Citations sur L'épouse de bois (15)
Rentrer, pour Tat, ça voulait dire rentrer à Londres, tandis que pour Nigel, ça voulait dire rentrer à Los Angeles. Aucun des deux n'arrivait à concevoir qu'on puisse vouloir vivre ailleurs. Pour Maggie, l'idée même d'un chez-soi était dure à définir. "Tu as vraiment les pieds qui te démangent", lui disait toujours son grand-père. Elle avait vécu dans une demi-douzaine de pays, en entraînant dans son sillage amis, amants et possessions. Chez elle, c'étaient tous ces lieux à la fois, ou aucun. Elle ne savait pas trop ce que "chez elle" signifiait.
Le ciel était devenu d'un bleu profond, traversé de bandes d'orange, de rouge, de rose. Le désert baignait dans le scintillement du soir. Tous les cactus, tous les arbres vivants étaient bien distincts les uns des autres. La beauté du désert l'arrêta net sur le sentier. Il y avait quelque chose de différent. Un changement s'était produit depuis qu'elle s'était réveillée ce matin-là. Ses yeux semblaient maintenant s'ajuster aux couleurs les plus subtiles de la palette du Sonora. Le désert n'était plus un vide et une absence d'eau, hormis la végétation vert sombre du nord, mais une abondance de ciel, d'argent, de sauge, de sépia, d'indigo, de lumière dorée, si pure, si claire que Maggie voulait tout prendre dans ses mains jointes et s'en abreuver.
Le bonheur c'est un talent comme un autre. C'est une autre forme d'art. Certains y arrivent bien, d'autres non.
Mais les prières, sur une langue imbibée de gin, n'ont que peu de valeur
La vie se nourrit de la vie. Nous faisons partie d'un cercle. Les animaux à deux jambes, à quatre jambes, la nation verte des arbres et des plantes ; c'est la même chose pour tous.
Les mots ont un pouvoir ; souviens-toi bien de cela, jeune femme. Ecrits sur une simple page. Lettres. Runes. Alphabets. Les étoiles, les pierres, les arbres mêmes révèlent le langage de la terre.
Elle se leva, fit un brin de toilette, enfila une robe de chambre et se rendit sans bruit dans la cuisine. Elle ne traînassait jamais au lit ; elle se sentait flouée si elle dormait trop et qu’elle ratait le lever du soleil. Elle chérissait la lumière tout argentée du matin, le calme, les rituels : l’eau dans la bouilloire, le café moulu, amer, une tasse chaude entre ses mains froides, l’odeur d’un jour aux multiples possibilités se répandant autour d’elle.
"Tout en attendant le coucher du soleil, Fox prit sa flûte de copal, la plus galante des flûtes. Il souffla doucement quelques notes, ajusta la hanche et joua, pour les esprits des collines et pour Maggie, où qu'elle soit ce soir. Une chanson navajo, une chanson irlandaise et une espagnole. [...]"
─ Tiens, d’ailleurs, où est-ce que j’appelle, là, au juste ?
─ Tucson.
─ Tucson ?!
─ Pourquoi tout le monde me dit ça comme ça ? Ce n’est pas le bout du monde.
─ Non, c’est la sortie juste avant.
La créature alla dans le lit de Cooper. Elle était à moitié moins grande que la femme et plus maigre, de constitution plus fragile. Ses longs membres malingres avaient forme humaine et étaient couverts d’une douce fourrure grise. Là où la femme avait dormi, le lit était chaud. Elle prit la couverture et se recroquevilla au pied du lit, la tête blottie contre les genoux de Maggie Noire. Elle soupira profondément. Cette nuit, elle dormirait en toute sécurité. Peut-être qu’elle avait bien fait de se faire prendre, en fin de compte. Elle avait trouvé un abri sûr, elle avait un nom, elle avait un peu de chaleur dans la pénombre. Elle sourit et ferma les yeux. En un instant, elle était profondément endormie.