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Critique de berni_29


Émile Zola a imaginé et construit une immense fresque, Les Rougon-Macquart, bâtie sur vingt romans pour décrire et aussi décrier un certain univers social sous le Second Empire.
Je continue de cheminer pas à pas et de manière chronologique, dans cette oeuvre puissante, et me voici parvenu au treizième roman, Germinal, dont l'un des protagonistes est Étienne Lantier. Il est fort possible de lire Germinal indépendamment de l'ordre chronologique, mais vous vous privez alors de connaître d'où vient Étienne Lantier, de quelle lignée. Il est le fils de Gervaise Macquart et d'Auguste Lantier, vous savez, la fameuse Gervaise, ce beau et poignant personnage dans L'Assommoir. Mais surtout il appartient à la branche Macquart qui porte le poids d'une hérédité compliquée pour laquelle Zola n'hésite pas à utiliser le terme de dégénérescence. Étienne Lantier, magnifique héros du roman échapperait-il au destin terrible de la lignée à laquelle il appartient ?
Ma découverte de Germinal commence très jeune par le trouble d'une dictée où j'avais fait une faute à « Chacun havait le lit de schiste », le verbe présumé me semblant pourtant si facile et si évident.
Mais c'était sans compter sur l'émotion qui s'ensuivit, la lecture d'une oeuvre prodigieuse. Germinal est sans doute un des grands romans qui a marqué mon cheminement de lecteur dès le plus jeune âge et m'a offert ce goût des livres.
Chômeur, animé d'un idéal de vie échevelé, Étienne Lantier part dans le Nord de la France à la recherche d'un nouvel emploi. Il se fait embaucher aux mines de Montsou et découvre très rapidement les effroyables conditions de travail. Il trouve à se loger dans une famille de mineurs, les Maheu, et tombe amoureux de l'une des filles, la jeune Catherine. Celle-ci est la maîtresse d'un ouvrier brutal, Chaval, et bien qu'elle ne soit pas insensible à Étienne, elle se refuse à quitter Chaval...
Germinal, c'est l'inspiration des grandes grèves du siècle dernier. Elle nous est racontée par un journaliste d'investigation de génie, mais ce serait trop réducteur de qualifier ainsi l'écrivain sur ce seul registre. Car Zola est bien plus que cela ici, chroniqueur social, peintre des caractères et des moeurs, poète humaniste, tragédien... C'est tout cela Émile Zola...
Car Germinal est autant un réquisitoire social implacable, qu'une oeuvre romanesque de toute beauté qui dit l'humanité avec ses rêves, ses espoirs et ses douleurs.
Germinal, c'est le roman de la lutte des classes par excellence et ici plus que jamais je continue de penser que Zola est un romancier dont le propos n'a pas pris une ride. Ou alors c'est le monde autour de nous qui n'a pas changé. Ou bien alors, c'est le sentiment étrange qu'il continue de nous manquer furieusement pour poser ses mots sur les maux de notre époque...
L'humanité est là au fond de cette fosse qui s'appelle le Voreux, mais à la surface aussi, l'humanité à fleur de peau, sa misère, son désenchantement, broyée par la violence du capitalisme industriel, humiliée par le mépris et la fausse pitié gluante des bourgeois qui veulent tirer à toutes forces les rênes de cette histoire.
Le souffle romanesque est là, traversant les pages. Ce sont des tableaux qui s'enchaînent et se déploient comme une marée : une journée dans la mine, les réunions où gronde déjà la révolte ici dans l'arrière-salle d'une taverne, là dans une clairière, la confrontation avec les soldats, leurs frères, les frères des ouvriers, ces soldats qu'on croyait frères, l'agonie dans la fosse noyée et les jours d'attente, presque désespérés, et l'amour qui s'invite même jusqu'au fond de la mine...
Les paysages sont sombres qu'ils soient peints à la surface des corons ou de manière souterraine.
Il y a quelque chose de vertical dans ce mouvement de va-et-vient entre ce coin de ciel presque illusoire qui apparaît comme par intermittence et le fond de la mine où il faut chaque jour descendre, chaque jour remonter avec le poids des illusions chaque fois plus lourd. Alors, à force, c'est de plus en plus dur de descendre, de plus en plus dur de remonter. Ici nous sommes dans le ventre de la terre, qui gronde et gémit comme une bête.
Germinal, c'est un paysage englouti par des rêves brisés.
Les personnages de Germinal sont beaux parce qu'ils sont réels. Et sans doute le personnage qui m'a ici le plus touché est celui de Catherine, sa bouleversante destinée sonne comme un coup au ventre.
La force de Germinal se terre dans une puissance créatrice disant la beauté humaine qui se redresse, se lève face à l'oppression...
Dans ces colères qui s'agrègent de corons en corons, celles des foules, - l'âme furieuse des foules, il y a une âme collective. C'est une épopée.
On sent tout d'abord une force tranquille, puis qui se déploie telle une horde aveugle...
Il y a cette famille d'ouvriers, les Maheu, une tragédie poignante à elle seule qui traverse ce roman, avec son cortège de douleurs, les accidents de travail qui rendent inaptes, un enfant qui naît et c'est encore une bouche à nourrir, l'alcool, le désir, la jalousie, la mort...
Et cet amour qui se bataille jusqu'au fond de la mine, jusque sous la terre...
Il y a la fatalité de la mine qui tue à coup de grisous, et il y a l'ordre là-haut, le poids de l'ordre et des contingences économiques qui tue aussi ou fait tuer...
C'est presque digne d'une tragédie antique, il y a ici chez Zola un art sublime de conter...
Tout est magnifiquement rendu, emporté dans un mouvement vertigineux.
La compassion de Zola pour ce peuple de la mine est magistrale.
Ce peuple qui a faim, qui arrête de travailler mû par des forces fatales, va faire grève au prix d'un sacrifice effroyable, c'est une force qui bouillonne, bouscule, les envoie contre l'autre versant de leur destin avec la violence des histoires humaines, le bouillonnement des flots comme une mer en furie.
C'est une complainte, un chant qui vient des ténèbres.
On a envie d'évoquer le mot de misérables, puisqu'il est universel.
Au bout du compte, on sort de la mine, mais à quel prix , avec des images inoubliables qui étreignent comme un cauchemar. Mais surtout il y a la vie grandiose et chaotique.
Et puis Germinal, quel titre ! Un titre qui sent la sève, le parfum de la terre, un avril révolutionnaire, un geste qui sort des ténèbres, une graine qu'une main met en terre, le germe de l'espoir, une graine que Zola met dans nos mains...
Ce soir, je me souviens d'une école, d'une dictée au collège, d'une professeure de français qui m'a peut-être donné envie de lire et aimer Zola, ou tout simplement déposé une graine dans le coeur...
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