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Critique de rotko


Couleur Corail, 230 p chez Cap Béar.

N'allez pas croire que les îles soient des terres de solitudes, verrouillées sur elles-mêmes, autarciques, et préservées indéfiniment depuis l'aube des temps.
L'auteur invite à une exploration des territoires que la présentation de son livre rend accessibles : à la carte détaillée de Sardaigne, sur la page liminaire, succèdent des photos ou des dessins qui remontent le cours des ans, tout en montrant la permanence de sites ou de bateaux encore utilisés. du passé subsistent des légendes, ou des contes cosmogoniques, des objets, des rites, des cultures, et des pratiques. Quel travail en amont !
Pour s'immerger dans le passé, on passe par le langage, ces vieux mots ou ces appellations locales qui ont besoin d'une note en bas de page. Courtoisie de l'auteur de nous donner, à chaque chapitre, des proverbes et sentences pour imaginer des vies et temps passés, souvent marqués du sceau de la complexité historique, objet d'une fresque alternant le volet du passé du XIVe siècle et celui du présent que nous connaissons.
Car le récit avance, un pied en 1353 ou 1376, l'autre en 1990, ou 2003 et 2004. le passé est évoqué à grands traits, les assauts et intrusions extérieures sur la Sardaigne, les résistances internes, les soumissions provisoires à des protecteurs qui eux-mêmes s'inclinent devant plus forts qu'eux. Certains îliens restent, d'autres connaissent l'exil ou la déportation, pensant au retour ou s'établissant ailleurs.
Cette fresque à vol d'oiseau, précise cependant, comporte des ancrages avec des épisodes développés au présent, - une agonie, une fuite, scènes d'actions ponctuelles qui font connaître les caractères, les personnages et les lieux, non sans qu'il y ait des ressemblances entre la Sardaigne d'origine ou la Minorque de l'exil, par les grottes ou les chemins côtiers par exemple.
L'autre pied du récit, c'est l'enquête de Paul, d'origine catalane, qui retrouve en Sardaigne des patronymes, une langue voisine de la sienne, ou des tournures qui ont laissé des traces dans sa mémoire, ou l'histoire d'Efisia, enfant abandonnée, recueillie, adoptée etc.
Couple d'enquêteurs dont les rôles d'écrivain et de guide touristique, caractérisent aussi la présence de l'auteur qui supervise les actions et les drames, et, privilège du conteur, même ceux que personne n'a vus :
« Un mousse imprudent passe par-dessus bord sans un cri et sans que nul à bord ne s'en aperçoive. »

Trajets maritimes, itinéraires terrestres, Nicole Yrle indique le chemin et opère les passages.
Chaque époque a ses idylles, ses séparations, ses fléaux, et à la peste de jadis correspond une maladie transmise par le sang contaminé…
. le tragique n'est pourtant pas la résonance finale, car tout survit ou renaît, à l'image du corail, objet de commerce et d'artisanat raffiné, protection contre le mauvais sort et gage d'un amour à construire.
De tant de tribulations diverses et de métissages ne naît pas un appauvrissement ou un formatage, mais une nouvelle richesse, due à la faculté d'adaptation des humains, malicieusement évoquée avec la nourrice Milena
«  Elle se retrouva un soir dans son[celui du Maître] lit presque naturellement, comme si la réunion de leurs deux solitudes était inéluctable. Elle avait l'impression d'avoir connu Jacobus, son mari disparu en mer, dans une autre vie. Même Andreas, figure d'un amour impossible, appartenait désormais à un passé qui s'estompait. Elle pensait aux deux avec tendresse mais le temps avait fait son oeuvre et surtout elle avait appris à survivre au jour le jour. Si Dieu avait voulu qu'il en fût ainsi, pourquoi résister ? »
Armature subtile et solide structure, à l'image des bateaux sardes, le récit mené d'une langue soignée, suscite la réflexion et opère avec brio cette « évasion par les mots » dont l'éditeur Cap Bear a fait sa devise.
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