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Critique de harvard


Difficile d'apporter un regard nouveau sur Germinal de Zola, récit grandiose et visionnaire, panthéonisé dans les Lettres françaises et dans la mémoire ouvrière, spectacle démesuré d'une grève sanglante dans les corons du Nord, sur les entrailles d'une mine charbonnière, et longue méditation, autant sur l'infortune de naître dans une famille de mineurs fin XIX °, que sur les utopies fraternelles et socialistes. L'énergie de Zola trouve sa pleine dépense dans le grand souffle hugolien d'une épopée qui marquera l'histoire des luttes sociales, avec pour support la formidable documentation d'un journaliste de Cash Investigation qui part à l'assaut des féodalités d'argent et de culte, avec pour tête de turc cette bonne vieille bourgeoisie confite en dévotion et dans son bon droit.

Noir c'est noir il n'y a plus d'espoir. Notre Johnny national a dû oublier de lire Germinal, qui de l'enfer des hommes en a fait in extremis un message d'espoir, mais à quel prix ! Sur fond de noirceur que n'aurait pas désavoué un Soulages qui a construit une esthétique bien-pensante, alors que Zola lui, est réellement allé au charbon, a mouillé sa chemise avec ces "compagnons noirs" dont il décrit minutieusement l'infortune des jours dans ces corons de tristesse grise. Expérience qu'il a mené avec ces "voyous" que la gentry du capital d'aujourd'hui montre sans vergogne du doigt.
Pourtant aucun fatalisme chez Zola. Bien sûr il épingle les utopies généreuses de la solidarité et leurs effets pervers, sinon dévoyés, bien sûr il cartonne sans concession sur les savonaroles de paroisse, la grande peur des bien-pensants, les cimetières sous la lune que le grand capital entretient dans sa dévoration, pour mieux retrouver ses billes et ses paradis fiscaux, bien sûr l'homme est un fauve dont l'énergie phallique est inépuisable, bien sûr les coqs de village fanfaronnent dans leur folie meurtrière. le bestiaire de Zola est riche, diversifié et le spectacle d'ensemble n'est pas beau à voir.

Reste la douce pitié d'un visage féminin, celui de Catherine fille de mineur, jouet adolescent, douloureux et cassé, livrée à la sauvagerie des hommes, et qui rejoint tout au long du récit la détresse d'une jeune Mouchette. Reste aussi l'énergie, le courage de ces femmes indomptables, telle la Maheu ou l'impudique Mouquette que la folie guette avec du sang sur les lèvres et qui ne désarment pas.

Deux mois de grève dans ces mines, antichambre de l'enfer, s'achèveront sur une comptabilité macabre et les mineurs, ces compagnons noirs, retrouveront en fin de partie leur calvaire quotidien. de même qu'aujourd'hui les travailleurs des ateliers du Rana Plaza effondré et dont certaines grandes multinationales du textile refuseront un premier temps d'en endosser la responsabilité, de même que les sans-terre des haut plateaux brésiliens que Monsanto nourrit au grain, de même que les enfant qui travaillent dans les mines de cobalt du Katanga pour notre bien être informatique... Germinal n'est pas devenu une curiosité du XIX siècle passé, la tragédie des mineurs qu'il met en scène n'a pris aucune ride et reste d'une triste actualité.

Et pourtant le lyrisme final de Zola préfigure, dans les dernières pages de Germinal, le renouveau d'un monde fraternel, le renouveau d'une résistance ouvrière organisée, "quand le soleil d'avril rayonnait dans sa gloire, échauffant la terre qui enfantait", la vie est renaissance pour que l'espoir de Verlaine ne fuit pas vaincu vers un ciel trop noir. Et pourtant ces toutes dernières pages nous semblent trop courtes, voire insuffisantes aujourd'hui ...
Si Zola est grand dans notre mémoire collective pour avoir rendu avec éclat leur dignité aux mineurs, compagnons noirs, "hallucinés de la misère", la descente aux enfers du peuple des corons, une "vision éternelle de la misère" (je cite) nous laisse vraiment avec Germinal un réel goût de cendre.
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