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Critique de Lamifranz



Le sixième volume des Rougon-Macquart est aussi le plus politique. Non pas dans le sens où l'auteur indique ses propres vues sur la question, il le fera dans d'autres ouvrages, comme « Germinal », par exemple ; mais politique parce qu'il décrypte avec un soin particulier les rouages et les coulisses de la vie politique sous le Second Empire.
Eugène Rougon, nous connaissons le personnage : il est le fils aîné de Pierre Rougon et Félicité Puech, le frère aîné de Pascal (le docteur Pascal), d'Aristide (dit Saccard), de Sidonie et de Marthe. Nous l'avons vu acquis à la cause bonapartiste dans « La Fortune des Rougon », député et ministre dans « La Curée », puis travailler en sous-main à la « Conquête de Plassans ». le voici à présent à Paris, à l'Assemblée Nationale, dans ses oeuvres.
Emile Zola fait le portrait d'un « homo politicus » : Eugène Rougon est un homme qui vit par le pouvoir et pour le pouvoir. Pas seulement le pouvoir politique qui peut varier selon ses convictions, mais son pouvoir personnel qui suit son ambition. Sans scrupules, comme son frère Aristide, il est un aventurier de la politique et même une sorte de conquérant égoïste et partial. Il est comme un poisson dans l'eau dans le marécage que représente l'Assemblée Nationale : le roman suit pas à pas sa carrière politique depuis sa démission de la présidence du Conseil d'Etat en 1856 jusqu'à son retour en grâce triomphal en 1861. Entretemps, que de compromissions, trahisons, désistements et coups fourrés (eh oui, les hommes politiques étaient comme ça, en ce temps-là).
En un sens, on peut dire que « Son Excellence Eugène Rougon » est un roman sur fond historique : des évènements réels y sont évoqués : le baptême du prince impérial, l'attentat d'Orsini, l'inauguration du chemin de fer. Napoléon III devient un des personnages du roman et bien des personnages politiques de l'époque sont reconnaissables : Marsy est inspiré par le comte de Morny, Kahn par Achille Fould, Eugène Rougon lui-même tient beaucoup d'Eugène Rouher.
Eugène Rougon, s'il a donné son nom au titre du roman, n'est pas le seul personnage principal : il a son alter ego, une femme, Clorinde Balbi, une aventurière italienne (fortement inspirée par la Castiglione). Même ambition, même désir de parvenir au sommet par tous les moyens, même absence de scrupules, même aisance à utiliser tous les moyens pour arriver à leurs fins, ils ont le même credo : se servir des autres pour arriver à leurs fins, y compris de se servir l'un de l'autre. Ce qui, quand la trahison arrive, car elle arrive fatalement, se traduit par un désir de vengeance, et chez des gens comme eux, elle est impitoyable.
Emile Zola décortique le système de la représentation politique avec un soin minutieux. Et en même temps il dénonce avec force les déviances de ce microcosme : la porosité entre le monde politique et celui des affaires, la servilité des différents organismes officiels, et même non-officiels (une certaine presse, par exemple), les sphères d'influences dans tous les milieux… Il dénonce aussi l'absolutisme, le régime autoritaire, la mainmise sur une police toute puissante. Enfin il met en parallèle les fastes insolents du Second Empire avec la misère telle qu'elle apparaîtra dans d'autres romans (à commencer par le suivant : « L'Assommoir »).
Dans les Rougon-Macquart, Zola s'ingénie (avec génie) à dépeindre les milieux : celui décrit ici est criant de vérité. C'est un témoignage sur une certaine façon de concevoir la politique à une certaine époque. Mais, est-elle vraiment révolue ?
« Son Excellence Eugène Rougon » n'a pas dans l'esprit des gens la réputation de « L'Assommoir » ou de « Germinal », mais il reste un des très grands romans de la série, par cette peinture corrosive d'une classe sociale gangrenée (et pourtant censée représenter les citoyens) et insolente, surtout quand on mesure le décalage avec les classes inférieures…
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