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Critique de domi_troizarsouilles


Les chemins vers les livres sont parfois bien inattendus ! N'étant pas particulièrement attirée par les BD, et parfois un peu lasse de l'escrime qui fait trop partie de ma vie à mon goût (mon mari étant tout à la fois maître d'armes et président de son club), je n'aurais jamais imaginé le lire. Mais voilà : une élève de mon mari, devenue notre amie au fil des années, a fait connaissance avec une dame impliquée dans l'escrime thérapeutique en France, qui s'attache désormais à diffuser le concept en Belgique. La politique des sports de mon pays étant aux antipodes d'une fierté nationale comme ça semble être le cas en France, j'ai un doute qu'un tel projet aboutisse jamais, si ce n'est à un niveau très local et sans aucune reconnaissance officielle (ce qui veut dire aussi : sans aucun moyen quel qu'il soit !). Quoi qu'il en soit, mon mari s'est montré intéressé et a donc rencontré cette dame et est désormais inscrit à une formation qui aura lieu dans quelque temps… en France. Cette dame lui a notamment parlé du film « Touchées », et l'a encouragé à le regarder pour avoir une idée de ce dont il s'agit.
Et puis voilà : Internet étant ce que c'est (vous savez, big brother etc.), au hasard de mes navigations sur la toile, je suis tombée tout à fait par hasard sur la BD du même nom… et ai bien sûr aussitôt décidé de l'offrir à mon cher et tendre ! À son tour, il m'a encouragée à le lire : comment refuser ?

Dans ce contexte, et sachant que mon homme m'avait déjà raconté les choses dans les grandes lignes, je suis assez incapable de dire si l'histoire est réellement compréhensible à travers la BD seule, car en réalité elle m'a semblé assez décousue par moments : on passe de l'histoire d'une des trois « héroïnes » à l'autre parfois sans réelle transition, on mêle leur présent sur ce chemin thérapeutique à des bribes plus ou moins importantes de leur passé, également avec peu de transitions, mais un jeu de couleurs qui m'a semblé faire le job – même si, j'avoue, j'ai parfois dû me référer au synopsis pour réellement comprendre de quoi il s'agissait, notamment dans les passages mettant en scène Tamara – peut-être parce qu'elle est une personnage carrément exubérante, et qu'on ne s'attend pas à un comportement de ce type-là chez quelqu'un qui a vécu des violences sexuelles, ce qui est évidemment un a priori non fondé. On rencontre ainsi Lucie, Tamara et Nicole, trois femmes qui ont vécu des violences sexuelles (évidemment très graves) qui ne sont dévoilées que peu à peu dans le livre : si on décrypte assez vite la violence au sein d'un couple, on est beaucoup plus surpris des viols répétés vécus par une petite fille puis jeune ado ! par son propre frère, majeur ; ou la violence apparemment anodine vécue par une lycéenne, mais tellement inacceptable qu'elle en est restée marquée des années plus tard et ne parvient pas à s'en sortir.

J'ai un peu regretté que le livre ne dise pas comment elles sont arrivées à s'inscrire tout à coup à ce cours d'escrime thérapeutique… mais c'est un détail, car l'important est de les suivre tout au long d'une année, dans leur découverte de cette discipline sportive – et exclusivement au sabre, seule arme d'estoc et de taille de l'escrime sportive actuelle (on peut toucher de la pointe ou du tranchant de l'arme, le tout en étant protégé bien entendu !) et qui demande/permet une grande explosivité.
Tout cela étant dit, il n'est pas nécessaire de connaître l'escrime pour apprécier ce livre, je pense ! Il y a certes des passages entiers consacrés à ce sport (et c'est normal puisque ça fait partie du sujet), mais ce n'est jamais rébarbatif m'a-t-il semblé. Il suffit de savoir que ce sport se pratique en étant entièrement protégé (en blanc !) et masqué (ce n'est pas anodin) ; et donc ce choix du sabre, qui est clairement présenté, comme arme la plus « rapide et instinctive ». Et surtout, on s'attache terriblement à nos trois protagonistes, dans un mélange d'empathie (et de soulagement de ne pas avoir vécu de telles choses soi-même !), d'incompréhension parfois, et peu à peu de véritable compassion mêlée de joie quand peu à peu elles reprennent confiance en elles. On aime les accompagner sur ce chemin où elles s'apprivoisent d'abord, se rapprochent peu à peu sans forcément parler de ce qui fait mal mais apprennent à s'apprécier telles qu'elles sont à ce moment de leur vie. Tout cela les amène aussi à « revivre » ces moments douloureux, avec l'aide du maître d'armes qui est spécifiquement formé à cette discipline particulière de l'escrime, et d'une psychologue, également escrimeuse, qui est toujours disponible et dont la présence aux séances est tout aussi obligatoire que la formation du moniteur. Mais peu à peu, ces femmes vont s'avérer capables d'affronter leur propre vie – que ce soit en osant faire front à leurs parents toujours « bienveillants » (et sans doute bien démunis) mais qui les ont pourtant enfoncées, ou en allant enfin porter plainte, par exemple.

Avec tout ça, il y a évidemment des moments très durs (peut-être encore davantage parce qu'ils ne sont jamais « que » suggérés), d'autres extrêmement touchants, et puis ces quelques moments du quotidien qu'on dirait presque que « tout va bien » pour ces femmes… mais paf aussitôt un petit détail (une visite de la maman de Lucie par exemple, venue garder son petit-fils) replonge le lecteur au coeur de ce sujet terrible.
Mon mari a trouvé le dessin très sombre – pour ma part, je l'ai trouvé tout à fait adapté à son sujet, avec effectivement des planches qui jouent sur le registre des gris foncés, des bleus grisés également foncés ou des sépias orangés à la limite du flippant ! mais d'autres passages sont beaucoup plus lumineux, et notamment chacune des séances d'escrime, justement ! Je ne suis pas ultra-fan du dessin même (mais je suis vraiment très, très, très difficile à ce sujet), mais indéniablement tout se joue sur les expressions : elles sont réellement ciselées, que ce soit sur les visages ou dans les gestes (notamment dans l'un ou l'autre assaut – j'ai adoré par exemple la « libération » de Nicole !) ; ce sont comme des photos saisies sur le vif, très parlantes. J'ai aussi apprécié le fait qu'aucune des cases de la BD ne soit jamais « encadrée », ce qui rend l'histoire très ouverte et participe à l'idée que ces femmes sont sur un véritable chemin de libération.

C'est donc un livre très expressif et parfois glaçant, mais pas informatif cependant, même si c'est une introduction très intéressante au sujet. Peut-être parce qu'il est plein d'espoir aussi, sur le chemin d'une réelle libération pour ces femmes qui ont vécu des violences sexuelles inacceptables, et qui, à travers ce sport qui leur permet autant de « se cacher » (notamment sous le masque) que d'exploser, vont peu à peu retrouver la confiance, réapprendre à s'aimer.
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