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Critique de Biblioroz


Quel travail phénoménal que ce dix-neuvième tome des Rougon-Macquart !
Sur une trame rigoureusement historique, excepté quelques petites entorses temporelles, ou kilométriques, Zola nous fait traverser la guerre de 1870 auprès de soldats, de généraux, de capitaines, d'habitants de Sedan, de jeunes femmes, tous pris en étau dans ce tragique affrontement qui signe la chute du Second Empire.
Impressionnante consultation d'ouvrages, prises en compte de témoignages militaires et civils, imprégnation des lieux en mettant ses pas dans ceux de l'armée, en foulant le champ de bataille pour remplir de notes une centaine de feuillets. Je ne peux être qu'éblouie par cette extraordinaire exploitation de toute cette montagne d'informations qui a donné naissance à un ouvrage si détaillé, minutieusement élaboré, mêlant l'Histoire au romanesque d'une façon si intime que la lecture nous emporte dans un tourbillon littéraire. Ces plus de sept cents pages passent comme un ouragan.

En ce tout début d'août 1870, le 7e corps dont faisait partie l'escouade menée par le caporal Jean, l'ancien paysan qui a quitté sa terre, arrive tout près de Mulhouse. Dans ses rangs, on peut entendre le refrain classique d'une victoire certaine et rapide. Il suffit de passer le Rhin et surprendre les Prussiens « Une simple promenade militaire, de Strasbourg à Berlin. »
Dans cet escadron, le jeune Maurice, avocat et engagé volontaire, exalté, déterminé à se battre, se charge de haine face aux ordres de Jean, ce paysan sans éducation.
Une organisation défaillante, des effectifs moindres, un ravitaillement et des dépêches qui tardent font douter Jean face à l'inaction des troupes. le plan initial est resté un rêve et la réalité prend la couleur de chances perdues pour atteindre la victoire. Et lorsqu'une petite victoire est entendue, elle est vite effacée par un écrasement prussien. Pourtant, pour certains, la certitude d'une raclée prochaine à ces cochons de Prussiens ne peut être mise en doute. Cette nuit d'août, les défaites s'additionnent, au petit matin les Français sont battus « une aube de deuil se levait ».
Dans une grande bousculade, la compagnie fait retraite dès le lendemain de son arrivée.

Bien plus fortes que des images, les phrases de Zola font exploser la débandade des troupes dans la confusion générale des ordres mal donnés. Les charges des soldats, trop lourdes, sont laissées sur le bas-côté, puis les fusils. Dans le contraste des journées éclatantes de ce mois d'août, les départs des Alsaciens sauvant le peu qu'ils peuvent emporter, offrent un spectacle criant de désespoir de cette fuite face à l'ennemi.
Puis ce sera la marche sur Verdun et Zola ne laisse rien, n'ignore rien sur ce chemin. La fatigue, la faim, le découragement, une intendance complètement désorganisée, la confusion des changements d'ordres, tant de journées perdues pour une marche vers une mort assurée.
Zola nous fait peiner dans la pluie et la boue de l'Aisne, le dos meurtri par les charges et les fusils, et répand le désespoir, la démoralisation et la lassitude de toute la troupe. Pendant des semaines, pas un coup de feu n'est donné, pas une rencontre avec l'ennemi ne survient.
Les batailles, les replis, toute l'Histoire se déroule, abominable, n'épargnant rien ni personne. Les haines ruissellent, devenant torrents et éclaboussant tout sur leurs chemins. La cuisante désillusion des éternels vainqueurs, ratatinés face un petit peuple insignifiant, est difficile à admettre.
Et pendant cette marche, de paysan mal dégrossi, Jean devient un brave homme aux yeux de Maurice après quelques paroles et gestes bienveillants. Une gratitude vient remplacer la haine. Jean s'inquiète des souffrances du jeune Maurice, comme un petit frère à protéger. L'amitié prend force alors que le conflit gonfle en intensité. Les bruits de canons entendus dans le lointain deviennent des tirs sanglants, sans relâche, ravageant les soldats et les civils. La bataille de Sedan ensanglante les pages. Sous les brouillards qui s'élèvent de la Meuse, les obus font frissonner et voler en éclats habitations, routes, soldats, civils.
Tous les détails donnés avec l'admirable plume si accrocheuse de l'auteur nous vrillent l'estomac, la nausée de ce champ de bataille monte et, en arrière, les blessés agonisants nous font crier quelle saleté de guerre !
Deux figures féminines, Silvine, Henriette, viennent se greffer sur ce tableau de misère, sur cette folie de guerre broyant tout, dans leur coeur, dans leur chair.
Alors que champs, prairies verdoyantes, arbres séculaires se gorgent de soleil, les hommes se massacrent les uns les autres sous les obus, les balles et les baïonnettes. Pour se terminer, quelques mois plus tard, en points incandescents dans tout Paris, les communards voulant tout nettoyer, surtout ne pas céder, ne pas faire entrer la honte dans la capitale.

J'ai tardé à lire La débâcle, craignant l'ennui d'interminables pages sur des affrontements militaires. Mais ici, tout est si fort. Et les personnages, se faufilant avec tant d'aisance et d'ardeur dans les évènements historiques empêchent résolument d'éprouver le moindre désagrément de lecture. C'est, une fois de plus, un ouvrage époustouflant d'un Zola que je ne peux cesser d'admirer.
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