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Dombey et fils

Série de 4 livres (Terminée). Écrite par Charles Dickens (4),


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Dombey et fils

"(...) Temple autrefois vivant, plein d'ordre et d'opulence,

Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui.

Le silence et la nuit s'installèrent en lui,

Comme dans un caveau dont la clef est perdue. (...)"



Orgueil et... préjudices !



Paul Dombey, homme d'affaires d'une intransigeance d'acier, n'a toujours poursuivi qu'un seul objectif : asseoir sa descendance et accoler "and Son" à la dénomination sociale de son entreprise d'expédition. Pour cela il lui faut une épouse docile, un fils à son image et des activités florissantes. Las, Madame Dombey, avant de rendre l'âme, lui donne d'abord une fille, engeance qu'il méprise, puis enfin un rejeton mâle, malheureusement égrotant... C'est la dégringolade : son héritier trépasse, la nouvelle épouse que l'altier veuf s'est achetée le dédaigne avec superbe et son empire commence à vaciller.



"L'orgueil, ça finit toujours par une chute, dit de son côté la femme de chambre, il en est toujours ainsi et il en sera toujours de même."



Ce qui intéresse Dickens dans cette chronique de "The Fall of the House of Dombey" ce sont les relations entre un père bouffi de morgue et sa fille, la touchante Florence, qu'il rejette d'autant plus qu'elle lui témoigne son amour. "(...) il n'y a pas d'orphelin dans le vaste monde qui soit aussi abandonné que l'enfant banni de l'amour d'un parent vivant."



Comme trop souvent chez l'écrivain (V° Martin Chuzzlewit ou Nicholas Nickleby), les personnages principaux sont monolithiques, n'ayant pour rôle essentiel que de charpenter le livre-monde qu'il nous offre. Son Paul Dombey demeure un "type", à la roguerie systématique : Dickens ne pénètre que très rarement dans la psyché de son héros et, tout au long du roman fleuve, l'homme se camoufle sous le caractère univoque de l'orgueil incarné. Quant à Florence, tout sucre et tout miel, elle peine à n'être autre chose qu'une protagoniste mignarde jusqu'à l'écoeurement (comme la mièvre Nell Trent avant elle) : ses débordements lacrymaux tout comme son invraisemblable candeur la desservent, la réduisant à une figure angélique, certes, mais creuse et à la limite de la monomanie.



Mais ces réserves sont marginales à côté des géniales trouvailles d'un Dickens en pleine possession de ses immenses moyens. L'univers qu'il crée ici regorge d'inventivité et d'innovations. En décrivant milieux et gens, le romancier nous amuse, nous effraie ou nous émeut avec maestria.



Inventivité d'abord en donnant vie à quelques figures inoubliables que je ne peux m'empêcher d'évoquer (sans me prévaloir d'exhaustivité) :



Avec le Petit Paul, garçonnet précoce aux oracles sibyllins, Dickens trace un portrait véridique de l'enfance (c'est si rare alors). Ses apparitions jusqu'à l'émouvant chapitre 16 "What the Waves were always saying" captent avec tendresse l'étrangeté au monde d'une intelligence cognitive supérieure, prisonnière d'un corps malingre.



Deux méchants d'anthologie (la spécialité de Dickens) se partagent les ombres du roman. La bonne Mme Brown, ignoble sorcière vénale, maquerelle à la main invariablement tendue, miroite des mêmes noirs faisceaux qu'un Fagin tandis que le véreux Carker, toujours précédé de sa denture de carnassier (plaisant leitmotiv), renouvelle l'emploi du scélérat. La trempe malsaine avec laquelle est décrit cet inflexible hypocrite réjouit autant qu'elle répugne.



Et puis, et puis... Ned Cuttle, aimable Captain Hook, au courage tout relatif, l'impayable Major Bagstock, apoplectique baderne aux yeux de homard, Miss Lucretia Tox, vieille fille aux désirs enfouis sous l'onguent de sa bonasserie, Susan Nipper, nourrice fidèle mais papotière, Rob le Rémouleur, charmante mauvaise graine... Tout le roman fourmille de personnages (plus d'une quarantaine) plus formidablement croqués les uns que les autres.



Innovation ensuite. Outre qu'on assiste dans Dombey et fils, bien avant Anna Karénine, au premier suicide ferroviaire de la littérature (me trompé-je ?), en créant les figures d'Edith Granger et de sa mère Cleopatra Skewton, Dickens anticipe sur l'acuité psychologique d'Henry James* et l'humour vachard de Proust.



La Skewton, ruine en débâcle, tête de mort grimaçante, ne déparerait pas chez les Verdurin avec ses allures de princesse Sherbatoff fauchée. Ses mines musquées, ses poses calculées et sa débandade physique composent une charge d'une impitoyable et désopilante irrévérence.



Mais la véritable héroïne de ce gros roman décidément féministe est sans aucun doute Edith Granger. Port impérial, beauté froide, la frémissante Edith, en femme fière et irréductible, remâche constamment les mêmes griefs, ceux d'être une femme de son époque, bétail à mari fortuné, opprimée par une société phallocrate et contrainte à se prostituer pour survivre. Sans plier, ni rompre, elle se venge par son attitude et ses mots -précisément choisis- de toutes les oppressions virilistes. Les chapitres qui lui sont consacrés sont d'une modernité de propos indéniable et prouve le génie précurseur de Dickens.



Touffu, luxuriant, débordant, Dombey et Fils mériterait d'être davantage lu, c'est un chef d'oeuvre patent.



*Hasard heureux ou prescience magique, est cité incidemment dans le chapitre 32, un certain capitaine Henry James.
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Dombey et fils

Les romans de Dickens se ressemblent un peu tous (pour le plus grand bonheur du lecteur) : il y a des méchants hauts en couleur, des gentils souvent un peu insipides, et une foison de personnages secondaires incroyables. Mais Dombey et Fils se distingue des autres romans par deux particularités.



La première, c'est que pour un lecteur d'aujourd'hui, ce roman sonne comme une dénonciation un peu inattendue du patriarcat. Au personnage de Dombey père que son obsession de de la domination finit par conduire à la dépression, Dickens oppose une autre vision de la masculinité : Walter Gay, courageux et responsable, mais qui n'est jamais dans l'affrontement ou le mépris. Les personnages féminins cherchent, chacune à leur manière, leur place dans une société qui les étouffe.



La deuxième originalité m'oblige à divulgâcher l'une des principales surprises du roman. C'est à ma connaissance le seul roman où l'un des personnages principaux (et éponyme puisqu'il s'agit du "fils" du titre) meurt au premier tiers du roman. Un sacré "coup médiatique" pour ce roman publié en feuilleton !



Miaou à tous.





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