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Critique de berni_29


Je continue de cheminer de manière chronologique dans la saga extraordinaire des Rougon-Macquart et me voici parvenu déjà au dix-septième roman. Après le Rêve, voici Émile Zola renouant avec la noirceur, La Bête humaine est sans aucun doute à mes yeux l'opus le plus sombre des Rougon-Macquart. Nous descendons ici dans les bas-fonds de l'âme humaine.
Nous savons d'ores et déjà que cette saga convoque depuis son premier tome la douloureuse hérédité d'une famille sous le Second Empire.
La révolution industrielle qui est la toile de fond de beaucoup de romans de Zola donne ici naissance à l'ère toute nouvelle du chemin de fer.
Jacques Lantier, conducteur de trains et personnage central de ce récit sidérant, en est la parfaite illustration, hanté par le destin que lui a transmis sa mère par le sang, par cette lignée maudite, une certaine Gervaise, vous vous rappelez sans doute d'elle, triste héroïne de l'Assommoir, morte de misère, par le delirium tremens ou bien à cause de la violence de la société, c'est peut-être du pareil au même.
Est-ce lui la bête humaine, ce personnage cependant aimant, mais torturé par des pulsions destructrices qui le dévorent de l'intérieur tandis que l'amour d'une autre saura peut-être apaiser ses démons, qui sait ? Est-ce la Lison, la locomotive que conduit Jacques Lantier et qui tire l'express sur la ligne de chemin de fer le Havre-Paris ? C'est sur cette ligne que Jacques Lantier va être témoin d'un meurtre et que tout va remonter en lui, dans les abysses d'une eau saumâtre.
Telle une machine infernale et que rien ne peut arrêter dans son mouvement, nous sommes embarqués dans le tumulte macabre et obsédant du désir et des passions. C'est dans le sang qui bat dans les tempes de certains personnages du roman que la brutalité vient sourdre comme un écho dissonant. Parfois, Jacques Lantier est pris de cette envie de tuer lorsqu'une femme s'abandonne dans ses bras... Pourtant il est possible que la belle et fragile Séverine puisse enfin inverser le cours des choses, elle, jetée dans cette abomination, candide et touchante par sa douceur et la franchise de sa passion.
En dépeignant plusieurs crimes, dont celui central du roman, la Bête humaine ressemble à s'y méprendre à une sorte de thriller, avec comme arrière-pays que traverse cette locomotive lancée dans sa furie une société gangrenée par la crise, injuste avec ses laissés-pour-compte.
Ce qui est le thème dominant du roman, est-ce la folie qui conduit à la dégénérescence criminelle ?
L'originalité de cette histoire est qu'elle se déroule d'un bout à l'autre sur la ligne de chemin de fer de l'Ouest, de Paris au Havre. On y entend le continuel grondement de trains au milieu des voix, du bruit des âmes, d'un abominable drame qui se joue à l'aune d'histoires d'amour bousculées par les rebuffades et les jalousies.
Le côté sombre de l'histoire touche même les âmes qu'on croyait les plus fragiles, les plus innocentes, brouillant les cartes à jamais.
Parfois certains personnages ont le double privilège d'être assassin et victime.
La psychologie des personnages pourrait paraître immature, car ici chacun se livre à ses bas instincts, qu'il soit victime ou non d'une hérédité malsaine. Flore, la belle-fille du garde-barrière est peut-être mon personnage préféré dans sa folie amoureuse effrénée,
Il y a dans cette oeuvre crépusculaire la symbolique d'un peintre génial, faisant d'une machine, la Lison, un personnage mythique suscitant le désir, digne des monstres de la mythologique grecque. Dans ce dix-septième opus, j'ai trouvé une puissance d'évocation incroyable jusqu'aux scènes finales magistrales, laissant dans l'esprit de l'inconditionnel de Zola que je suis des images chaotiques et vertigineuses auxquels il ne m'avait pas encore habitué et que le cinéma ne saurait renier.
J'y ai croisé un souffle épique mêlée d'une mélancolie douloureuse et déchirante, que le coeur des personnages nous invite à toucher, à étreindre, pénétrant dans l'obscure conscience des âmes pour en remonter toute la lie...
Ici Zola nous parle de la fêlure de la condition humaine, à peine de manière exagérée, car la barbarie à visage humain n'a jamais fini de toucher les limites de l'incommensurable. Zola savait cela, allant visiter par son oeuvre le bord ultime de cette fêlure, sans jamais toucher les limites de ce paysage, vers lequel ce soir un train s'en va au loin que le rythme effréné du métal emporte dans mes songes...
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