ajouterait le qualificatif de «civile»), la fin de toute propriété privée, l'amour libre («quand disparaîtra la propriété privée, le mariage, sous sa forme actuelle, devra disparaître») il en vient rapidement également à parler d'art.
Car cet essai est aussi une nouvelle occasion pour Wilde de défendre ses positions esthétiques. On comprend bien que si Oscar Wilde promeut de telles positions anarchistes, s'élevant contre toute forme d'autorité ; c'est aussi que cela lui permet de rappeler que l'art doit être libre, l'artiste ne travailler sous aucune contrainte, notamment celle de plaire au peuple, «qui n'aime pas la Beauté», car «le public a toujours, et dans tous les siècles été mal éduqué». Wilde, dans la lignée d'Hegel, est définitif : il est en faveur de «l'art pour l'art».

Vous constatez que je ne résiste pas au plaisir de vous citer de nombreux passages de l'oeuvre : Wilde est aussi bon polémiste qu'il est excellent romancier, homme de théâtre ou critique. Et c'est pourquoi, pour vous engager à lire et relire cet essai, je vais encore vous le citer. «L'oeuvre d'art est faite pour s'imposer au spectateur ; le spectateur n'a point à s'imposer à l'oeuvre d'art.» Alors, laissez «L'âme humaine sous le socialisme» s'imposer à vous !
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