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Critique de FredericSoulier


Bien que grand laudateur de Zola devant l'Éternel, je n'avais jamais entendu parler de ce roman jusqu'à récemment. Il faut dire que le père du roman naturaliste a été prolifique. Chacune des oeuvres de sa série les Rougon-Macquart, dans le zolaverse, est un pavé. Il faudrait presque une vie pour lire tout ce qu'il a écrit en une seule vie, le père Emile.

La débâcle prend donc pour cadre la guerre franco-allemande de 1870. A ce stade, il n'est pas impossible que je t'apprenne que la France et les Prussiens n'ont pas attendu 1914 pour se mettre une peignée. Ici, je vais endosser mon costume de Nota Bene, quelques kilos en moins, pour faire un point historique. S'il y a des erreurs, sache que c'est la faute de wikipedia. Je te fais la version courte pour les cancres.

Tout est parti du trône d'Espagne laissé vacant, sur lequel un prince allemand, j'ai plus son blaze, prétendait vouloir écraser sa raie princière. La France voyait d'un très mauvais oeil cette candidature, ne voulant pas se retrouver la viande hachée entre deux pains à hamburger teutons. L'Allemagne renonça à ses prétentions, parce que c'était poliment demandé, mais la France voulait des garanties que les teutons n'essaieraient plus jamais de postuler à Game of thrones. C'est là que l'ego de quelques individus a mis deux nations à feu et à sang. Reçu par le roi de Prusse, l'ambassadeur français fut plutôt bien reçu, avec les petits fours et le verre de schnaps. Un peu trop pour le chancelier Bismarck, qui ne cherchait qu'un prétexte pour faire entrer son pays en guerre ouverte avec la France. Il envoya un télégramme aux chancelleries étrangères, (la fameuse dépêche d'Ems) avec une version tronquée de l'entretien, dans laquelle l'ambassadeur français y était honteusement humilié. C'est tout l'honneur d'un peuple qui était souillé. Oulala, que ça tonnait aux tribunes politiques ! Et hop, vous avez une guerre.

Sauf que ça s'est assez mal passé pour la France et Napoleon III, et que son armée de paysans, opposée à une armée professionnelle, organisée, la deutsche qualität quoi, s'est pris une derrouillée qui lui a coûté beaucoup de vies et des milliards de francs. Une série de défaites, une énorme débâcle qui a atteint son point culminant à Sedan. Puis c'est carrément Paris qui fut assiégée, encerclée, affamée et copieusement bombardée.

Quand la France capitula, le conflit avait fait 139 000 morts chez les Français, et 51 000 chez les Prussiens. Ce fut notamment cette capitulation, cette "lâcheté" des bourgeois, qui conduisit à cette fameuse Commune de Paris, une révolte intestine, une guerre civile qui finit de détruire ce qui était encore debout.

Qui se souvient de ce conflit, hormis quelques férus d'Histoire ? Tout le monde a entendu parler des deux guerres mondiales, mais qui sait qu'en 1870-1871, l'homme a créé la première boucherie industrielle ? Peu de gens, je présume.

Contemporain de cette guerre et de la Commune, Zola écrit la formidable amitié entre deux soldats français que tout oppose, issus de deux classes différentes. le lettré et le paysan. D'abord, c'est l'attente, l'ennui, les errements tactiques et les indécisions du commandement, qui s'échine à ne pas vouloir engager le combat. Puis, quand il est inévitable, c'est déchaînement de violence, le vrai, à Sedan et ses alentours. C'est à dire que les obus tombent et les balles sifflent, et que les morts s'entassent sur les morts de la minute d'avant. Zola n'épargne rien du spectacle dégueulasse de la guerre, toujours dans ce style si particulier, si beau et emphatique, mais j'y reviendrai... C'est même franchement gore, la cervelle répandue, les membres cassés et pendouillant, les viscères à l'air, les os nus ; 150 ans plus tard, certaines âmes sensibles pourraient même s'en trouver très bouleversées. Quel scandale a dû provoquer ce bouquin à son époque.

C'est d'une modernité incroyable ; bien sûr, certains dialogues sont un peu datés, et je ne sais pas si s'exprimait ainsi à l'époque, mais la légèreté de pas mal de répliques, faites lors de situations extrêmes (comme par exemple lors d'une amputation dans une ambulance ou lors d'une exécution sommaire) m'ont paru franchement fantaisistes, pour ne pas dire irréalistes. Mais je n'ai jamais aimé Zola pour ses dialogues.

Son style éblouissant m'a peut-être aussi moins impressionné que d'habitude. A force, je commence à y voir une sorte de recette, des gimmicks d'écriture pas toujours du meilleur goût. Par exemple je ne compte plus le nombre de fois où Zola nous sort son flow, pardon, son flot : flot d'hommes, flot de cheveux, flot de chevaux, flot de sang, flot de canons...

Zola, contrairement à ce qui se prétendit à l'époque, ne signe pas un roman antipatriotique, mais un roman puissamment antimilitariste, qui, comme dans Fratricide de Patrice Quélard, fustige l'incompétence des chefs, et la vanité des guerres. Il l'est encore plus aujourd'hui, alors que L Histoire a ajouté quelques grandes et sanglantes guerres à son pedigree. Je pense à tous ces jeunes hommes qui sont allés se faire trouer la paillasse, se faire déchiqueter, pour des motifs ridicules, parce qu'ils croyaient que s'il ne faisaient rien, il n'y aurait plus rien après eux. Comme le disait Brassens :


"Et comme toutes sont entre elles ressemblantes

Quand il les voit venir

Avec leur gros drapeau

Le sage, en hésitant

Tourne autour du tombeau, "mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente

D'accord, mais de mort lente"

Encore s'il suffisait

De quelques hécatombes

Pour qu'enfin tout changeât, qu'enfin tout s'arrangeât

Depuis tant de "grands soirs" que tant de têtes tombent

Au paradis sur terre, on y serait déjà

Mais l'âge d'or sans cesse

Est remis aux calendes

Les Dieux ont toujours soif, n'en ont jamais assez

Et c'est la mort, la mort

Toujours recommencée, mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente

D'accord, mais de mort lente

Ô vous, les boutefeux

Ô vous les bons apôtres

Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas

Mais de grâce, morbleu

Laissez vivre les autres

La vie est à peu près leur seul luxe ici-bas

Car, enfin, la Camarde

Est assez vigilante

Elle n'a pas besoin qu'on lui tienne la faux

Plus de danse macabre

Autour des échafauds, mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente

D'accord, mais de mort lente"

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