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Critique de Nastie92


♬ Non, non, rien n'a changé, tout, tout a continué... ♬
Eh oui, l'humanité est désespérante, rien ne changera jamais.
Ce sixième tome des Rougon-Macquart est celui du pouvoir et de la politique.
Le pouvoir : comment y accéder, comment s'y maintenir, comment l'utiliser, comment on s'en fait éjecter et comment on y retourne.
Eugène Rougon est fascinant. Imposant, dans tous les sens du terme. Dès qu'il apparaît, il impressionne. Par son physique, par sa voix, par sa façon d'être et de se tenir, par les expressions de son visage, par ses paroles.
Zola n'a pas lésiné.
Il a fabriqué un terrible personnage. Dès le début du livre, il lui fait prendre toute la place, même s'il n'est pas encore présent physiquement. Même en faisant abstraction du titre, le lecteur ne peut avoir aucun doute : le personnage principal, c'est lui ; tout gravite autour de lui. D'emblée, il écrase tout.
Absent, il est l'objet de toutes les inquiétudes : "Est-ce que vous avez vu Rougon, ce matin ?" "Vous n'avez pas vu Rougon ?" et le lecteur attend avec impatience son apparition.
Apparition qui ne va pas le décevoir : Rougon est "énorme, insolent, le cou gonflé, la face crevant de force".
Quel talent !
Je parle ici de Zola... mais Rougon n'en manque pas non plus ! Force de la nature, intelligent en diable, c'est un animal politique, et même si tout ce qui est montré dans le roman n'est pas joli-joli, on prend un plaisir fou à suivre les intrigues.
Rougon est entouré d'une "cour" qui le flatte et ne cherche qu'à profiter de lui, à bénéficier d'avantages, grands ou petits qu'il peut leur procurer. Des parasites sans morale et sans amour-propre qui ne reculent devant aucune bassesse pour quémander.
J'ai toujours pensé que les gens de pouvoir n'étaient pas enviables, car comment savoir à leur place, si une amitié est sincère ? Comment être sûr de n'être apprécié que pour soi-même et non pour ce qu'on peut apporter ?
Zola me conforte dans cette idée : « M. Béjuin resta seul devant la cheminée. Il roula son fauteuil, s'installa au milieu, sans paraître s'apercevoir que la pièce se vidait. Il demeurait toujours le dernier, attendait encore quand les autres n'étaient plus là, dans l'espoir de se faire offrir quelque part oubliée. » Un chien qui mendie des restes sous la table n'a pas moins de dignité !
Zola nous emmène derrière le rideau et nous montre la partie cachée du jeu politique : cynisme, cupidité, avidité, égoïsme, hypocrisie, mensonges, manoeuvres en tout genre. C'est laid, très laid... et c'est terriblement actuel !
Vous critiquez l'absentéisme des parlementaires ? Vous leur reprochez de dormir à moitié lorsqu'ils sont présents ?
Zola l'a déjà fait :
« Il n'y avait pas cent députés présents. Les uns se renversaient à demi sur les banquettes de velours rouge, les yeux vagues, sommeillant déjà. D'autres, pliés au bord de leurs pupitres comme sous l'ennui de cette corvée d'une séance publique, battaient doucement l'acajou du bout de leurs doigts. » ou encore « le président mettait aux voix un défilé interminable de projets de loi, que l'on votait par assis et levé. Les députés, machinalement, se levaient, se rasseyaient, sans cesser de causer, sans même cesser de dormir. »
Vous pestez contre les politiciens qui arrivent toujours, même en cas de défaite, à se recaser ? Et de préférence dans des places dans lesquelles ils sont grassement payés à ne pas faire grand-chose ?
Zola l'a déjà fait :
« Delestang baissa le nez. Toujours il se trouvait embarqué dans quelque passion scabreuse. En 1851, il avait même failli compromettre son avenir politique ; il adorait alors la femme d'un député socialiste, et le plus souvent, pour plaire au mari, il votait avec l'opposition, contre l'Élysée. Aussi, au 2 Décembre, reçut-il un véritable coup de massue. Il s'enferma pendant deux jours, perdu, fini, anéanti, tremblant qu'on ne vînt l'arrêter d'une minute à l'autre. Rougon avait dû le tirer de ce mauvais pas, en le décidant à ne point se présenter aux élections, et en le menant à l'Élysée, où il pêcha pour lui une place de conseiller d'État. »
Vous dénoncez l'absence d'objectivité des médias ?
Zola l'a déjà fait :
« Quant à la presse, elle est déjà trop libre. Où en serions-nous, si le premier venu pouvait écrire ce qu'il pense ? » et « Rougon eut un geste terrible. « Oui, oui, on m'a déjà signalé ce numéro, dit-il. Vous devez voir que j'ai marqué les passages au crayon rouge… Un journal qui est à nous, pourtant ! Tous les jours, je suis obligé de l'éplucher ligne par ligne. Ah ! le meilleur ne vaut rien, il faudrait leur couper le cou à tous ! » Il ajouta plus bas, en pinçant les lèvres : « J'ai envoyé chercher le directeur. Je l'attends. »
Bref, ne cherchez pas plus loin : tout ce que vous pouvez reprocher à nos politiciens actuels, Zola le dénonce dans ce livre, et avec brio.
Ce volume n'est pas le plus romanesque du cycle, mais il est très instructif. La trame narrative n'a rien d'exceptionnel, mais à travers divers tableaux, Zola nous dépeint la politique sous le second empire. Il nous emmène dans les coulisses du pouvoir.
Et l'on s'aperçoit que rien ou presque n'a changé. Le monde politique et celui des affaires sont intimement liés. Des cercles d'influence tirent les ficelles. Les politiciens sont prêts à tout pour accéder au pouvoir puis pour y rester, suivis par des meutes de profiteurs sans scrupules qui, tels des girouettes, sont prêts à changer de "poulain" dès que le vent tourne.
Les contemporains de Zola se comportaient comme se comportent les hommes de maintenant. C'est amusant... ou désespérant !
On peut même s'amuser à établir des correspondances entre des personnages du roman et des politiciens actuels !
Par exemple, il peut arriver que des gens influents fassent nommer un homme falot à un poste clé, afin de pouvoir le manipuler :
« Ils s'aplatissaient devant le plus sot de la bande, ils s'admiraient en lui. Ce maître-là, au moins, serait docile et ne les compromettrait pas. Ils pouvaient impunément le prendre pour dieu, sans craindre sa foudre. »
Allez, ne me dites pas que vous n'avez pas de nom en tête !
Une fois de plus, Zola nous offre un roman intemporel : en changeant très peu de choses comme les décors et les vêtements, on pourrait le croire fraîchement écrit.
Après ma grosse déception du cinquième volume (La faute de l'abbé Mouret), ce sixième opus me redonne l'envie de poursuivre ma lecture des Rougon-Macquart.
En route pour l'Assommoir !
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