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Critique de colimasson


Vous connaissez l'étude de Thomas Nagel ? Elle s'appelle : « Quel effet cela fait-il d'être une chauve-souris ? ». Tout le monde en parle, pas grand-monde ne l'a lue. En général, on préfère s'en tenir au titre qui est bien drôle. Dans les cercles psychanalytiques, Donald D. Winnicott s'est posé une question à peu près similaire, seulement qu'il a utilisé des termes différents, et ça se présente à peu près comme « Quel effet cela fait-il d'être un nourrisson qui vient de se faire expulser de l'utérus ? ».


Imaginez un peu ce que ce pédiatre a dû endurer comme expérience de retour vers les vies antérieures pour élaborer une théorie autour de cette question. C'est très convaincant. A fermer les yeux, à le lire et à imaginer, on y croit immédiatement. L'état de fusion maternel, l'indistinction entre le moi et le non-moi, la satisfaction des besoins –miraculeuse ! Imaginez, vous sentez pour la première fois la sensation faim, sans savoir ce que c'est, comment ça se résout, et vous sentez aussi pour la première fois la sensation avoir envie de quelque chose. Et là, votre mère vous tend son sein (sans savoir que c'est là un sein, ni que c'est ce qu'on appelle mère qui le possède) pour que vous vous abreuviez, et cette mamelle tombe là, à point nommé, au moment où vous l'attendiez, et vous le happez sans vraiment savoir pourquoi, et il en tombe une manne qui apaise votre faim et vous procure une agréable sensation de chaleur dans l'estomac. Vous cherchiez quelque chose sans savoir quoi, et la chose surgit comme si vous l'aviez créée. Omnipotence divine, extase de l'illusion –ainsi Donald conçoit-il cette première étape de l'existence. A condition que tout se passe bien. Et les choses, nous le savons, se déroulent rarement bien. Imaginons maintenant que la satisfaction se produise trop tôt ou trop tard, que la mère ne soit pas disponible, qu'un sevrage intervienne brutalement : que se passe-t-il ? On se penche presque passionnément sur ce malheureux cas comme un démiurge observerait la manière dont se débrouillent ses créatures pour faire face aux émanations nucléaires qu'il fait ruisseler sur leur surface poreuse.


Dans le temps, Donald est passé pour le toubi qui te réconforte les mères angoissées du monde moderne. Lui, il dit que c'est pas la peine d'écouter les conseils des médecins, des magazines et des belles-mères si on sent que ça ne répond pas à un besoin naturel du bébé et que c'est là juste pour vendre de la science, du papier ou de la violence symbolique. Il dit donc : mères, soyez vous-mêmes et surtout, ne soyez pas parfaites car votre bébé n'apprendrait jamais à se débrouiller seul et à se construire solidement. Déjà, c'est un peu bizarre parce qu'être soi-même, pour la plupart des mères, c'est être névrosée voire pire et Donald parle plus souvent des cas foireux que des cas normaux dans ses livres. Mais en fait, quand Donald parle de se laisser aller à la maternité, il entend par-là qu'il existe comme un métier d'être mère qui survient peut-être dans l'état authentique de la société. A la fin de sa grossesse et pendant les premières semaines qui suivent l'accouchement, il décrit l'état de préoccupation maternelle primaire et la qualifie de « maladie », mais une maladie très bénéfique qui se résorbe spontanément lorsque l'état de fusion avec le mioche n'a plus de raison d'être. Non seulement on retrouve un peu le mythe du bon sauvage de Rousseau, mais on retrouve également ces machines animales décrites par Descartes qui agissent parfaitement, dans l'ordre que doivent suivre les choses, sans savoir pourquoi ni comment cela se passe. « Parmi les choses courantes que vous [les mères] faites, vous accomplissez tout à fait naturellement des choses très importantes ». Oh ! quand on lit ça, toute mère qu'on soit ou pas, on se dit qu'on a quand même de la chance de naître femme et d'être si savante, LOL. Même que Donald nous dit que le mépris que la société crache au visage de la femme n'a pas d'autre source que ce souvenir cuisant (et inconscient) d'avoir été soumis à une femme si jeune dans la vie. Mais voyons un peu la suite de la phrase de Donald : « Ce qui est beau ici, c'est qu'il n'est pas nécessaire que vous soyez savante ; vous n'avez même pas besoin de penser si vous ne le désirez pas ». Je ne sais pas vous mais là, je trouve que ça fait un peu flipper.


Enfin bon, moi ça ne m'a pas empêchée d'aimer lire Donald. Mes poupons, souvenez-vous que nous sommes peu de choses, quelques grammes de neurones et beaucoup de bidoche autour, faut pas s'en faire s'il se passe des choses qui semblent parfois hors de notre contrôle. C'est peut-être ce qui nous a sauvés jusqu'à présent. Considérons plutôt que Donald est un homme plein de sagesse qui ne se laisse pas duper par des préceptes éducatifs –modes d'une décennie- ou par l'autorité du toubi qui, croyant bien faire, prodiguant des conseils pour des situations qu'il n'a jamais expérimentées, vient foutre son propre crottin dans un bourbier déjà bien fumant.


Selon Donald, l'enfant est un être humain comme un autre : arrêtez de le prendre pour jojo lapin et d'essayer de l'entuber avec vos mythologies d'adultes.


Selon Donald, l'adulte est un enfant parvenu à une maturité très précaire : arrêtez de prendre les choses au sérieux lorsqu'elles ne le méritent pas.


Donald, tu mérites qu'on te fasse un bisou.

Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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