Citations sur Les après midis d’hiver (20)
Grâce à elle je sais bien, il n’y a pas assez d’étés pour le nombre d’automnes.
Peut-être que si Noah avait peint, cet hiver-là, il aurait eu moins peur. Il disait qu’il ne trouvait plus le temps, j'ai souvent eu l'impression qu’il me le reprochait. Moi, c’est le temps de l'amour qui m’a donné le temps d'écrire, tout est arrivé ensemble. Sans l’histoire d'amour il n'y aurait pas eu de texte. J'aurais eu un hiver blanc. Sans ce texte, il n'y aurait pas eu d'amour. Avant, je pensais qu'écrire me soustrayait au monde ; c'est faux, je sais maintenant que c'est ce qui m'en donne le courage. J'ignore comment on fait, sinon pour devenir autre chose qu'une pierre sur une tombe. L'écriture ne console pas, ne rattrape rien, elle ne s'occupe que de ce qui est perdu d'avance. Grâce à elle, je ne suis pas restée figée dans le temps de l'amour ou celui de la peine. Elle m’a maintenue dans le cycle du jour et de la nuit, dans celui des saisons. C’est par elle que rien ne dure. Je me lèverai encore le matin et je dormirai le soir. Les après-midi seront longues mais elles ne seront pas infinies, les jours à nouveau raccourciront. p. 165
C’est à ses disparitions que je m’étais attachée. De lui je n’aurai rien de plus que son absence, sa lueur vacillante, ses yeux dans le vague. Je ne connaîtrai rien d’autre que ce qui m’a nourrie sous la neige, c’est-à-dire mon espoir, à chaque moment de se quitter, de le revoir. Il m’a semblé à ses mots qu’il allait mieux, qu’il était peut-être en train, lui aussi, de sortir de l’hiver.
L'hiver était à vivre en entier, d'un bout à l'autre, sans interruption. Je savais que ce qui existait entre Noah et moi existait parce qu'il était à peine possible de mettre le nez dehors l'après-midi, parce qu'il n'y avait d'autre choix que de rester au chaud, à l’intérieur, en attendant la nuit.
J'avais voulu me garder d'une passion absolue. L'écriture n'a fait que m'y enfoncer. Mon corps n'était pas ce paysage détaché de moi où je pouvais vivre une autre vie que la mienne. L'amour physique est immédiatement écriture : gravure. On peut toujours écrire, après, un autre texte que celui qui s'inscrit dans la chair, mais cela ne sera jamais que le deuxième.
En écrivant, j'ai sans cesse l'image d'une plante que je ne connais que de nom, dans mon livre de botanique. La plante passe-pierre, la saxifrage. Je voudrais dire comment elle se loge dans les fissures des roches. Je ne voudrais pas raconter une histoire d'amour. Ni deux. Ce n'est pas un texte sur Noah, ni sur Samuel. Ce n'est pas un texte sur moi, sur nous. C'est à propos de la vie secrète. Je voudrais écrire ce mouvement ; faire, en somme, l'histoire d'un passage secret.
Je l'ai revu même si je savais que nous ne seri8jamais ensemble. J'ai décidé d e prendre ce qui était encore à prendre, j'étais d'accord avec l'idée de perdre ensuite tout ce qui aurait été pris.
Je sais qu’il faut aimer les autres dans leur peine, on ne peut pas la leur enlever comme un manteau, il n’y a d’autre choix que d’aimer, ou de passer sa route.
Quand ma double vie amoureuse a commencé, j'ai poursuivi sans transition la duplicité dans laquelle je vivais depuis un an. J'étais familière avec l'envers et l'endroit, ce qui doit se garder, ce qui doit se montrer, j'avais l'habitude de ne dire que certaines choses, d'avoir un sourire pour les uns et les autres, de porter seule mon coeur gros, de me taire en public, de ne pas peser, d'attendre d'être seule pour m'adresser à ma revenante. Mon deuil était déjà une double vie, je voyais déjà quelqu'un en secret.
Il s'en tenait à la phrase qu’il m’avait murmurée à l’oreille, le jour de notre rencontre « you need love, I’m gonna make love to you. Il ne m’avait rien promis d’autre.