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Critique de Nastie92


♬ Au nord, c'étaient les corons
La terre c'était le charbon
Le ciel c'était l'horizon
Les hommes des mineurs de fond... ♬

Quel roman ! Quel roman !
Époustouflant, prodigieux, exceptionnel... je ne vais pas trouver assez de qualificatifs pour rendre justice à ce chef-d'oeuvre.
Émile Zola nous emmène chez les mineurs et nous fait partager leur vie. L'immersion est saisissante parce que parfaitement réussie. L'écrivain ne se contente pas de présenter un texte à ses lecteurs, il le leur fait vivre.

Chaque tome des Rougon-Macquart offre des personnages forts, un décor merveilleusement bien décrit et une histoire prenante. En plus de cela, dans Germinal, tout est tellement réaliste, authentique, humain, vivant, que le lecteur est emporté dans les pages, qu'il vit tout de l'intérieur et ne fait plus de différence entre fiction et réalité.
Germinal est une expérience de lecture à part. Rare et intense.

Pendant plusieurs jours, j'ai vécu avec la famille Maheu et toutes les autres familles du coron.
Je me suis levée avant l'aube et préparée pour ma journée de travail. Je suis allée chercher ma lampe, bouée de survie dans les entrailles de la terre.
Je suis descendue dans la fosse. J'ai senti le froid et l'humidité, j'y ai trouvé l'obscurité.
J'ai marché pour aller rejoindre la taille qui m'avait été assignée. Je me suis courbée lorsque les voies s'amincissaient.
Durant des heures interminables, j'ai peiné dans les différents travaux de la mine.
J'ai connu l'extraordinaire solidarité de ces travailleurs pauvres mais dignes, j'ai partagé leurs maigres repas, j'ai vécu dans leurs maisons dépourvues du moindre confort.
J'ai vécu leurs vies de labeur et de peines.
J'ai ressenti l'inquiétude permanente de la Maheude qui se demande comment elle va faire pour nourrir ses enfants, j'ai partagé le quotidien de ces mineurs fatalistes et résignés de pères en fils, condamnés à vie comme l'étaient leurs parents et comme le seront leurs enfants, au "bagne souterrain".
En descendant dans la fosse, c'est une longue descente dans une autre époque, dans un autre monde, que j'ai effectuée.

Quand Étienne Lantier (fils de Gervaise Macquart de L'Assommoir) est arrivé avec ses aspirations justes et ses rêves utopistes, je l'ai suivi. Lorsqu'il a prononcé ses discours enflammés je me suis laissée emporter avec les autres mineurs. J'ai embrassé le désir de révolte qu'il avait fait naître, ressenti la soif de justice qui traversait tout le coron, compris sa légitimité.
J'ai rêvé d'un monde meilleur et j'ai espéré, d'un espoir fou et absolu.

Émile Zola est au sommet de son art dans ce roman magistral.
Je ne vais surtout pas vous raconter l'histoire (les "critiques" qui racontent tout m'exaspèrent car elles gâchent le plaisir du futur lecteur), et simplement donner mes ressentis sur certains aspects.

Le puits dans lequel Maheu et ses enfants en âge de travailler descendent m'a captivée.
L'auteur n'est pas avare d'expressions terribles pour le personnifier : il est "toujours affamé", il "engloutit" les mineurs, il a une "gueule" avec laquelle il semble "boire".
Au début, ce n'était qu'un nom, et puis il a fini par me fasciner, et par m'effrayer. À chaque fois qu'il apparaît dans le texte, la peur et un pressentiment de malheur arrivent avec lui.
D'ailleurs, ce "monstre", cette "bête", ce trou qui "avalait des hommes par bouchées de vingt et de trente, et d'un coup de gosier si facile, qu'il semblait ne pas les sentir passer" porte bien son nom : le Voreux.
Voreux comme "vorace", Voreux comme "dévore".

Les discours exaltés d'Étienne face aux mineurs en grève sont incroyables. Quelles pages ! Quel enthousiasme, quelle force de conviction, quelle fougue ! Zola montre là tout son talent de plume politique.

L'écrivain fut journaliste littéraire puis journaliste politique avant de commencer le cycle des Rougon-Macquart dont ce tome est l'un des piliers.
Roman social par excellence, Germinal dénonce l'enrichissement facile et sans danger des actionnaires exploitant les mineurs qui prennent tous les risques : accidents à court terme, maladies et infirmités diverses à long terme.
Ce treizième volume est particulièrement percutant par son sujet et son réalisme car il résulte d'un immense travail de documentation mené par Zola. Mais cette recherche en amont ne fait pas tout, il faut tout le talent de l'auteur pour donner sa force à Germinal.
La volonté également : Zola s'est constamment impliqué dans la vie de son époque. Nous connaissons tous son fameux "J'accuse...!" mais l'ardent défenseur de Dreyfus s'est engagé dans bien d'autres combats. Lors de ses obsèques, Anatole France déclara "Il fut un moment de la conscience humaine" et une délégation de mineurs de Denain accompagna le cortège funèbre aux cris de "Germinal ! Germinal !"

L'ouvrage se conclut sur une note d'espoir, ténu et fragile, annoncé dans le titre. Mais que de malheurs pour en arriver là !
Comme la végétation sortant de terre au moment de la germination, les mineurs finiront-ils par sortir de leur fosse ? La nouvelle saison qui arrive annonce-t-elle une vie nouvelle ? le printemps qui débute et incarne le cycle de la vie préfigure-t-il la fin du cycle de la misère ?

J'ai fini ma lecture. Je suis ressortie de la fosse, j'ai quitté le coron, mais une partie de moi est restée là-bas avec ceux qui sont devenus mes amis. Et une partie d'eux ne me quittera plus jamais.
Germinal a laissé une marque indélébile en moi.
Comment ne pas aimer lire encore plus après une pareille aventure ?
Et comment accepter que des imbéciles incultes osent qualifier les librairies de commerces "non essentiels" ?

Umberto Eco a dit : "Celui qui ne lit pas aura vécu une seule vie. Celui qui lit, aura vécu 5000 ans. La lecture est une immortalité en sens inverse."
En lisant Germinal, j'ai vécu des vies sombres, des vies pauvres, des vies tristes, des vies émouvantes.
Peu importe si je n'ai pas gagné la moindre part d'immortalité, j'ai gagné à coup sûr une grande part d'humanité.
Zola est un génie et je ne peux que me féliciter d'avoir prénommé l'aîné de mes fils "Émile".

Pour finir, je veux ajouter une réflexion, que certains jugeront peut-être hors sujet, mais je ne trouve pas qu'elle le soit.
"Était-ce possible qu'on se tuât à une si dure besogne dans ces ténèbres mortelles, et qu'on n'y gagnât même pas les quelques sous du pain quotidien ?"
Oui, c'était possible. C'était là toute la vie des mineurs au dix-neuvième siècle, mais ne croyez pas pour autant que ces temps soient révolus.
L'exploitation des êtres humains existe encore, mais on préfère fermer les yeux dessus pour rester sans mauvaise conscience dans notre petit confort.
Juste un exemple : les conditions d'extraction du cobalt, cet élément indispensable à nos batteries de smartphones, de vélos ou de voitures électriques. (Voir article ci-dessous)
Au lieu d'aller à l'école, des enfants de la République démocratique du Congo travaillent dans des mines malsaines et dangereuses, dans lesquelles des effondrements réguliers tuent abondamment. Mais ici, des industriels sans scrupules, soutenus par des politiciens corrompus, nous vantent à grand renfort de publicité les mérites d'une voiture "propre".
Ben, voyons !
Ils auraient tort de se gêner, ça fonctionne tellement bien !
Ils réussissent même à faire culpabiliser ceux qui ne changent pas leur véhicule, les faisant passer pour d'infâmes égoïstes responsables de tous les maux de la planète alors que les moteurs "traditionnels" ont fait d'immenses progrès et polluent de moins en moins, y compris les diesels... chose que l'on nous cache soigneusement, parce que l'on tient là un moyen simple de vendre toujours plus de voitures électriques et de forcer la main à des propriétaires qui auraient pu garder leur ancien véhicule encore en parfait état de marche.
Que la pollution liée aux batteries usagées qu'on ne sait pas recycler soit un vrai fléau, que le gaspillage de voitures passées à la casse inutilement soit scandaleux et que l'exploitation des enfants dans les mines soit révoltante ne compte visiblement pas face à tout l'argent que certains trouvent à gagner.
Où est l'écologie dans tout ça ? Loin, très loin.
De beaux mensonges pour enrober une sale réalité.
Non, Germinal n'est pas qu'un vieux roman, hélas...

https://www.ouest-france.fr/economie/entreprises/dossier-pour-nos-batteries-de-smartphones-ou-voitures-des-enfants-creusent-en-afrique-6971213
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