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Critique de jvermeer


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Depuis des années, je pérégrinais dans l'immense fresque des Rougon-Macquart d'Émile Zola. Parcourant lentement les routes sinueuses du Second Empire en compagnie de l'auteur, je m'étais enthousiasmé pour « Germinal », « Nana », « La terre », « L'oeuvre », puis « La débâcle », l'avant dernier roman de la série voyant l'effondrement du règne de Napoléon III.
Dans la pensée d'Émile Zola, les 20 livres de cette immense fresque se voulait « l'Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second empire » s'étendant sur quatre générations.
Il me manquait la généalogie. Elle m'est apparue en lisant récemment le tout premier roman de la série publié en 1871 « La Fortune des Rougon » que Zola appelle dans sa préface celui des Origines : « Les Rougon-Macquart, le groupe, la famille que je me propose d'étudier, a pour caractéristique le débordement des appétits, le large soulèvement de notre âge, qui se rue aux jouissances. »

L'action du livre se déroule à Plassans, ville imaginaire du sud de la France qui pourrait être la ville de Zola à Aix-en-Provence où il passa une partie de sa jeunesse.
Adélaïde Fouque, étrange personnage, une grande créature, mince, pâle, aux regards effarés comme la décrit l'auteur, est le personnage fondateur de cette dynastie familiale des Rougon-Macquart. « le bruit courut qu'elle avait le cerveau fêlé comme son père ». Elle se marie avec un jardinier qui lui donne un fils Pierre Rougon, et meurt trois mois après. Et voilà notre Adelaïde qui, après un an de veuvage, s'éprend d'un ivrogne dont elle fait son amant, « c'était cet ogre, ce brigand, ce gueux de Macquart qu'Adélaïde avait choisi ! ». En seulement vingt mois, deux enfants vont naître : Antoine et Ursule. « le fils légitime, le petit Pierre Rougon, grandit avec les bâtards de sa mère ».
Ce premier roman est une longue lutte entre Pierre Rougon et son demi-frère, le bâtard Antoine Macquart. Ils ne pensent l'un et l'autre qu'à assouvir leurs appétits de richesse et d'honneur, « des besoins irrésistibles de jouissances bourgeoises » pour le premier, de fainéantise pour l'autre. Zola nous entraine dans un univers de débauche, avidité, corruption et violence dont le point culminant est le coup d'État du 2 décembre 1851 qui permettra aux Rougon de prendre le pouvoir à Plassans. Deux forces politiques s'affronte : les républicains et leurs idéaux remontant à la Révolution française et les bonapartistes qui veulent se réinstaller au pouvoir.

L'auteur plante le décor dans ce roman fondateur de son oeuvre. Il introduit les héros des futurs volumes à venir. Les grands thèmes de la saga des Rougon-Macquart apparaissent : la soif de pouvoir, l'aliénation au travail de la classe ouvrière dans un capitalisme financier féroce, les luttes politiques entre les républicains et l'empire, la bourgeoisie, les inégalités sociales, la corruption, l'alcool, le rôle de la presse.

Les plus belles pages du roman sont consacrées à une idylle amoureuse entre deux adolescents : la jeune et jolie Miette et Silvère Mouret, fils d'Ursule Macquart que l'ancêtre Adelaïde, tante Dide, volée de ses biens, exploitée, terrorisée par son fils Pierre, a recueilli. « Ce fut un réveil d'amour, une dernière passion adoucie que le ciel accordait à cette femme toute dévastée par le besoin d'aimer. »

Miette n'a que 13 ans et Silvère à peine 17 ans. « Ils restaient enfants, ils avaient des jeux et des causeries de gamins, et goûtaient des jouissances d'amoureux sans savoir seulement parler d'amour, rien qu'à se tenir par le bout des doigts. Ils cherchaient la tiédeur de leurs mains, pris d'un besoin instinctif, ignorant où allaient leurs sens et leur coeur. À cette heure d'heureuse naïveté, ils se cachaient même la singulière émotion qu'ils se donnaient mutuellement, au moindre contact. »
Un vieux puit et leurs reflets dans son eau est le jeu favori des deux enfants : « Silvère, qui se trouvait presque toujours le premier au rendez-vous, éprouvait, en la voyant apparaître dans l'eau, avec cette rieuse et folle hâte, la sensation vive qu'il aurait ressentie, si elle s'était jetée brusquement dans ses bras, au détour d'un sentier. »
Républicain de coeur, Silvère s'insurge au moment du coup d'État du 2 décembre 1851. Miette, qui le suit partout, est tuée durant le combat. « Elle s'affaissa en arrière, sur la nappe rouge du drapeau. (…) Silvère sanglota. Les regards de ces grands yeux navrés lui faisaient mal. Il y voyait un immense regret de la vie. Miette lui disait qu'elle partait seule, avant les noces, qu'elle s'en allait sans être sa femme ; elle lui disait encore que c'était lui qui avait voulu cela, qu'il aurait dû l'aimer comme tous les garçons aiment les filles. »
Dans les derniers instants de la République moribonde, Silvère est fusillé par un gendarme sur la pierre tombale d'un ancien cimetière où ils aimaient se retrouver. « La mémoire tendue, il écoutait un bruit aigre de fusillade, il voyait un drapeau tomber devant lui, la hampe cassée, l'étoffe pendante, comme l'aile d'un oiseau abattu d'un coup de feu. C'était la République qui dormait avec Miette, dans un pan du drapeau rouge. Ah ! misère, elles étaient mortes toutes les deux ! »
Pendant ce temps, Pierre Rougon fêtait la victoire : « Comme il avait relevé la fortune des Bonaparte, le coup d'État fondait la fortune des Rougon. Et, au loin, sur la pierre tombale, une mare de sang se caillait. »

Les nombreux enfants et petits-enfants des personnages du roman vont alimenter la vaste fresque des Rougon-Macquart. En 1871, Victor Hugo adressera une lettre à Émile Zola : « Votre comédie est tragique. Je vous lis, mon éloquent et cher confrère, et je vous relirai. le succès, c'est d'être lu ; le triomphe, c'est d'être relu. Vous avez le dessin ferme, la couleur franche, le relief, la vérité, la vie. Continuez ces études profondes. Je vous serre la main ! »

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