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Critique de KChion


Cathy, chère amie
Comment les lecteurs vont-ils le prendre ?
Voilà que je me décide enfin à rejoindre Babélio, et comme première contribution je propose de t'adresser cette lettre, une façon peu conventionnelle de participer. Mais comme j'ai le privilège d'être ton amie, comme nous partageons de nombreuses idées, c'est une trop belle occasion de parler de toi (et avec toi ?).

Il faut dire que je viens de dévorer « Têtes Hautes ». J'ai lu beaucoup de tes livres - souvent des histoires de jeunes blessés par la vie. Dans Têtes Hautes, tu racontes en plus un événement historique dont on ne m'a pas parlé à l'école, et pourtant si mes sources sont bonnes il s'agit de la première grève menée par des femmes, et qui ont obtenu gain de cause. Tu évoques donc deux jeunes penn sardin, ouvrières qui travaillent dans les sardineries de Douarnenez. En 1924, pas de bateaux équipés, pas le moindre réfrigérateur, quand le bateau entre au port les femmes doivent être prêtes à préparer les poissons. L'aspect historique de ton roman est très bien documenté, depuis le terrible quotidien de ces ouvrières jusqu'à l'enclenchement du mouvement, son déroulement, ses difficultés, et les manoeuvres criminelles des patrons.

Mais l'une des deux ouvrières est embauchée à Paris comme bonne à tout faire, chez Carol et Suzanne que tu nous fais connaître. Ces deux jeunes adultes n'ont pas l'existence dorée que leur fortune permettrait d'imaginer, chacune ayant ses propres tourments. Bravo pour le malentendu qui s'installe entre les deux jeunes Bretonnes, Yarig étant persuadée que sa soeur mène à Paris une existence bien plus facile, alors que Angèle affronte mille difficultés. Là aussi tu décris une réalité historique, les conditions sordides de travail des bonnes à tout faire, et le mépris dont elles sont victimes, pensez donc, ces paysannes qui puent le poisson ! Auxquelles on ne verse aucun salaire sous des prétextes, alors qu'elles ont un horaire de travail infernal.

Dans tes livres, tu parles souvent de sexe, même si je préfèrerais dire « amour ». Mais voilà, les personnages de tes romans ont souvent des problèmes, cela peut être celui de l'identité sexuelle : quel qu'il soit, tu en parles de façon directe et j'apprécie beaucoup cette absence de pudibonderie. Cela me rappelle ton intervention au salon du livre de Saint-Paul-trois-Châteaux : tu avais parlé de « Rien que ta Peau », une histoire d'amour entre deux adolescents qui, eux, n'ont pas de problème d'identité sexuelle. Louvine a des difficultés dans un autre domaine. On ne sait pas trop quel est son handicap, et j'apprécie aussi que tu ne l'aies pas précisé car une étiquette devient vite une aliénation supplémentaire pour les personnes différentes.

Tu nous avais lu le début de « Rien que ta Peau », de ta voix tranquille, dans l'espace aménagé pour les rencontres entre les auteurs et le public, et l'on entendait le brouhaha du salon tout autour. Et tu nous avais fait partager l'intimité de Mathis et Louvine, j'en garde une impression extraordinaire : contraste entre l'ambiance festive d'un côté, un peu bruyante, et les deux amants enlacés au coeur de la nuit, de l'autre.

Dans « Têtes Hautes », tu abordes le problème de Carol de la même façon directe, par petites touches, jusqu'au dialogue avec sa mère qui éclaire les lecteurs. Tu le sais : les idées que tu défends dans ce livre sont une de mes raisons de te lire. Condition féminine, condition ouvrière, particularité sexuelle, ton discours est clair et ça fait du bien. Mais, alors qu'on n'est pas loin de la sociologie, c'est un roman que tu écris, pas un essai, et les messages passent d'autant mieux et pour un plus large public. Ce livre est destiné à des adolescents, c'est vraiment une bonne chose de leur offrir de ces lectures-là ! Moi j'ai passé l'âge et depuis très longtemps, mais, ne le dis à personne, je continue à me régaler avec la littérature pour la jeunesse.

J'ai remarqué que les éditions « Talents Hauts » offrent un catalogue de bonne tenue pour le public adolescent. Ce qui me pousse à parler du rôle de l'écrivain : quand j'avais lu « Cinquante minutes avec toi », une histoire de maltraitance, je t'avais dit que ce livre dérange, et c'était un compliment. Tu m'avais répondu : « Je pense que c'est le rôle de quelqu'un qui écrit que de bousculer un peu ses lecteurs, de les déranger, de faire naître une réflexion. Si je peux le faire, à mon petit niveau, c'est bien (…). Si mon livre peut libérer quelques ados enfermés dans des histoires similaires (et il y en a toujours, malheureusement), je serai vraiment contente. »

Ces quelques mots suffisent sans doute pour préciser comment toi et moi nous voyons le rôle de l'écrivain.
Alors non, je ne vais pas faire une analyse de ton style (qui me plaît beaucoup), de la construction de ton roman, (super bien structuré), je veux simplement te remercier d'avoir écrit « Têtes Hautes », dont je parle autour de moi, un bien bel ouvrage. Je te remercie aussi de me faire découvrir les éditions « Talents Hauts » dont les titres sont alléchants !

Avant de te quitter, je ne résiste pas au plaisir de te citer quelques mots de Gabriel Celaya, un texte connu surtout par l'interprétation qu'en a faite Paco Ibañez, « la poésie est une arme chargée de futur » (traduction à ma façon).

« Je maudis la poésie conçue comme un luxe
Culturel pour les neutres
(…)
Je maudis la poésie de ceux qui ne prennent pas parti jusqu'à se compromettre. »
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