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Africa Dreams, tome 4 : Un procès colonial

Il n’avait plus sa place dans ce monde, et il n’en était pas malheureux.

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Ce tome est le dernier d’une tétralogie, indépendante de toute autre. Il fait suite à Africa Dreams, tome 3 : Ce bon monsieur Stanley (2013) qu’il faut avoir lu avant. Sa parution originale date de 2016. Il a été coscénarisé par Maryse & François Charles, dessiné et mis en couleurs par Frédéric Bihel. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée.



Le roi Léopold II n’était jamais allé au Congo. C’était sa colonie qui devait venir à lui. Il avait déjà fait construire une serre congolaise en son château de Laeken et passé commande d’animaux pour le zoo d’Anvers. Restaient les habitants de cette immense contrée, grande comme 80 fois la Belgique… Ce fut chose faite en 1897, lors de l’Exposition universelle de Bruxelles. Près de 300 Congolais, hommes, femmes et enfants, furent amenés dans le parc de Tervuren, aux portes de la capitale. Le roi déambule entre les installations avec une jeune journaliste et ils s’arrêtent devant l’enclos des Congolais : des huttes traditionnelles et une clôture avec des panneaux interdisant de donner à manger aux Africains, car ils sont nourris par l’organisation. La journaliste demande s’ils sont dangereux et fait observer que la pancarte fait penser à un zoo. Le roi répond gentiment que ce sont des barbares : ils sont fétichistes et polygames. Mais en leur apportant la civilisation et le christianisme, les Belges ne désespèrent pas d’en faire d’honnêtes citoyens. Il continue : ils souffrent d’indigestion, et les organisateurs doivent veiller sur leur santé. Le roi emmène la journaliste pour lui montrer un village civilisé.



Léopold II et la journaliste arrivent devant un autre grand enclos en bordure de rivière : des Congolais en uniforme forment une fanfare en train d’interpréter un air. Le roi explique que ces hommes sont engagés dans la Force Publique, ils ont appris, au contact de leurs supérieures, à agir en personnes responsables et civilisées. La journaliste croit pourtant avoir entendu dire qu’il y avait des cannibales parmi eux, et elle voudrait savoir s’il est vrai qu’ils sont logés dans les écuries royales. Le roi commence par répondre que les propos relatifs aux cannibales sont des calomnies, et il est interrompu par un secrétaire indiquant qu’il a un autre rendez-vous. Elle prend congé et une fois la jeune femme partie, le roi la traite de petite peste, dommage elle était si jeune et si jolie. À Liverpool dans les bureaux du West African Mail, Edmund Dene Morel est assis sur une pile de journaux, jetant un regard au livre par terre : Red Rubber, l’histoire du commerce de l’esclavage du caoutchouc au Congo. Roger Casement entre dans la pièce et lui demande ce qu’il peut faire pour lui. Morel répond rien, il ne sait pas ce qu’il doit emporter. Il y a tant à dire sur le sujet et cependant trop d’informations ne pourraient que lasser les lecteurs. Il a tellement attendu cette occasion de franchir l’Atlantique pour défendre leur cause.



D’un côté, le lecteur sait déjà ce que contient ce dernier tome : la phase finale de l’existence de l’État Indépendant du Congo, avant son annexion par la Belgique pour devenir le Congo belge. D’un autre côté, il se demande ce qu’il va advenir des personnages comme Paul Delisle et son père Augustin, et même des personnages historiques comme Edmund Dene Morel (1873-1924), journaliste et écrivain à cette époque, sans oublier la manière dont Léopold Louis-Philippe Marie Victor de Saxe-Cobourg-Gotha (1835-1909) va gérer cette crise et va la vivre. Le premier apparaît dans une quinzaine de pages : un bel homme, souvent le sourire aux lèvres car il a réussi à réconcilier ses valeurs et son expérience de vie, à trouver sa voie. Celle-ci s’avère difficile, que ce soit l’avenir à construire au Congo, ou un mariage mixte avec Ilassy, forcément critiqué à cette époque. Les personnages historiques comme Morel et Casement sont représentés avec une touche romanesque dans leurs attitudes et leurs réactions, tout en restant dans un spectre réaliste, sans effet théâtral. Le lecteur prête une attention tout aussi soutenue à Léopold II, homme de grande taille, à la forte prestance qu’il soit en uniforme et en représentation, ou qu’il reçoive dans le civil un de ses conseillers comme le colonel Strauch. Les illustrations donnent une personnalité singulière à chaque protagoniste.



Le lecteur se rend compte qu’il passe d’une scène à une autre, avec un rythme assez rapide, chaque séquence ne comprenant que quelques pages. Il se rend ainsi à l’Exposition universelle de 1897 à Bruxelles, dans les bureaux d’un magazine à Liverpool, sur la Côte d’Azur dans la résidence du Cap Ferrat du roi des Belges, à la plantation M’Bayo, à la mission de William Sheppard sur la rive du fleuve Congo, dans bureau du roi au château de Laeken, sur le fleuve Congo pour une descente à bord du Lapsley, dans la capitale Boma de l’État Indépendant du Congo, à Ostende, dans les rues de Londres, dans l’ambassade de Belgique à Washington, et bien sûr dans les magnifiques serres royales de Laeken. L’artiste impressionne tout du long par sa capacité à reconstituer chacun de ces endroits, à la fois de façon détaillée, à la fois de façon évocatrice, en particulier les enclos où sont parqués les Congolais, l’encombrement du bureau du West African Mail, la cabine luxueuse du yacht du roi des Belges, la mission Sheppard sur les rives du fleuve Congo sous un ciel étoilé, les rives du fleuve Congo vues depuis le bateau Lapsley, le petit tramway de Boma, le dôme de la cathédrale Saint Paul dans la grisaille londonienne, jusqu’à une illustration en pleine page du fleuve Congo pour la dernière page. Frédéric Bihel est parfait de bout en bout, quelle que soit la nature de la séquence, discussions, déplacements, environnements urbains ou naturels : le lecteur se retrouve transporté dans chaque endroit, captivé par les individus qui s’y trouvent.



Le titre annonce le thème central de ce dernier tome : un procès colonial. Les campagnes d’information d’Edmund Dene Morel (1873-1924), soutenu par le diplomate britannique Roger Casement (1864-1916), pour partie sur la base des informations transmises par le missionnaire presbytérien William Henry Sheppard (1865-1927) ont fini par porter leurs fruits, après des années de dévouement et d’engagement pour cette cause. Avec ses aides dont le colonel Maximilien Strauch (1829-1911), le roi Léopold II met en œuvre des stratégies de diversion, des manœuvres dilatoires, des campagnes de désinformation, des missions de lobbying avec Nelson W. Aldrich (1841-1915, sénateur américain et investisseur) et avec l’avocat Henry I. Kowalsky (1859-1914, également lobbyiste). L’alternance des séquences fait prendre conscience au lecteur des différents aspects de la situation qui lui sont présentés : le point de vue de Paul Delisle devenu un habitant dans un village de l’État Indépendant du Congo, les décisions de Léopold II, la lutte pour faire connaitre la vérité par Edmund Dene Morel. Au travers de leurs actions, d’autres points de vue sont abordés : la presse belge qui commence timidement à poser des questions, la difficulté administrative et sociale d’un mariage mixte au Congo, la désertification des rives du Congo par la population qui craint les raids de la Force Publique, la civilisation à deux vitesses au Congo en fonction de la couleur de peau, le fonctionnement des commissions d’enquête et des auditions pour témoignage, l’intelligence stratégique de Léopold II et sa connaissance des traits de caractère les moins reluisants du public et des foules, les actions de manipulation de l’opinion publique par la désinformation, les opportunistes de tout poil, le mélange des affaires avec la politique extérieure, les procès pour atteinte à la sûreté de l’état afin de faire taire les gêneurs, etc.



En se renseignant plus avant sur cette série, le lecteur peut aboutir à un article rédigé par l’historienne Anne Cornet, intitulé : La série Africa Dreams, une autre manière de faire l’histoire du Congo ? Elle aborde le degré de rigueur historique des auteurs : ils ont pris la liberté de quelques aménagements pour des raisons de licence artistique, et ils ne peuvent bien sûr pas aborder l’intégralité des dimensions sociale, économique, culturelle, spirituelle, civilisationnelle de cette colonisation. Elle replace la réalisation de leur récit dans le contexte des recherches universitaires sur cette époque, à la fois l’État Indépendant du Congo, à la fois la personnalité de Léopold II. Elle analyse ainsi la façon dont Maryse & Jean-François Charles déconstruisent l’image qu’ils avaient pu avoir sur le sujet après la visite du musée colonial de Tervuren 1960, la scène qui ouvre le tome un, et les axes selon lesquels ils le font. Elle relève, entre autres, les choix effectués pour brosser le portrait de Léopold II. Elle développe aussi l’usage des références photographiques par le dessinateur pour effectuer sa reconstitution historique, en concluant que cette bande dessinée a été réalisée avec un travail de recherche imposant et qu’elle constitue une belle invitation à réapprendre à voir le passé, qu’elle renvoie par ailleurs à la complexité d’un passé colonial qui se situe au cœur de mémoires conflictuelles.



Maryse & Jean-François Charles, et Frédéric Bihel ont réalisé une incroyable reconstitution d’un passé colonial horrible, celui de l’État Indépendant du Congo. L’artiste donne à voir des paysages somptueux, des situations atroces, des personnages très humains, dans une reconstitution historique prenante et solide. La construction du récit aborde de nombreuses facettes de la situation, avec un ancrage humain. Magistral.
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Africa Dreams, tome 3 : Ce bon monsieur Sta..

Et qu’en est-il des accusations portées contre le roi des Belges ?

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Ce tome est le troisième d’une tétralogie, indépendante de toute autre. Il fait suite à Africa Dreams, tome 2 : Dix volontaires sont arrivés enchainés (2012) qu’il faut avoir lu avant. Sa parution originale date de 2013. Il a été coscénarisé par Maryse & François Charles, dessiné et mis en couleurs par Frédéric Bihel. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée.



En 1903, un jeune reporter en pantalon de golf arrive à bicyclette devant la porte du vaste cottage de Henry Morton Stanley, dans le Surrey. Il manie le heurtoir et pénètre dans le salon de l’explorateur. Il lui demande ce qu’il pense de toutes les exactions commises au Congo. Dans son fauteuil roulant, devant l’âtre, son hôte lui répond que bien sûr il déplore que cette contrée soit devenue un tel cabinet des horreurs. Mais apporter les bienfaits de la civilisation en si peu de temps à un immense pays comme le Congo ne pouvait se faire sans bavure. Beaucoup de ces malheureux Nègres indolents et peu résistants au travail ont payé de leur vie la modernisation de leur pays. Mais il ne faut pas oublier non plus qu’un tiers des colons blancs qui ont vécu là-bas ont succombé aux maladies tropicales. Il suffit de le regarder : il a survécu, mais à quel prix ! On est obligé de lui administrer régulièrement de la strychnine, de l’ammoniaque, de l’éther… Le jeune reporter roux continue : Qu’en est-il des accusations portées contre le roi des Belges ?



Le vieux Stanley s’emporte : Des calomnies, ce ne sont que des calomnies ! Il a bien connu sa Majesté. Un roi profondément humain, plein de discernement. Un grand visionnaire qui lui a fait l’honneur de lui accorder son amitié. Non, franchement, c’est une campagne diffamatoire menée par les grandes puissances européennes qui convoitent son Congo. Le jeune homme lui demande alors où en sont ses mémoires ? Est-ce qu’il y travaille toujours ? Stanley se déplace en fauteuil pour sortir à l’extérieur, tout en expliquant que cet endroit est propice à la méditation et au souvenir. Pour peu, il se retrouverait en Afrique. Une fois sortis, ils traversent une immense pelouse. Stanley reprend : il finira ses mémoires s’il lui en reste le temps car il a fait don de sa vie à son pays et à l’Afrique. Pour le moment, il en est à l’expédition Emin Pacha. Ils arrivent devant un grand étang, et Stanley se met debout pour le contempler : voici sa forêt d’Ituri, son fleuve Congo, et cet étang c’est son cher Stanley Pool. Il se souvient : c’est lors de l’expédition Emin Pacha, il y a seize ans qu’il l’a revue pour la dernière fois, cette huitième merveille du monde. Il enjoint son invité à fermer les yeux, pour imaginer un fleuve parfois si large qu’on distingue à peine son autre rive. En 1887, Stanley et ses hommes parviennent enfin au Stanley Pool. Cette expédition est la plus dure jamais menée en Afrique. Il répartit ses huit cents soldats et porteurs en deux colonnes. À la tête d’une force moins importante et plus mobile, il a l’espoir d’atteindre Emin Pacha plus rapidement et d’accomplir ainsi un sauvetage spectaculaire. Bientôt, les vivres se font rares, les porteurs trébuchent, tombent. Fort heureusement, ils parviennent en vue d’un village…



Une entrée en matière inattendue : une séquence après les faits car le temps présent du récit correspond à la fin des années 1880 et la décennie suivante. La présence de Henry Morton Stanley (1841-1904) coule de source puisque ce tome porte son nom, en revanche le petit reporter surprend avec ses culottes de golf, sa chevelure rousse et sa discrète houppette, bel hommage. En continuité avec les tomes précédents, la reconstitution historique met en scène des personnes réelles. Le lecteur retrouve, outre Henry Morton Stanley, le roi Léopold II (1835-1909), le révérend William Henry Sheppard (1865-1927, missionnaire presbytérien de l’Alabama), Edmund Dene Morel (1873-1924, journaliste), Roger Casement (1864-1916, diplomate britannique), tous apparus dans les tomes précédents. Dans celui-ci apparaissent le colonel Maximilien Strauch (1829-1911, conseiller du roi Léopold II), Mehmet Emin Pacha (1840-1892, médecin, naturaliste, explorateur, et gouverneur de la province d'Équatoria), Tippo Tip (1837-1905, marchand d’esclaves). Le récit suit le déroulement historique, la révélation publique progressive de la maltraitance des populations autochtones au Congo belge, mêlant esclavage sous forme de travaux forcés et tortures (coups de fouet, main coupée). En arrière-plan il est également question de la guerre des Mahdistes, conflit s’étant déroulé au Soudan entre 1881 et 1889, et qui a impliqué l’État Indépendant du Congo (EIC).



Comme dans le tome précédent, les auteurs alternent entre plusieurs personnages et plusieurs localisations. Tout d’abord l’introduction dans le Surrey. Puis le lac Pool Malebo (anciennement Stanley Pool), en 1887. Les serres royales du palais de Laeken, en présence du roi Leopold II et du colonel Straunch. En 1900, la palmeraie de M’Bayo avec Paul Delisle, Jenny sa belle-mère, Angèle et son boa. Les rives du lac Albert, pour la rencontre entre la troupe de Stanley et Emin Pacha. Le retour dans le village où se trouve Augustin Delisle qui accueille son fils Paul et son serviteur Niundo. Une autre séquence partant des rives du lac Albert, avec un voyage pour rejoindre le poste allemand de Bagamoyo en 1889. Le voyage d’Augustin et Paul Delisle pour rallier la mission du révérend Sheppard. Une courte séquence de deux pages dans le bureau de West African Mail, à Liverpool avec Bulldog (Morel) et Tiger (Casement). Un court trajet en automobile au départ du palais de Laeken pour le roi des Belges et Strauch. Un trajet en train pour se plonger dans la lecture du bulletin mensuel de colonisation comparée, publié par la société des chemins de fer, intitulé : La vérité sur le Congo, écrit en faveur de la politique du roi. Puis le château de Laeken, un retour à Liverpool, les serres royales, et enfin l’audition de Stanley à l’occasion d’une conférence de presse concernant la commission d’enquête pour la protection des indigènes du Congo.



Les auteurs mettent en scène des personnages historiques et des personnages de fiction. Le lecteur observe les uns et les autres pour appréhender leur caractère. Il n’est pas trompé par le qualificatif de Bon monsieur, appliqué à Stanley, car il a déjà pu apprécier ses méthodes dans les tomes précédents. Il ne parvient pas à éprouver de la compassion pour ce vieil homme cloué dans son fauteuil roulant : d’ailleurs la deuxième séquence lui rappelle immédiatement la brutalité du comportement de cet explorateur à l’encontre des Congolais, châtiment corporel d’une dureté pouvant occasionner la mort, sans une once de compassion ou d’empathie. Bien sûr, la réalisation de cette bande dessinée des décennies après les faits conforte des faits établis après coup, pour autant les auteurs citent les propos de Stanley dans lesquels ne se trouve aucune trace de remise en question, ni même une once de doute. Léopold II est montré sous un jour tout aussi critique (pleinement conscient des horreurs commises au Congo), aggravé encore par son goût pour les très jeunes femmes (une allusion à Blanche Delacroix, 1883-1948). Le regard du colonel Strauch est masqué par ses lunettes aux verres fumés, toujours raide et impassible. Par comparaison, les Congolais anonymes apparaissent plus humains dans leurs émotions, et plus fragiles étant traités comme des esclaves, à l’opposé d’un groupe ethnique sans identité individuelle. Paul, Augustin, Jenny, Morel et Casement font preuve d’empathie.



La beauté des planches s’exprime dès la première page : ce jeune homme sur sa bicyclette en train de monter une côte, sous la frondaison des arbres, avec des fleurs sauvages poussant au pied du mur de clôture. La belle porte en bois avec son heurtoir, permettant d’entrer dans la propriété. La vue en élévation montrant l’ampleur de ladite propriété et le parc, les bois. Tout du long, le lecteur sent qu’il ralentit sa lecture pour se délecter d’un paysage en extérieur ou en intérieur : le très grand salon richement décoré de la demeure, avec ses boiseries, sa cheminée, la tête de crocodile empaillée, ses statues, le tapis à motif, la peau de fauve en carpette, les tableaux accrochés au mur dont le portrait de Léopold II, les lourdes tentures, etc. Puis le lecteur prend le temps de parcourir la jungle avec les différentes essences d’arbres, de reprendre sa respiration après avoir traversé un pont de liane, d’admirer l’architecture des serres royales de Laeken, de profiter de la douceur de la nuit tombée sur la terrasse de la maison de brousse d’Augustin Delisle, de prendre conscience des dimensions du lac Albert, de voyager en train au départ de la gare du Nord à Paris, de faire quelques pas dans les rues de Liverpool, d’admirer encore une fois les palmiers des serres royales. La narration visuelle de ce tome confirme le niveau de qualité formidable constaté dans le précédent : que ce soit la conception visuelle du scénario, ou son exécution, le lecteur étant reconnaissant aux époux Charles d’avoir confié cette histoire à un tel artiste.



Les auteurs continuent d’évoquer la réalité de l’exploitation des ressources tant naturelles qu’humaines du territoire du Congo belge, et l’information progressive de l’opinion publique sur ces exactions. La construction du récit présente un équilibre parfait entre faits historiques et expérience à l’échelle humaine de ces réalités, avec une narration visuelle époustouflante pour son dosage entre description détaillée et évocation, un voyage édifiant.
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Africa Dreams, tome 2 : Dix volontaires son..

Et comme me disait mon père, c’est à armes égales qu’il fallait se battre contre les hypocrites.

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Ce tome est le deuxième d’une tétralogie, indépendante de toute autre. Il fait suite à Africa Dreams, tome 1 : L'ombre du roi (2010) qu’il faut avoir lu avant. Sa parution originale date de 2012. Il a été coscénarisé par Maryse & François Charles, dessiné et mis en couleurs par Frédéric Bihel. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée.



En 1897, dans le port d’Anvers, un navire décharge sa cargaison pour l’État indépendant du Congo, l’entreprise qui exploite les ressources de ce pays. Il s’agit de nombreuses caisses contenant des chaînes. L’opération est inspectée par Edmund Dene Morel, un employé de l’entreprise britannique Elder Dempster. Il est observé à la dérobée depuis les fenêtres d’un bureau, par monsieur Stuurewagen, haut dirigeant de l’EIC. Ce dernier interroge son assistant : qui est vraiment ce Morel et pourquoi Liverpool l’a choisi malgré sa jeunesse ? Le secrétaire répond : son employeur a toute confiance en Morel et l’envoie régulièrement pour contrôler le chargement et le déchargement des vapeurs qui font le Congo. Stuurewagen décide de le recevoir dans son bureau. Il lui demande si tout va comme il veut. Morel répond qu’il est étonné. Elder Dempster reçoit du caoutchouc et de l’ivoire, envoie des soldats et des armes pour maintenir l’ordre, et aussi des chaînes. À quoi servent les chaînes ? Son interlocuteur essaye de détourner son attention en lui suggérant qu’il pourrait prétendre à un poste plus en rapport avec ses compétences, un poste qui lui permettrait de rester plus souvent auprès des siens en Angleterre, et qui doublerait son salaire.



Au Congo belge, Niundo avait accepté d’accompagner Paul Delisle, jeune missionnaire, jusqu’au nord-ouest du lac Tanganyika où se trouvait Kibanga, la mission des Pères Blancs d’Alger. Puis, ne désirant pas rencontrer les démons blancs, il s’en était retourné vers la plantation M’Bayo. La mission vivait en complète autarcie. Son potager, ses champs de maïs, de sorgho et de tabac, son élevage de poules et de bétail, en faisaient un des établissements les plus prospères de la région. Paul se présente au père Camille, et se confesse quelques temps après. Le père l’admoneste : il ne comprend pas comment Paul peut calomnier leur ordre et leur roi. Le jeune missionnaire a été appelé par le Seigneur pour évangéliser les sauvages d’Afrique et non pour critiquer les méthodes employées par la Force Publique. Le père Camille continue : les nègres sont de race inférieure et Paul sait comme lui qu’ils sont paresseux, indolents, chapardeurs, retors, sans aucune morale. En un mot, ce sont des païens indignes de confiance. Certains d’entre eux pratiquent encore le cannibalisme, c’est tout dire ! Le père lui pardonne et l’absout de ses péchés, mais il faudra que Paul prie beaucoup et faire jeûne pour retrouver la pureté de son âme. Ils sortent dans la cour, au grand soleil. Le père Camille accueille une expédition qui est de retour. Deroo, le responsable de l’expédition rend compte : beaucoup de pertes cette fois, près des trois quarts des enfants africains sont morts, les fièvres, un trajet pénible semé d’embûches.



Une superbe illustration en pleine page pour ouvrir ce récit : une vue en élévation d’un quai du port d’Anvers, la capitainerie, les grues en train de débarquer le chargement, les charrettes à cheval venant prendre les caisses, les cargos amarrés, les voiliers, un navire avec son bateau pilote, quelques mouettes ou goélands. Au fil des séquences, l’artiste consacre du temps à composer des images mémorables. Le bureau principal de l’EIC avec son parquet, ses tentures ses grandes vitres, ses pupitres avec des registres, un poêle à charbon au centre, une maquette de trois-mâts, des tableaux accrochés au mur dont un du roi Léopold II, le lecteur prend le temps parcourir toute la pièce du regard. Le bureau de monsieur Stuurtewagen dispose de sa propre décoration, avec des meubles plus luxueux, une grande carte murale du Congo, une pendulette, un coffre-fort, un fauteuil cuir, des statuettes africaines, une lampe de bureau ouvragée, etc. L’artiste compose également de magnifiques paysages, par exemple la première vision du Congo, au bord du fleuve avec un ciel allant de l’ocre au gris et des rives verdoyantes, en fort contraste avec la grisaille du port d’Anvers dans la page précédente. La représentation de l’intérieur des serres royales de Bruxelles coupe le souffle par leur hauteur. Le lecteur se dit qu’il aurait bien accompagné à vélo le roi Léopold se rendant en tricycle adulte chez son amante la baronne de Vaughan, parcourant la promenade le long de la plage et de l’océan à Ostende. Il savoure également la chaleur de l’éclairage artificiel des Folies Bergères à Paris.



L’artiste semble avoir gagné en confiance par rapport au premier tome avec une narration visuelle disposant de découpages très équilibrés, entre les moments descriptifs, les moments focalisés sur les personnages en gros plan, et les moments d’atmosphère. L’histoire continue de se focaliser sur l’exploitation du peuple congolais par le gouvernement du roi des Belges, une main d’œuvre bon marché réduite au travaux forcés, un euphémisme pour un esclavage de la pire espèce. Le dosage des éléments visuels et la conception des plans de prise de vue racontent admirablement bien chaque moment en fonction de sa nature. En planches seize et dix-sept, l’artiste montre d’abord les consignes du roi Léopold II pour améliorer la production et limiter les investissements, des images dans les serres royales, et l’évocation des travaux de voies de chemin de fer au Congo, puis il montre un pont métallique franchissant une rivière, les ouvriers pelletant dans de petits wagonnets, de type Deauville, à flanc de montagne et enfin la locomotive qui progresse tirant lesdits wagonnets, répondant au modèle réduit dans la page en vis-à-vis, se trouvant dans les serres. Les scénaristes consacrent également des passages à Paul Delisle : l’artiste réalise une planche dépouillée, avec des camaïeux reprenant les couleurs de la chapelle, quand il se confesse au père Camille, focalisant ainsi l’attention du lecteur sur ce qui joue dans l’esprit des deux hommes. Plus loin, le lecteur partage la détresse du frère Lucien-Marie entamant une relation amicale avec Paul, une forme de souffrance émotionnelle dans le regard. À Ostende, le lecteur n’en croit pas ses yeux en découvrant la lueur égrillarde dans le regard du roi Léopold quand son secrétaire mentionne son rendez-vous avec la baronne de Vaughan. Il sent les larmes lui monter aux yeux quand il voit Roger Casement avec le regard embué, ne pouvant émettre aucune objection au spectacle des chefs de tribus des environs et de leur famille, contraints et forcés de danser pour lui, sous peine qu’ils soient affreusement punis. Régulièrement, le lecteur se sent emporté par une atmosphère particulière : la lumière grise du port d’Anvers au-dessus de la Mer du Nord, l’horreur de l’eau teintée de sang du fleuve Congo après qu’un hippopotame ait été abattu, la douceur d’une forêt du pays de Galle, celle d’un feu de cheminée dans un appartement de Londres. L’agitation de la mer d’Irlande au large du port de Liverpool. La majesté d’un vieil éléphant, réduit à une petite silhouette dans un paysage embrumé d’Afrique.



La narration visuelle apporte une identité très particulière à cette reconstitution historique de la colonisation du Congo belge. Les auteurs ont construit leur récit en une quinzaine de séquences, dont celles mettant en scène le frère Paul Delisle qui continue de découvrir l’étendue des atrocités commises par les colons, ainsi que des personnages historiques. Le lecteur retrouve le roi Léopold II qui est mis en scène comme le décideur responsable de cette exploitation où seul compte le profit capitaliste. Il découvre Edmund Dene Morel (1873-1924, écrivain et journaliste), Roger Casement (1864-1916, diplomate britannique au Congo), et le révérend William Henry Sheppard (1865-1927), missionnaire presbytérien, américain de l’Alabama. Par ces trois hommes, et certainement d’autres dans la réalité historique, les exactions commises par la Force Publique et par les autorités belges au Congo commencent à être portées à la connaissance du grand public.



Les époux Charles se sont basés sur une quarantaine d’ouvrages pour relater le mode d’exploitation des ressources du Congo belge (importation d’ivoire et de caoutchouc, les gisements de cuivre à ciel ouvert, et peut-être d’or), les responsabilités de Léopold II (1835-1909) dans cette politique de colonisation, les mécanismes de décision permettant aux entreprises d’exploiter la main d’œuvre sur place, de piller les ressources, de faire fonctionner l’exportation, d’importer les produits nécessaires au Congo belge, un banquier s’extasiant auprès du roi des Belges d’un taux de 700% de bénéfices annuels. En parallèle, Paul Delisle assiste, et parfois participe à l’esclavage de la population africaine, faute de savoir dans quelle situation il se trouve, appartenant à une mission. D’un côté se trouvent des individus engagés dans une entreprise capitaliste, faisant de leur mieux pour satisfaire leurs commanditaires, pour se montrer efficaces avec les moyens que le système met à leur disposition. De l’autre côté, des individus ne se sentent pas légitimés par le système pour considérer les peuples autochtones comme des êtres humains de seconde zone. Il leur est alors impossible de concilier la souffrance humaine avec les diktats capitalistes, avec un objectif de profit à tout prix, en particulier au prix de vies humaines.



Le premier tome commençait par l’émerveillement d’un enfant visitant le musée royal de l’Afrique centrale, de Tervuren en 1960, pour ensuite raconter cette colonisation avec des yeux d’adulte. Ce deuxième tome commence par transporter le lecteur dans chaque lieu, auprès de personnages incarnés, montrant clairement les situations et les actions, avec une narration visuelle d’une qualité exceptionnelle. Progressivement, le lecteur voit se cristalliser l’horreur ressentie par plusieurs occidentaux de la société civile qui alertent petit à petit l’opinion publique. Formidable.
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Africa Dreams, tome 1 : L'ombre du roi

Le roi vient de créer l’Ordre royal du Lion, qui récompensera ses fonctionnaires les plus zélés.

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Ce tome est le premier d’une tétralogie, indépendante de toute autre. Sa parution originale date de 2010. Il a été coscénarisé par Maryse & François Charles, dessiné et mis en couleurs par Frédéric Bihel. Il comprend quarante-six planches de bande dessinée. Cette série a fait l’objet d’une réédition en intégrale en 2021.



1960, musée colonial de Tervuren : un car scolaire s’arrête devant le bâtiment. Jean, un garçon d’une dizaine d’années, a le regard attiré par la sculpture d’une tête de lion. Les enfants descendent du car et le maître leur donne ses instructions. Ils vont traverser la route et visiter le musée. Il y a de nombreuses salles et il ne tient à perdre l’un d’eux. Aussi ils doivent se donner la main deux par deux. Jean n’écoute pas : il contemple la statue Éléphant monté par des Noirs, d’Albéric Collin. Il se fait rappeler à l’ordre par le maître et la classe commence la visite. Le maître commente : C’est leur grand roi Léopold II, dit le roi bâtisseur, qui a donné le Congo à la Belgique. Il l’avait acheté, de ses propres deniers, pour apporter la civilisation à ceux qui étaient alors des sauvages, et aussi pour entreprendre en Belgique des travaux colossaux qui allaient embellir cette petite patrie. En offrant aux citoyens ce pays quatre-vingt fois plus grand que le leur, Léopold II a légué à la Belgique un nouvel essor économique et une véritable prospérité. À présent, les élèves passent à l’étude de la faune du Congo belge, toujours en se donnant la main. Ils vont voir des félins : des lions, des léopards… et bien d’autres choses encore, voir comme ces grands fauves sont impressionnants. Jean reste fasciné devant un grand éléphant majestueux empaillé, puis devant la statue de Léopold II.



Au Congo oriental à la fin du XIXe siècle, un missionnaire dans sa longue robe blanche, avec un casque colonial, avance dans la brousse, sa valise à la main : Paul Delisle. Il avise deux autochtones à qui il demande où se trouve la plantation M’Bayo, et de quel côté se trouve la maison du maître. Les deux garçons s’enfuient en courant. Le père s’assoit, adossé contre un arbre, en se remémorant comment il est en est arrivé là. Dix ans plutôt, il se tenait dans le salon familial à Bruges, où sa mère annonçait à sa tante Adélaïde que Paul entrait au collège du Sacré-Cœur cette année. Quelques années plus tard, Paul a grandi et est maintenant adolescent, il se tient devant le directeur du séminaire. Ce dernier lui demande ce qu’il a fait de la lettre de son père remise par erreur : Paul répond qu’il l’a brûlée. Le directeur le félicite : Auguste Delisle, le père de Paul, a commis de lourdes fautes ! Il a préféré s’expatrier, abandonner son épouse et son fils plutôt que reconnaître ses torts et payer sa dette à la société. Pour les adultes, il est mort… Mort pour sa famille, mort pour ses amis et pour tous ceux qui l’ont connu bon, intègre et doué de capacités remarquables. Prier pour lui, c’est tout ce que l’on peut encore faire…



S’il a lu la série India Dreams (2002-2016, dix tomes) ou War & Dreams (2007-2009, quatre tomes) des mêmes auteurs, le lecteur peut entretenir quelques a priori sur cette nouvelle déclinaison des rêves (Dreams), ne serait-ce que parce que cette série n’est pas illustrée par Jean-François Charles, mais par un autre artiste. Lorsqu’il feuillète rapidement ce premier tome, il remarque d’abord que les pages sont réalisées en couleur directe, comme Charles, mais que le niveau de détails est très en dessous, et que l’artiste a choisi de laisser subsister quelques traits crayonnés fins et fragiles. En outre, la couverture annonce une vision colonialiste dans ce qu’elle a de plus stéréotypée, avec ce prêtre en longue bure blanche et casque colonial, mais équipé d’un fusil, et ce Congolais en pagne, fier de porter les armes et le barda du colon, avec une savane plus évoquée que vraiment décrite. Cette première impression évolue très rapidement dès les premières pages vers une autre perception. L’artiste manie habilement les pinceaux, avec des couleurs directes évocatrices, produisant régulièrement un effet impressionniste qui fonctionne bien. Les traits crayonnés ou les contours au pinceau viennent donner ce qu’il faut de consistance aux séquences ou aux cases qui le nécessitent. La narration visuelle s’avère consistante et porte sa part du récit avec clarté et un niveau de détails satisfaisant. À la rigueur, le lecteur peut trouver que l’artiste pourrait consacrer moins de cases à des gros plans sur les visages.



Après une introduction en 1960 à Tervuren, le récit passe à la fin du XIXe siècle, avec un retour dix ans auparavant. L’artiste se retrouve à représenter des lieux variés, les visuels emportant la conviction du lecteur. Ainsi la représentation du musée colonial de Tervuren (successivement musée du Congo belge en 1910, musée royal du Congo belge en 1952, musée royal de l'Afrique centrale en 1960, et enfin AfricaMuseum en 2018) transporte le lecteur devant cette statue d’éléphant à l’extérieur reproduite avec fidélité, puis dans les galeries avec les yeux d’enfant de Jean. La cinquième planche comprend une illustration en pleine page : une vision éthérée d’un paysage montagneux à la lisière de la jungle, une très belle aquarelle, produisant une rupture totale avec l’environnement urbain de 1960. Planches sept et huit, retour à Bruges avec de belles façades et de beaux intérieurs bourgeois. La planche douze est dépourvue de mot, alors que le jeune prêtre Paul Delisle avance seul dans la forêt, la lumière commençant à décliner, avec l’apparition fantomatique d’un éléphant. Puis l’artiste est amené à représenter la maison de brousse d’Augustin Delisle, le palais royal de Laeken, en 1878, avec une belle représentation d’une statue d’un lion, la façade extérieure du palais, et le bureau du roi Léopold II. De retour au Congo belge, le lecteur découvre de belles cases dédiées à nouveau à la demeure de brousse des Delisle, puis à un village incendié, et aux cases du village de Kandolo. Le lecteur prend son temps à plusieurs reprises pour admirer le rendu impressionniste de la jungle verdoyante, l’évocation de la construction de ponts de rondins au-dessus de torrents, l’horreur du village recouvert de cendre, les noirs de la Force Publique traquant un éléphant, une vision magnifique d’une montagne dans la brume, etc.



Certes, ce n’est pas Jean-François Charles qui illustre le récit, mais les planches valent quand même le détour. À une ou deux reprises, une anatomie peut sembler un peu gauche, mais pas plus. La position couchée d’Auguste Delisle blessé dans le dos semble peu compatible avec ladite blessure. Pour autant, l’artiste sait raconter en l’absence de mot, une page muette, plusieurs suites de cases sans mot. Le lecteur ressent les émotions et les états d’esprit des personnages, avec une belle empathie. La forte impression produite par la statue d’éléphant sur le jeune Jean, peut-être un diminutif de Jean-François (Charles). Le ressentiment du planteur Jean Delsaut vis-à-vis d’Auguste Delisle parce que ce dernier gère son exploitation d’une manière bien différente des autres. La suavité répugnante de Léopold II envers Stanley pour le manipuler sans vergogne, en jouant sur son ambition et sa sensibilité à la flatterie. Le choc des prises de consciences successives de Paul Delisle sur la réalité de ce qui se passe au Congo belge, en particulier la manière dont les Congolais sont maltraités, voire torturés. L’assurance d’Auguste Delisle quant à sa compréhension de ce qui se passe dans ce pays. Le lecteur finit par s’acclimater à la narration de Frédéric Bihel dont les images portent la sensibilité personnelle de l’artiste.



En fonction de sa familiarité avec l’époque, le lecteur se retrouve plus ou moins surpris avec l’histoire qui lui est racontée. Les scénaristes maintiennent une imprécision sur l’année exacte à laquelle Paul Delisle effectue son voyage au Congo belge. En revanche la rencontre entre Léopold II (1835-1909) et Henry Morton Stanley (1841-1904) permet de situer cette scène entre 1878 et 1884. Les auteurs rappellent les décisions prises par le roi des Belges : l’achat des terres du Congo avec sa fortune personnelle, et la décision d’exploiter ses ressources, caoutchouc et ivoires, avec la force de travail des autochtones, en recourant à des atrocités et une brutalité systématique, incluant tortures, meurtres et l'amputation des mains d'hommes, femmes et enfants, en cohérence avec la version de l’historien George Washington Williams (1849-1891) qui a rencontré Léopold II en 1889, puis qui s’est rendu au Congo belge. Dans une lettre ouverte au roi des Belges, il condamne l'oppression coloniale des populations congolaises, et dénonce le rôle joué par Stanley, parlant de crimes contre l’humanité pour décrire les pratiques de l’administration belge. Le lecteur fait l’expérience de ces pratiques par les yeux de Paul Delisle, sortant fraîchement du séminaire, et confrontant ce qu’il a appris et ce qu’on lui a dit sur son père et sur le Congo colonisé, à ce qu’il voit, dont il fait l’expérience directe. Le lecteur peut trouver sa prise de conscience un peu rapide, mais d’un autre côté, au vu de ce dont il est témoin, cela paraît plausible.



Un récit d’aventure à l’époque coloniale du Congo belge, à la fin du XIXe siècle ? Il y a un peu de ça, avec un regard adulte bénéficiant du recul des décennies passées, et de l’analyse politique et économique de la présence de la Belgique dans cette région du monde. Même le lecteur très attaché aux aquarelles de Jean-François Charles finit par tomber sous le charme de celle de Frédéric Bihel qui irradie leur charme propre et la sensibilité de l’artiste, en particulier pour l’impression faite par les paysages, et le ressenti des personnages. Le récit s’appuie sur des faits historiques avérés pour effectuer une reconstitution à charge de cette période, sous un angle humain et économique. Accablant.
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