AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Presence


Il s'agit du premier tome d'une série écrite et dessinée par Hidéo Yamamoto, l'auteur de Ichi the killer. "Homunculus" est une série complète en 15 tomes, en noir & blanc, débutée en 2003, au Japon. Les 15 tomes ont été publiés en France par les éditions Tonkam, dans le sens de lecture japonais (de droite à gauche).

Un homme dort sa voiture, garée le long d'un trottoir attenant à un parc. En face, il y a un haut immeuble cossu. Susumu Nakoshi se réveille et va faire ses ablutions matinales à la fontaine du parc. Il dit bonjour à un autre SDF ayant sa tente dans le parc. Puis il va s'asseoir sur un banc pour lire et salue un autre SDF qui s'apprête à aller faire une sieste matinale, faute d'une autre occupation. Nakoshi retourne à sa voiture, écoute le bruit du moteur, effectue une réparation de maintenance mineure. le soir, il rejoint les SDF du parc, leur apporte une bouteille de vin et partage leur repas, concocté par l'un des leurs (un ancien cuistot) qui accommodé avec talent divers restes récupérés dans des poubelles. Il va faire un tour avec sa voiture, jusqu'au bord du fleuve. À son retour un jeune homme piercé et tatoué l'aborde pour lui proposer 700.000 yens s'il accepte une petite trépanation, un trou dans le front.

Hidéo Yamamoto plonge le lecteur dans un environnement très urbain, avec le spectre du chômage. Son personnage est un employé, vraisemblablement au chômage, qui est en train de franchir la frontière entre la vie de salarié et celle de SDF. Il loge encore dans sa voiture, il n'a pas encore rejoint le campement de fortune des SDF, mais il ne loge déjà plus dans un appartement.

En 250 pages, il ne se passe pas grand-chose. L'intrigue peut se résumer en 3 phrases. (1) Susumu Nakoshi est SFD et vit dans sa voiture à côté d'un parc. (2) Il accepte la proposition de Manabu Ito qui lui propose 700.000 yens, en échange de se faire faire un trou dans le crâne. (3) Après l'opération, Nakoshi éprouve quelques troubles de la vision.

Yamamoto prend donc son temps dans chaque séquence. Il consacre 54 pages à décrire la journée de Nakoshi. le lecteur passe du temps avec lui. Il comprend que ce dernier n'a pas encore accepté sa nouvelle condition sociale, que sa voiture constitue un refuge, et la preuve qu'il n'est pas encore déchu comme les vrais SDF. Il constate son dégoût devant la nourriture que les SDF partagent.

Yamamoto dessine de manière réaliste, voire photoréaliste. Au fil des pages, le lecteur est impressionné par ces images de la cité, qui sont d'une minutie hallucinante. On ne peut que se demander combien de temps il a fallu au dessinateur (et peut-être à ses assistants) pour réaliser des images présentant un tel niveau de détail sur les façades des bâtiments, le moteur de la voiture, la vue du ciel de la rue où est stationné la voiture de Nakoshi, la vue de la ville depuis la salle de restaurant dans les derniers étages d'un immeuble, la vue en plongée de la pièce où Manabu Ito a opéré Nakoshi, les façades et leurs enseignes de la rue où déambule Nakoshi le lendemain de l'opération. Difficile de dire si le plus impressionnant est dans le niveau de détail, ou dans la parfaite lisibilité de chaque dessin, même les plus nourris de détails.

Le lecteur évolue donc, aux côtés de Nakoshi, dans un monde réaliste, presque familier (il y a quelques spécificités japonaises, à commencer par la conduite à gauche, et les distributeurs de boissons étranges), très concret et ordinaire sans être fade ou générique. Yamamoto agence ses pages de manière à obtenir un équilibre entre les cases très détaillées, et celles uniquement avec des têtes en train de parler. Les personnages ont tous unes morphologie spécifique, des tenues vestimentaires reflétant leurs gouts et leur personnalité. Yamamoto n'utilise aucune bulle de pensée, ni cellule de texte, le lecteur n'a donc jamais accès à la voix intérieure des personnages. Pourtant il se familiarise rapidement avec eux, à commencer par le calme résigné mais digne de Nakoshi, ou la personnalité complexe et pour partie extravertie d'Ito. C'est un vrai plaisir que de détailler ses tenues vestimentaires, ses bijoux, ses piercings, son langage corporel, sa nervosité dans ses mouvements, ses tics (tripoter ses piercings). En douceur, Yamamoto dresse un portrait complexe d'Ito.

Grâce à l'habilité de metteur en scène de Yamamoto, chaque scène est porteuse de sens, d'affect, au-delà des simples actions montrées. le lecteur côtoie les personnages comme s'il se trouvait à côté d'eux, captant des informations sur eux, par le biais de leurs mouvements, leurs hésitations, leur choix de mots, etc. Il peut discerner les fluctuations des rapports de force, quand Nakoshi a l'ascendant sur Ito, ou l'inverse.

Contrairement à ce que la minceur de l'intrigue pourrait laisser penser, ce tome se lit d'une traite, avec une tension narrative allant croissant. le réalisme de la narration rend très palpable cette histoire de trou dans le crâne. Ito présente cette opération comme bénigne et explique son intérêt scientifique pour cette démarche surprenante. Yamamoto intègre cette trépanation dans un questionnement sur la manière de percevoir ce qui nous entoure, comme une amélioration de la somesthésie de l'individu (mais quand même cette perceuse ensanglantée, ce n'est pas ragoûtant).

Le lecteur se laisse porter par cette rationalisation logique, par cet emballage de démarche scientifique, par la conviction d'Ito que tout cela ne débouchera sur rien de concret. Effectivement, Nakoshi se remet rapidement, sans gagner de superpouvoir, ou de capacité extrasensorielle. Pourtant Yamamoto insinue subrepticement un malaise diffus, par de petites choses très ténues.

Ce premier tome prend le lecteur gentiment par la main pour l'emmener dans une réalité très proche de la sienne, une déchéance sociale qui ne semble pas irrémédiable, et qui n'empêche pas de vivre. Rapidement le lecteur éprouve de l'empathie pour ces personnages surprenants et ordinaires. La trépanation survient de manière normale. Pourtant la tension est bien papable et le lecteur guette chaque indice. Hidéo Yamamoto immerge le lecteur en douceur dans son histoire, mais espoir d'échappatoire. La dernière séquence (40 pages) est tellement intrigante et inattendue que le lecteur doit savoir ce qui s'est réellement produit.
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}