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Critique de Filox


C'est à l'occasion d'un récent colloque organisé par le Collège des Bernardins a Paris et rassemblant une trentaines d'historiens de quinze nationalités différentes qui planchaient sur le sujet brûlant d'actualité: comment bâtir une histoire commune européenne, un nouveau récit pour l'Europe, qu'un des intervenants : Juan Manuel Bonet écrivain et critique d'art espagnol proposa une balade à travers 15 lieux de mémoire et de prolongement vivant de l'existence de la conscience européenne, balade passionnante sur laquelle je reviendrai, lorsque paraîtra l'ouvrage collectif issu notamment du colloque. Et dans cette balade il décrivit Vienne, ville de frontière, meurtrie par l'histoire et qui fut aussi lieux de paix et constructeur de la conscience européenne et de nous recommander au delà de cette évocation la lecture de " le monde d'hier, souvenir d'un européen " de Stefan Zweig.
Voici le point de départ de ma lecture, je m'y attarde tant il apparaît combien nous avons besoin aujourd'hui de la lucidité d'un Zweig.
Je cite un bref extrait de sa préface : " j'ai été élevé à Vienne, la métropole deux fois millénaire, capitale de plusieurs nations, et il m'a fallu la quitter comme un criminel avant qu'elle ne fut ravalée au rang d'une ville de province allemande. Mon oeuvre littéraire, dans sa langue originelle, a été réduite en cendre, dans ce pays même où mes livres s'étaient fait des amis de millions de lecteurs "
" contre ma volonté, j'ai été le témoin de la plus effroyable défaite de la raison et du plus sauvage
Triomphe de la brutalité qu'attendre la chronique du temps. Jamais une génération n'est tombée comme la notre d'une telle élévation spirituelle dans une telle décadence morale."

Son crime : être juif.
Dans une belle écriture, Stefan Zweig nous raconte non pas sa vie plutôt ses rencontres, ses passions, et nous explique en géostratége comment et dans le détail le passage de la belle époque, de la foi dans le progrès, du poids des intellectuels et des artistes à la terrifiante barbarie nazie et à la création du monde d'après guerre, du nationalisme bureaucratique et sans projet qu'il voyait se créer et qu'il ne voulut pas connaître, il se suicidera quelques jours après avoir déposé le manuscrit de " le monde d'hier" de ce qui est donc aussi son testament.

J'ai tout particulièrement apprécié :
- la description de Vienne, fin de siècle, à la fois capitale culturelle européenne mais engoncée et gouvernée en geriatrocratie...
- l'explication de pourquoi la psychanalyse freudienne fut inventée en Autriche: fruit de l'éducation sévère des élites creuset des complexes d'infériorité ..
- la rencontre des artistes tous jeunes et plus ou moins maudits : Paul Valéry, Hermann Behr, Munch, Debussy, Zola ...
- ses relations avec Émile Verhaeren et l'importance de l'acte de traduction
- Sa découverte de Paris, de Rodin et de l'héritage de la Révolution qui ne distingue pas le prolo du bourgeois dans leur citoyenneté
- Son éloge de la Suisse qui dans une fraternité simple accueille les nationalités différentes et les fond dans une honnête démocratie très concrète
- Sa fascination sur le passage à l'acte créatif chez les artistes, il deviendra un collectionneur hors pair pour amasser les témoins de ses premiers jets de créations musicales, littéraires et autres, il décrit ainsi Rodin sculptant dans des pages inoubliables. La recherche de la genèse puis du chemin créatif pour comprendre tant que faire se peut le résultat final ....
- Ses Explications détaillées de la chute de son pays pas assez démocratique et de la montée du nazisme et d'Hitler que ses créateurs ( industriels et anti communistes ) prirent pour leur pantin .... Un agitateur de brasserie devenu chancelier de transition !!!
- beaucoup d'émotion quand il parle de la mort de sa mère ( plus soignée car juive ) et de son grand désarroi d'exilé. Vous pouvez lire à ce propos mes citations de ce jour, sa radicalité contre les nationalismes, radicalité précisée, concrétisée, argumentée possède une grande force, très actuelle.

Bien sûr, cette critique ne fait qu'un petit survol, je ne peux que vous encourager à cette lecture, qui n'est pas si facile, elle est même parfois exigeante mais elle change le regard sur cette époque si proche de nous et qui en quelque sorte nous laisse dépositaire d'un testament qui très pudiquement nous passe un relais. Je ne sais pas si vous serez d'accord, nous n'avons pas course gagnée ! et cependant des espoirs que ne pouvaient plus entrevoir Stefan auraient pu bercer son grand âge, son choix de ne pas le vivre nous le rend sans doute encore plus proche. Pour ma part je n'oublierai jamais les convictions européennes de mon grand-père, son contemporain, qui "fit" les deux guerres et qui reprenait ma grand mère parlant des "boches", il la reprenait avec tendresse mais fermeté : il faut la paix pour nos petits enfants ! Nous avons eu un bel héritage ... A transmettre donc ! C'est aussi une sacrée responsabilité ...
Bonne lecture ...
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