Il y a ce moment magique, où les oiseaux nocturnes chantent encore et où les autres se réveillent, dans un ordre bien précis. C’est l’heure symphonique. Écoute, c’est maintenant.
L’intérieur de notre corps est un lieu étranger, plus mystérieux que les rivages lointains.
Quand j'étais enfant, j'attendais avec impatience l'heure de me mettre au lit. C'était le moment des rêves d'aventure, avec Robin des Bois mon amoureux secret, des cachettes derrière les cascades, des maisons dans les arbres. Chaque soir, je construisais mes histoires minutieusement, et d'un jour à l'autre, je bâtissais des passerelles entre ces assemblages fragiles. Ils formaient bientôt tout un monde imaginaire, dans lequel je m'enfonçais avant de dormir.
La peur est venue avec l'âge adulte. La peur de décevoir, d'échouer, de me faire remarquer, la peur de mourir qui est aussi une peur de vivre.
A Magelang, j’ai découvert la chaleur. Pas une chaleur naturelle, non. Une chaleur recrachée par les pots d’échappement et la climatisation des maisons, une chaleur lourde des brûlis et des feux de forêt. Quand j’avais appris que nous viendrions vivre en Indonésie, j’avais rêvé un éternel été, une garde-robe légère, des chapeaux. Mais la chaleur ici est si étouffante. Elle comprime les corps, brûle les yeux et remplit la bouche, la gorge et le nez. Il n’y a pas de saison et le jour se lève toujours sur un ciel lourd de nuages.
C’est la bonne nuit pour fuir. La lune éclaire la route. Je chante pour me donner le courage de rejoindre le village, au loin là-bas, de l’autre côté de la forêt. Je chante pour ma fille, endormie dans le kain. Une berceuse, quelques mots simples en bahasa: ils disent de ne pas craindre le vent qui gronde, ni les chiens errants dans l’ombre. Un arbre s’ébroue très haut. Je retiens mon souffle, protège mon enfant de mes mains. Un singe peut-être, ou un ours des cocotiers. Le bois se tait un court instant puis reprend sa rumeur nocturne.
Le temps ne passe pas de la même façon quand les journées et les mois se ressemblent. Il y vient une torpeur, teintée de tristesse. Mon corps longtemps a gardé la nostalgie des saisons, des pluies fraîches de septembre, du brouillard, ce spectre gracieux de l’hiver.
Le temps ne passe pas de la même façon quand les journées et les mois se ressemblent. Il y vient une torpeur, teintée de tristesse. Mon corps longtemps a gardé la nostalgie des saisons, des pluies fraîches de septembre, du brouillard, ce spectre gracieux de l’hiver.