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Critique de Deleatur


Un officier de blindés ayant servi sur le front de l'Est ? Aussitôt, les images se bousculent : la rumeur sauvage de la Blitzkrieg à travers les plaines d'Ukraine, le grondement lourd des diesels, le cliquetis lancinant des chenilles dans l'air brûlant de juillet ; le fracas des canons de 150 et la stridence terrifiante des Nebelwerfer ; les visages émaciés, couverts de poussière, sur lesquels la sueur et le sang tracent leurs rigoles de souffrance. Et puis des colonnes de suie qui soutiennent le ciel livide, et d'où surgit soudain un Stuka, sirène hurlante...
Bon... Si c'est le genre d'épopée barbare que l'on espère en ouvrant ce livre, on sera déçu. Mieux vaut se replonger pour cela dans les romans de Sven Hassel. L'opération Barbarossa, en effet, n'occupe pas plus d'une quarantaine de pages dans le livre de von Kageneck, et sans apporter beaucoup de piment à un sujet déjà bien connu.
J'y ai appris deux ou trois détails tout de même. Sait-on suffisamment, par exemple, que les tankistes de la Wehrmacht avaient un uniforme noir avec une tête de mort bien avant que les SS ne reprennent ce dress-code de génie ? Mais – subtile distinction – les tankistes portaient la tête de mort sur leur col de vareuse tandis que les SS la portaient sur leur calot. Foutrebleu ! Je me suis rendu compte qu'il avait dû m'arriver de débiter quelques âneries dans mes cours, en commentant un peu trop vite l'une ou l'autre photo du conflit. Fort heureusement, les profs ont ce rare privilège de pouvoir raconter à peu près n'importe quoi à leurs élèves sans que ceux-ci en conservent le moindre souvenir. C'est comme si on n'avait rien dit à ces braves petits ; parfois, d'ailleurs, ils ne se souviennent même pas qu'ils vous ont eu comme prof. Mais je me disperse...
La première partie du livre de von Kageneck, où il raconte son enfance dans une Allemagne peu à peu gangrenée par le nazisme, n'est pas inintéressante bien qu'elle manque un peu de relief. L'auteur présente sa famille comme l'archétype même de la vieille noblesse prussienne, et il relate les réticences de ce milieu conservateur et traditionaliste face au projet totalitaire du régime hitlérien. Je n'ai aucune raison de remettre en cause la sincérité de von Kageneck lorsqu'il évoque ces événements. Pourtant, j'ai parfois trouvé que la relecture a posteriori de cette histoire se montrait peut-être un peu flatteuse, sinon complaisante. Et le souci de disculper son milieu socio-familial pousse sans doute l'auteur à glisser un peu vite sur la passivité et bientôt la soumission des milieux aristocratiques devant l'affirmation du nazisme.
De même, tout au long de son livre, Von Kageneck prend toujours la peine d'établir une distinction soigneuse entre la Wehrmacht et les SS, séparation difficilement contestable sur le plan historique mais qui fut aussi bien plus poreuse que ne l'affirme l'auteur. La Wehrmacht, comme on le sait aujourd'hui, a été directement impliquée dans nombre de crimes de guerre et a elle-même participé au projet génocidaire, notamment à travers ses liens avec les Einsatzgruppen. On ne trouve cependant aucune trace de cela dans le livre de von Kageneck, qui développe au contraire une imagerie assez dépassée de la guerre dans l'honneur. A certains points de son récit (après l'attentat raté de juillet 44 contre Hitler), l'auteur en vient même à sous-entendre que l'armée tout entière était prête à retourner ses armes contre la SS, devenue le premier ennemi de la vraie Allemagne. J'ai quand même eu du mal à souscrire à cette thèse.
C'est la troisième partie du livre qui m'a paru la plus intéressante : la dernière année de la guerre, la peinture de l'effondrement imminent, une société qui s'étourdit de dernières jouissances à l'instant de l'apocalypse. Et puis l'inévitable chaos, le silence, et, contre toute attente, la vie qui peu à peu renaît au milieu des ruines. le tableau est rapide mais il y a là des passages qui ne manquent pas de force et achèvent de confirmer l'intérêt de l'ouvrage.
Au bout du compte, je ne peux pas me dire déçu de ma lecture. Certes, ce n'est pas du tout ce à quoi je m'attendais avec un titre aussi accrocheur, mais il faut savoir se laisser surprendre.
Ceci étant dit, je crois quand même que je vais aller relire un bon vieux Sven Hassel.
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