AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4

sur 585 notes
5
22 avis
4
27 avis
3
7 avis
2
3 avis
1
0 avis
Emile Zola - La Débâcle - 1892 : On n'évoque jamais la débâcle quand on parle des livres sur la guerre qui ont compté dans l'histoire de la littérature. Pourtant c'est un des plus poignant écrit sur le sujet. Fort de sa fibre naturaliste Zola décrivait avec un réalisme cru les misères des soldats épuisés par les marches et les contremarches, affamés par le manque de ravitaillement et démoralisés par les inepties d'un commandement complètement dépassé par la situation. Il n'excluait pas non plus les souffrances des civils témoins des destructions et de l'humiliation d'un pays foulée au pied par un ennemi trop fort. le courage inutile des soldats français dans des batailles perdues d'avance sonnait le glas d'un empire en complète décrépitude à l'image de Napoléon III qu'on croisait au fil des pages ravagé par la maladie et le désespoir. L'écrivain au plus près du récit historique trempait ses personnages dans les épisodes mythiques d'un conflit qui ne rapporta que peu de gloire à une armée totalement déboussolée par l'incurie de ses chefs. Pourtant malgré la situation désespérée des héros anonymes firent le coup de feu jusqu'à la mort dans des épisodes restés célèbres comme à Bazeilles dans la maison des balles ou en participant à la charge insensée de la division Marguerite sur les lignes de défenses prussiennes. En effet ces cinq milles cavaliers lancés sabres au clair firent preuve d'une telle furia que l'empereur allemand présent sur les lieux ne pu s'empêcher de s'écrier «Ah les braves gens !!». Outre les morts, ce déchaînement de violence engendra un nombre de blessés effrayant qui subirent dans leur chair mille tourments liés à une situation sanitaire catastrophique. Zola pouvait laisser libre cours à son emphase en dépeignant les éclopés, les fiévreux et les agonisants rendus fous par la peur de mourir et la douleur. Ce livre n'était pas qu'un compte rendu asymétrique des évènements qui pendant quelques semaines enflammèrent les Ardennes et la Lorraine, c'était aussi à cause ou malgré les combats une belle histoire d'amitié entre Jean le paysan raisonnable et Maurice le citadin révolté. Ces deux-là après des débuts difficiles se donnaient l'un à l'autre comme des frères avant de laver ce lien dans le fracas terrible de la commune de Paris. Dans une coïncidence fortuite comme seuls les romanciers de l'époque pouvaient se le permettre, Jean passé dans l'armée Versaillaise transperçait de sa baïonnette Maurice qui continuait sa lutte contre l'ordre établi au côté des insurgés. Aucun apaisement ne venait donc pour eux de la fin d'un conflit qui les privait chacun de l'essentiel, l'un de la vie et l'autre de l'amour. Car Henriette la soeur du jeune sacrifié qui devait donner son corps et son âme à l'ami parfait s'éloignait dans un veuvage décidé qui excluait le meurtrier de son frère. Ce livre en même temps que la déchéance de l'empire signait la fin des Rougon-Marquart en tant que dynastie. Eux qui s'étaient élevés à la suite de cette nouvelle élite retournaient dans l'anonymat du peuple et dans des vies sans éclats… un ouvrage magnifique et terrible
Commenter  J’apprécie          8611
"La débâcle" est le dix-neuvième tome des Rougon-Macquart, soit l'avant-dernier alors que c'est lui qui pourtant clôt la série, faisant office de conclusion historique en relatant la chute de l'Empire. Zola nous invite ici au coeur même de la guerre, celle de 1870-1871, dans laquelle on assiste à la défaite des français face aux prussiens.

Nous retrouvons ici Jean Macquart, que nous avions suivi dans "La terre", quinzième tome de la série. Ce dernier, après le drame qu'il a vécu, s'est réengagé dans l'armée. Caporal dans le 106ème régiment, il se lie petit à petit d'amitié avec Maurice, chacun sauvant tour à tour la vie de l'autre. Ayant pourtant des idéologies différentes, nous assistons à une amitié de plus en profonde, dans laquelle chacun vit le calvaire de l'autre. La guerre, la mort, le sang, la faim et les intempéries les rapprochent, au point de devenir comme des frères, se partageant leur quotidien, les unissant pour la vie. Jean fera même la connaissance d'Henriette, la soeur jumelle de Maurice qui vient de perdre son mari, exécuté par les prussiens, et avec qui il se trouve des affinités...

Le roman se découpe en trois parties : avant, pendant et après la bataille de Sedan. Nous sommes d'abord projetés sur les routes de l'Est de la France, un peu au hasard en fonction des ordres contradictoires de nos supérieurs, quand ordre il y a. Nous marchons, beaucoup, sans vraiment savoir où nous allons, les destinations pouvant changer continuellement, jusqu'à plusieurs fois d'un jour à un autre. Nous marchons donc, vers l'incertitude, vers l'incompréhension, vers la confusion, vers le désarroi. L'attente, les retraites forcées, la lenteur de la marche, le mépris et l'incompétence des gradés nous mettent en colère (nous ne sommes pas des toupies !), nous démoralisent. Et quand nous sommes enfin "invités" à participer à la bataille, nous sommes éreintés et démoralisés, nous avons très faim et ne sommes pas en mesure de donner notre maximum...

Puis nous sommes au coeur même de la bataille, nous y assistons de plusieurs points de vue : celui des soldats, sans ou peu gradés, par le biais de Jean et Maurice ; celui de la cavalerie (Prosper) et de l'artillerie (Honoré) ; celui des soigneurs et des ambulances (Bouroche) ; celui des civils (Henriette, Delaherche).

Et enfin, après la terrible défaite qui a coûté énormément de vies, nous sommes d'abord faits prisonniers par l'armée allemande, avant de lui échapper. Débute alors la "semaine sanglante", que là encore nous assistons de plusieurs points de vue : celui des "communards" et celui de l'armée de Versailles.

Grâce à la précision de Zola, à sa minutie à vouloir tout nous raconter dans les moindres détails et de la manière la plus réaliste possible, j'ai pu moi-même me rendre compte de toute l'horreur de la guerre, tellement je m'y suis cru. Zola a dépeint chaque évènement de manière incroyable, n'a strictement rien omis. Il nous parle des ressentis de ses personnages aussi bien qu'il le fait des épisodes tragiques, sanglants, sordides lors des combats. S'il nous faut parfois avoir l'estomac solide lors des passages les plus sanglants, il ne nous faut pas oublier non plus savoir ouvrir notre coeur pour les passages plus doucereux.

Zola s'est ici surpassé. Il a su raconter la guerre et toutes ses horreurs d'une manière telle qu'il m'a totalement envoûtée. J'ai eu quelque peu du mal avec la première partie, que j'ai trouvée parfois longue et répétitive. J'ai été en revanche complètement absorbée dans les deux dernières. Tout est parfaitement décrit. Chaque évènement apporte son lot d'horreurs (ou au contraire de douceurs) mais il le fait de manière telle qu'on ne désire qu'une chose : continuer à lire quand même, afin de savoir ce qu'on nous réserve par la suite.

J'ai fini par m'attacher à chacun des protagonistes, ce qui est plutôt rare en ce qui me concerne dans les romans de Zola. On se doute que le sort de chacun ne sera pas tout rose : n'oublions pas que c'est la guerre et que les français se prennent une sacrée déculottée (n'oublions pas non plus que c'est du Zola !). Et pourtant, on les apprécie de plus en plus, on les aime même, au point que je me suis mise à espérer la clémence de l'auteur pour certains d'entre eux.

Comme à mon habitude, je n'ai pas lu la quatrième de couverture avant lecture, toujours dans mon objectif d'en connaître le moins possible et garder un effet de surprise dans le déroulé des événements. Ce livre n'étant quasiment jamais passé sur mon fil d'actualité, je ne savais en fait pas grand-chose de l'intrigue, ou du moins celle propre aux personnages. J'ai donc savouré ma lecture comme il se doit. Et je me félicite d'avoir agi ainsi, puisque l'édition que je possède dévoile tout du dénouement dans le résumé de sa quatrième...

"La débâcle" est l'un des Rougon-Macquart les plus poignants, les plus marquants. Ultra-réaliste, il ne nous laisse pas indemne au sortir de notre lecture. Et la plume de Zola, toujours aussi méticuleuse et envoûtante, y est pour beaucoup.
Commenter  J’apprécie          624
Petite mise au point préalable:
- les récits de guerre , les longues explications stratégiques m'ennuient au plus haut point.
-même dans Les Misérables, relu trois fois,  l' interminable évocation de la bataille de Waterloo  a sur moi un effet soporifique garanti.
-je croyais naïvement que La Débâcle parlait de ma chère Commune de Paris: seule la semaine sanglante sert de théâtre tragique à sa conclusion.

Que diable allais-je donc faire dans cette Débâcle où les armées françaises s'enlisent dans l'hésitation, les revirements, les ordres et les contre- ordres avant de se faire piler vilainement à Sedan, puis trimballer, affamer, essorer de camp en camp , tandis que, dans la ville, des ambulances de campagne se transforment en boucheries, sans pansement, sans morphine, sans médecins -sang, sang, sang, par contre, beaucoup de sang- , et que les chevaux de cavalerie, démontés, débandés, déchaînés deviennent des hordes cannibales qui ravagent, mordent et tuent, rendues folles par la peur, l'abandon et la faim?

Eh bien la réponse est déjà dans ma question, laquelle  s'est laissé emporter,  malgré toutes les préventions évoquées plus haut,   par l'extraordinaire puissance de cette chronique en rouge et noir d'une défaite annoncée.

La Débâcle,  je l'avoue, oui, j'ai kiffé grave!

Dans ce maelstrom d'armées en déroute,  de soldats perdus, de généraux incompétents et sans fesse -Mac-Mahon, ce sinistre guignol, a perdu la sienne dans la bagarre!- sous le regard aussi navré qu'impuissant d'un Napoléon III quasi moribond, ridiculement escorté, sur le champ de bataille, par la cohorte rutilante  de ses bagages  et tout a fait dépassé par les événements , se déroule le grand rouleau compresseur de la défaite, de la chute et  de la honte. "Cinquante ans avaient suffi,  le monde était changé,  la défaite s'abattait, effroyable, sur les éternels vainqueurs. " rappelle,  cruellement , Zola.

Pour donner une échelle humaine susceptible de mesurer l'ampleur de ce désastre, deux personnages: le paysan et le lettré,  le terrien et le bourgeois, le conservateur et le révolutionnaire -en tout cas deux ennemis de classe-  Jean Macquard et Maurice Levasseur, d'abord hostiles l'un à l'autre, vont, au gré des périls et des péripéties, se rapprocher, devenir plus que des frères d'armes: des frères tout court!

Quelques personnages secondaires , éparpillés comme des santons sur l'échiquier guerrier permettent à Zola, au prix de quelques coïncidences un peu forcées, d'avoir le don d'ubiquité qui donne chair, sang et perspectives à ce récit formidablement mené. 

Les rythmes lents, les mouvements confus du début , deviennent  cavalcades véhémentes, charges furieuses, débandade éperdue, sous l'entropie dévastatrice de la débâcle. La guerre fait aussi son tri parmi les hommes et les femmes, distinguant les héros et les lâches, les victimes et les traîtres, les profiteurs et les purs, les assassins et les sauveurs.

C'est le grand révélateur de l'âme humaine.

Et, quittant Sedan où nous n'avons que trop piétiné, c'est un  Paris exsangue, cerné par Prussiens et Versaillais, une  Commune mise à feu et à sang, qui prête sa scène tragique aux  retrouvailles de Jean et Maurice, les deux amis...

Je n'en dirai pas plus! Laissez-vous emporter par la Débâcle. ..

Du grand Zola !
Commenter  J’apprécie          6114
Cette débâcle-là, présente beaucoup d'analogies avec l'épisode beaucoup plus tardif de la Seconde Guerre mondiale, et bien des ressemblances avec la boucherie de 14-18, à ceci près que quelques mois suffirent pour que la France ne s'avoue vaincue.

Jean Macquart a quitté sa campagne avec le décès de son épouse, pour rejoindre l'armée. C'est un soldat futé, que son illettrisme cantonne au rade de caporal. Avec sa troupe, il attend. Il attend l'arrivée prédite des Prussiens, que la presse et les infos officielles condamnent d'avance à une défaite humiliante. Ces moments là sont interminables, et les soldats rêvent d‘en découdre , jusqu'à ce que le combat débute vraiment, avec son cortège d'horreurs, de trouille au ventre, de souffrance physique liée à la faim, au froid au manque de sommeil. La guerre dans toute son abjection.

La brièveté de l'épisode militaire rebondit sur les troubles civils, alors que l'armée allemande s'est installée à Versailles et que les forces de l'ordre massacrent littéralement les communards, alors que Paris flambe de toute part.


Zola épingle cette fois l'armée et ses insuffisances, et avec un commandement peu clairvoyant et un empereur qui a perdu de sa superbe.

On suit des personnages dont la guerre révèle les vices ou les vertus, qu'ils profitent de l'opportunité de tirer leur épingle du jeu ou qu'ils mettent en péril leur propre vie pour secourir leurs proches, dans un élan d'humanité et de patriotisme.

L'avant-dernier opus de la saga ne dénote pas par rapport à l'ensemble de la la série, ni par le style ni par ce gout de l'exhaustivité dans la description d'un domaine particulier de ce qui fait le monde de son époque, tout en captant le lecteur qu'induit avec intérêt le destin de quelques personnages qui lui deviennent familiers.



Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          580
C'est un livre étonnant… Après le Rêve, roman intimiste, subtile petite épopée personnelle remplie de détails et de songes, Emile Zola fait sauter le toit de la chaumière et se rue sur la scène de l'Histoire en choisissant d'évoquer la bataille de Sedan et le siège de Paris qui précède l'établissement de la Commune en 1871.


L'individu a encore son rôle à jouer mais il est ici subordonné à la marche esclavagiste de la nation. On retrouve et découvre bien quelques personnages aux caractères nettement définis mais leurs actes et leurs pensées sont subordonnés à l'évolution nécessaire d'un régime. Ici, Emile Zola semble moins se passionner pour l'étude des caractères humains que pour l'étude d'une nation. Il procède en journaliste moderne : c'est en ne participant pas aux batailles qu'il décrit dans son livre qu'il essaie d'en restituer la vérité, nuancée par l'imagination de son esprit littéraire. Richement documenté en amont, notamment par l'intermédiaire de Duquet, il repart également sur la route parcourue par l'armée de Mac-Mahon de Reims à Sedan afin de procéder à l'autopsie d'un champ de bataille sur lequel il passa 14 jours. Ses pages denses témoignent de cette volonté de représenter crûment la vérité et de briser l'héroïque légende de la lutte militaire. La réalité se saisit également dans le langage, qu'Emile Zola n'a jamais négligé dans ses romans, et la plupart de ses dialogues saisissent à vif l'effroi suscité par les scènes de carnage et l'incompréhension d'hommes dépassés par l'histoire qui se joue au-dessus et au détriment de leurs carcasses. le rythme, l'oralité et l'argot font déjà penser au style célinien…


« On se bat dans un enclos, on défend la gare, au milieu d'un tel train, qu'il y avait de quoi rester sourd… et puis, je ne sais plus, la ville devait être prise, nous nous sommes trouvés sur une montagne, le Geissberg, comme ils disent, je crois ; et alors, là, retranchés dans une espèce de château, ce que nous en avons tué, de ces cochons ! Ils sautaient en l'air, ça faisait plaisir de les voir retomber sur le nez… Et puis, que voulez-vous ? Il en arrivait, il en arrivait toujours, dix hommes contre un, et du canon tant qu'on en demandait. le courage, dans ces histoires-là, ça ne sert qu'à rester sur le carreau. Enfin, une telle marmelade, que nous avons dû foutre le camp… N'empêche que, pour des serins, nos officiers se sont montrés de fameux serins, n'est-ce pas, Picot ? »


La Débâcle recèle des passages fameux qui ne flattent pas l'esprit militaire. Et cependant, le doute s'insinue à la fin du livre concernant la démarche adoptée par Emile Zola pour son écriture. Il faut lire l'introduction de Henri Guillemin pour comprendre l'inconfort de la position zolienne lorsqu'il publie son livre, trente ans seulement après l'avènement de la Commune. L'épisode est encore frais dans la mémoire nationale et s'il ne veut pas se départir de son ambition naturaliste et rester fidèle à lui-même, Emile Zola sait aussi qu'il doit plaire à l'élite intellectuelle qui l'attend au tournant de l'Académie. Il faut donc éviter de raconter la lâcheté des décisions militaires prises par Bazaine, par Thiers ou par Fabre, ne pas parler des guerres en province, omettre d'évoquer l'acharnement des bureaux militaires à ruiner l'action de Gambetta, voire inventer des scènes de bataille pour la défense de Paris qui n'ont jamais eu lieu car, en quatre mois et demi de siège, les autorités civiles et militaires avaient seulement hâte de se rendre pour le salut des structures sociales. Il ne faut pas révéler les actes antisociaux commis par le pouvoir lors de cette période critique mais Emile Zola ne se contente pas de détourner le regard, il exalte également la répression de la Commune, « saignée nécessaire pour se laver du socialisme ». La victoire de Jean Macquart apparaît finalement comme la victoire de la « vraie France qui se redresse ».


On imagine quelle lutte a dû mener Emile Zola pour mener à bien ce témoignage militaire si impitoyablement attendu par les autorités en place. La Débâcle constitue un compromis entre réalisme et roman de commande –un acte de prostitution qui témoigne de la violence des tensions encore présentes en France trente ans après la Commune. Malgré ses compromis mondains et politiques, il reste un roman sous-tendu par une volonté d'authenticité et un dégoût profond pour la guerre. Emile Zola réaffirma ses positions quelques années plus tard lors de l'affaire Dreyfus. Celle-ci sera considérée comme une trahison immonde par rapport à la Débâcle par les membres de l'Académie.

Lien : http://colimasson.blogspot.f..
Commenter  J’apprécie          494
On le sait, Zola est un maître de la description et là où Balzac et Proust, chacun dans leur registre, me font me décrocher la mâchoire d'ennui, Zola parvient toujours à m'emporter dans l'élan de son souffle dramatique.

Avec "La débâcle" qui relate l'issue de la guerre de 1870 contre la Prusse (comprendre l'Allemagne), Zola nous rafraîchit la mémoire et aussi vrai que toutes les guerres se ressemblent, il nous fait prendre conscience de cet éternel recommencement, de ce feu qui ravage et fait table rase, de cette vie blessée qui renaît douloureusement quand les canons se sont enfin tus ; de même, nous prenons conscience avec un pincement à l'âme que ce conflit de 1870, pourtant pas encore si éloigné de nous, s'efface inexorablement de la mémoire collective, sort commun dévolu à chaque guerre, quelle que soit la portée du traumatisme qu'elle a engendré.

Revenons au roman. Comme on peut rapprocher "La joie de vivre" de Zola d'"Eugénie Grandet" De Balzac, publié antérieurement, on peut également rapprocher "La débâcle" de Zola du "Feu" de Barbusse, publié ultérieurement. Ou bien est-ce simplement l'universalité de la guerre qui confère à ces derniers ce même caractère naturaliste lorsqu'au sein de l'escouade on s'attache à chacun de ses membres, on souffre avec eux du froid, de la faim, de la peur ? Toujours est-il que c'est encore une fois avec un grand réalisme que Zola nous immerge totalement dans son récit jusqu'au dénouement sanglant de la Commune de Paris qui clôt le récit sur des scènes dignes du "Guarnica" de Picasso.

Roman violent et passionné, "La débâcle" rappelle quelques uns des tomes les plus sombres des Rougon-Macquart dans sa dimension tragique et si Zola n'aborde le thème de la guerre que dans celui-ci, c'est justement pour renforcer sa grande intensité.

Parmi les nombreux personnages, saluons Maurice et Jean dont l'amitié fraternelle serre le ventre, et la figure féminine d'Henriette qui m'a énormément plu et que Zola érige en allégorie de la paix et de la tendresse face à la folie des hommes. Folie elle aussi condamnée à un éternel recommencement...


Challenge MULTI-DÉFIS 2018
Challenge XIXème siècle 2018
Challenge 50 OBJETS 2018 / 2019
Challenge PAVES 2018
Commenter  J’apprécie          455
Quel travail phénoménal que ce dix-neuvième tome des Rougon-Macquart !
Sur une trame rigoureusement historique, excepté quelques petites entorses temporelles, ou kilométriques, Zola nous fait traverser la guerre de 1870 auprès de soldats, de généraux, de capitaines, d'habitants de Sedan, de jeunes femmes, tous pris en étau dans ce tragique affrontement qui signe la chute du Second Empire.
Impressionnante consultation d'ouvrages, prises en compte de témoignages militaires et civils, imprégnation des lieux en mettant ses pas dans ceux de l'armée, en foulant le champ de bataille pour remplir de notes une centaine de feuillets. Je ne peux être qu'éblouie par cette extraordinaire exploitation de toute cette montagne d'informations qui a donné naissance à un ouvrage si détaillé, minutieusement élaboré, mêlant l'Histoire au romanesque d'une façon si intime que la lecture nous emporte dans un tourbillon littéraire. Ces plus de sept cents pages passent comme un ouragan.

En ce tout début d'août 1870, le 7e corps dont faisait partie l'escouade menée par le caporal Jean, l'ancien paysan qui a quitté sa terre, arrive tout près de Mulhouse. Dans ses rangs, on peut entendre le refrain classique d'une victoire certaine et rapide. Il suffit de passer le Rhin et surprendre les Prussiens « Une simple promenade militaire, de Strasbourg à Berlin. »
Dans cet escadron, le jeune Maurice, avocat et engagé volontaire, exalté, déterminé à se battre, se charge de haine face aux ordres de Jean, ce paysan sans éducation.
Une organisation défaillante, des effectifs moindres, un ravitaillement et des dépêches qui tardent font douter Jean face à l'inaction des troupes. le plan initial est resté un rêve et la réalité prend la couleur de chances perdues pour atteindre la victoire. Et lorsqu'une petite victoire est entendue, elle est vite effacée par un écrasement prussien. Pourtant, pour certains, la certitude d'une raclée prochaine à ces cochons de Prussiens ne peut être mise en doute. Cette nuit d'août, les défaites s'additionnent, au petit matin les Français sont battus « une aube de deuil se levait ».
Dans une grande bousculade, la compagnie fait retraite dès le lendemain de son arrivée.

Bien plus fortes que des images, les phrases de Zola font exploser la débandade des troupes dans la confusion générale des ordres mal donnés. Les charges des soldats, trop lourdes, sont laissées sur le bas-côté, puis les fusils. Dans le contraste des journées éclatantes de ce mois d'août, les départs des Alsaciens sauvant le peu qu'ils peuvent emporter, offrent un spectacle criant de désespoir de cette fuite face à l'ennemi.
Puis ce sera la marche sur Verdun et Zola ne laisse rien, n'ignore rien sur ce chemin. La fatigue, la faim, le découragement, une intendance complètement désorganisée, la confusion des changements d'ordres, tant de journées perdues pour une marche vers une mort assurée.
Zola nous fait peiner dans la pluie et la boue de l'Aisne, le dos meurtri par les charges et les fusils, et répand le désespoir, la démoralisation et la lassitude de toute la troupe. Pendant des semaines, pas un coup de feu n'est donné, pas une rencontre avec l'ennemi ne survient.
Les batailles, les replis, toute l'Histoire se déroule, abominable, n'épargnant rien ni personne. Les haines ruissellent, devenant torrents et éclaboussant tout sur leurs chemins. La cuisante désillusion des éternels vainqueurs, ratatinés face un petit peuple insignifiant, est difficile à admettre.
Et pendant cette marche, de paysan mal dégrossi, Jean devient un brave homme aux yeux de Maurice après quelques paroles et gestes bienveillants. Une gratitude vient remplacer la haine. Jean s'inquiète des souffrances du jeune Maurice, comme un petit frère à protéger. L'amitié prend force alors que le conflit gonfle en intensité. Les bruits de canons entendus dans le lointain deviennent des tirs sanglants, sans relâche, ravageant les soldats et les civils. La bataille de Sedan ensanglante les pages. Sous les brouillards qui s'élèvent de la Meuse, les obus font frissonner et voler en éclats habitations, routes, soldats, civils.
Tous les détails donnés avec l'admirable plume si accrocheuse de l'auteur nous vrillent l'estomac, la nausée de ce champ de bataille monte et, en arrière, les blessés agonisants nous font crier quelle saleté de guerre !
Deux figures féminines, Silvine, Henriette, viennent se greffer sur ce tableau de misère, sur cette folie de guerre broyant tout, dans leur coeur, dans leur chair.
Alors que champs, prairies verdoyantes, arbres séculaires se gorgent de soleil, les hommes se massacrent les uns les autres sous les obus, les balles et les baïonnettes. Pour se terminer, quelques mois plus tard, en points incandescents dans tout Paris, les communards voulant tout nettoyer, surtout ne pas céder, ne pas faire entrer la honte dans la capitale.

J'ai tardé à lire La débâcle, craignant l'ennui d'interminables pages sur des affrontements militaires. Mais ici, tout est si fort. Et les personnages, se faufilant avec tant d'aisance et d'ardeur dans les évènements historiques empêchent résolument d'éprouver le moindre désagrément de lecture. C'est, une fois de plus, un ouvrage époustouflant d'un Zola que je ne peux cesser d'admirer.
Commenter  J’apprécie          352
Nous amorçons la courbe de la série des Rougon-Macqaurt, c'est la chute, de la même manière qu'elle est montée avec le second empire, elle va aussi chuter avec elle. Comme le titre l'indique, la débâcle, c'est une chute vertigineuse pour un empire qui a fait rêver au point qu'on l'ait cru invincible, puisque l'oncle Napoléon 1er est passé pourquoi pas le neveu Napoléon troisième qu'on retrouve anéanti, terrassé, affligé dans certaines parties de cet ouvrage.
Commenter  J’apprécie          320
Bien sur il y a eu beaucoup de roman sur une période de guerre ,toutes celles du moyen âge, la révolution, les batailles de Napoléon 1er, celle ci de 1870, les deux guerres mondiales, 1914-1918, 1939- 1945, etc
"le feu" de henri Barbusse, "ceux de 14 de Maurice Genevoix , je ne vous en cite pas plus ,ils sont nombreux.
Celui ci m'a pris aux tripes ,Un des meilleurs Zola,sur un fait historique qui relate l'issue de la guerre de 1870 contre l'Allemagne, sur cette période de 1870 assez méconnue.
Zola nous rafraîchit la mémoire et aussi vrai que toutes les guerres se ressemblent, il nous fait prendre conscience de cet éternel recommencement , qui écrasent militaires et civils dans la débacle et la mort.
Serait ce le propre de l'homme ? tuer, tuer et encore tuer ses semblables ,pour un pouvoir quelconque , et pour être plus riche en argent ?
oui !malheureusement .
Bizarre ,car je relis "la débacle" par petites touches et je m'aperçois qu'en 2023 rien n'a changé !!

Tout y est décrit avec minutie ;il se lit d'une traite, mais moi je ne veux pas , surtout un roman historique de cette valeur, Il est tout simplement exceptionnel .
Comme chaque fois dans la guerre une amitiè fraternelle nait entre deux combattants , Maurice et Jean quand je lis ces passages cela me serre le ventre, n'oublions pas
Henriette , ah cette femme ! qui est une colombe face à la folie des hommes !
Faut il des guerres pour que des hommes s'aiment ? bon sang jamais cela ne s'arrêtera ?
Là est le sujet ; description des prémisses de la bataille de Sedan; vivre comme si on y participait entièrement à cette bataille , et quelles évidemment vivre ses conséquences.
voila ou Zola nous entraîne .
Je réitère !pourquoi? pour qui la guerre ? à pleurer, car je ne sait pas honnêtement!
Je ne boude pas ce livre au contraire ! qu'on le lise encore , afin de prendre conscience de ce que peut entrainer une geurre sur nos vies d'adultes et surtout celles de nos enfants .
" La guerre, c'est la vie qui ne peut pas être sans la mort".
Commenter  J’apprécie          277
La guerre annoncée depuis les premiers volumes de la série est enfin déclarée : la France et la Prusse s'affrontent au nord-est de la France. On retrouve Jean qui, veuf et malheureux, a quitté la Beauce à la fin de la terre. Il a retrouvé son grade de caporal et il mène le 106° de ligne vers Sedan et Verdun où l'on se bat. « Puisqu'il n'avait plus le courage de la travailler, il la défendrait, la vieille terre de France ! » (p. 6) Il a sous son commandement Maurice Levasseur, un jeune homme bien élevé qui s'irrite tout d'abord de devoir répondre aux ordres à ce paysan sans éducation, puis qui développe pour lui une véritable admiration. Les épreuves se succédant, les deux hommes deviennent de proches amis, chacun sauvant l'autre des Prussiens. Mais le jeune homme est habité d'un terrible sentiment macabre. « Maurice, à ce moment, au fond de l'ombre frissonnante, eut la conscience d'un grand devoir. Il ne cédait plus à l'espérance vantarde de remporter des victoires légendaires. Cette marche sur Verdun, c'était une marche à la mort, et il l'acceptait avec une résignation allègre et forte, puisqu'il fallait mourir. » (p. 62)

Le 106° de ligne avance donc vers le nord-est, bien résolu à en découdre, mais la gaillardise bravache des débuts succombe rapidement devant les avanies de la marche. L'armée française apparaît désorganisée et les hommes sont torturés de faim et de fatigue, lassés des manoeuvres inutiles et des marches sans but. Les troupes sont épuisées avant même d'avoir livré un combat et l'indiscipline envahit les rangs. le tableau est celui d'une absurdité tragique puisqu'il est certain que cette désorganisation bouffonne finira en massacre. Et de fait, dès les premiers affrontements, l'armée prussienne mieux organisée écrase les troupes françaises. La guerre ne fait pas long feu et les soldats français sont faits prisonniers. Pendant ce temps, à Paris, la colère gronde et la Commune se prépare.

Outre Jean et Maurice, on rencontre Henriette, la soeur de Maurice, mais aussi Sylvine et Honoré, deux amants séparés, Delaherche et sa légère épouse Gilberte, ainsi que le père Fouchard, paysan placide qui regarde la guerre d'un oeil morne. Mais rien, ni les combats, ni les morts, ne viennent perturber la sérénité immuable de la campagne. Les paysans continuent à travailler la terre, comme de toute éternité. « Ce n'était pas parce qu'on se battait que le blé cesserait de croître et le monde de vivre. » (p. 260)

Ce volume des Rougon-Macquart ne m'a pas vraiment conquise et c'est d'autant plus dommage que j'ai retrouvé Jean, le héros de la terre, roman que j'ai particulièrement apprécié. Je suis passée un peu à côté des récits de marches militaires et d'affrontements. Mais Zola sait décidément parler de tout avec brio et la guerre offre un passionnant terrain d'analyse de la nature humaine : certains se montrent lâches, d'autres sont plutôt opportunistes, d'autres encore ont le patriotisme chevillé aux godillots et à l'âme. La débâcle reste donc un très bon roman, en dépit de quelques longueurs.
Commenter  J’apprécie          260




Lecteurs (2094) Voir plus



Quiz Voir plus

Les personnages des Rougon Macquart

Dans l'assommoir, quelle est l'infirmité qui touche Gervaise dès la naissance

Elle est alcoolique
Elle boîte
Elle est myope
Elle est dépensière

7 questions
592 lecteurs ont répondu
Thème : Émile ZolaCréer un quiz sur ce livre

{* *}