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War and Dreams, Tome 4 : Des fantômes et des h..

Ce sont les hommes qui doivent être jugés et non les peuples.

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Ce tome faite suite à War and Dreams, Tome 3 : Le repaire du mille-pattes (2009) qu’il faut avoir lu avant, et il vient clore cette tétralogie. Sa première publication date de 2013. Il a été réalisé par Maryse Charles pour le scénario, et par Jean-François Charles pour les illustrations, crayonnés et couleurs. Il compte quarante-six pages. Il se présente sous la forme de plusieurs entretiens, parfois des dialogues, d’autrefois épistolaires, avec des illustrations peintes, et des crayonnés. Cette série a fait l’objet d’une intégrale en 2023, enrichie d’un dossier de vingt-quatre pages, avec un texte d’Isabelle Bournier. Ce dossier comporte des entrées sur le Mur de l’Atlantique (Hitler décide de construire le Mur de l’Atlantique, Rommel renforce le mur, le Mur de l’Atlantique face au Débarquement, Le Mur était un bluff gigantesque), La construction du Mur de l’Atlantique (L’organisation TODT, Une construction standardisée le Regelbau, Les entreprises françaises sur le Mur de l’Atlantique), Le Pas-de-Calais sous l’occupation (L’arrivée des Allemands et le début de l’Occupation, Le poids de l’occupation, La Résistance dans le Nord-Pas-de-Calais), Le Mur de l’Atlantique dans le Pas-de-Calais (Des batteries d’artillerie offensives, L’Angleterre à moins de 30 kilomètres, Lindeman et Todt les deux plus grosses batteries de l’Antlankwall, 1944 l’opération Fortitude), Les armes secrètes allemandes (Hitler croit encore à la victoire, Des sites V1 dans le Pas-de-Calais, La coupole d’Helfaut-Wizernes). Ce dossier est agrémenté de photographies d’archives, et d’esquisses de Charles.



Julien Lécluse s’adresse à son épouse Laure. Il lui demande si elle sait ce qui lui arrive. Hier, il aidait Gaston au musée quand une gamine l’a abordé. Elle s’appelle Laure Deschamps, et il paraît que c’est le maire qui la lui a envoyée. Elle fait des études en histoire, à Amiens, à l’université et elle doit rentrer un genre de rapport sur la guerre, un mémoire qu’elle a dit. Julien continue : il n’aime pas les étrangers et qu’à part Laure, il ne parle plus guère à personne. Il a d’abord refusé, mais elle lui a raconté qu’elle avait des racines dans la région. Son père est le fils de la Julie qui tenait la ferme de Haringzelle, et son grand-père maternel est le photographe de Lille chez qui Laure et lui étaient allés avant son départ pour le Service du Travail Obligatoire.



Ensuite, Laure Deschamps se rend chez Kate & Archie Wyeth. Ce dernier évoque comment elle lui est apparue : C’était un petit bout de femme d’une vingtaine d’années, aux yeux bruns et aux cheveux noirs. Elle était venue à vélo. Elle portait un chapeau, une jupe fleurie et un chemisier de couleur parme qui mettait en valeur son teint mat de méditerranéenne qu’elle n’était sans doute pas… En tout cas, un rayon de soleil venait d’entrer dans la maison. Il savait par Kate qu’elle recherchait des témoignages de différents belligérants de la seconde guerre mondiale pour rédiger son mémoire de fin d’études et qu’elle parlait parfaitement l’anglais. Kate lui avait déjà dit qu’il avait fait la guerre du désert. Elle semblait fascinée par le Renard du Désert.



A priori, le lecteur n’est pas bien sûr d’avoir envie de lire cet ultime tome. Il se présente donc sous la forme de quatre chapitres, chacun consacré à un des quatre principaux personnages des tomes précédents : Erwin le soldat allemand ayant été affecté à des postes du Mur de l’Atlantique, Archie Wyeth l’officier britannique blessé dans le désert Libyen et affecté au service d’espionnage en Égypte, Joe Bubble ayant occupé un poste de mitrailleur dans les bombardiers américains et Julien Lécluse parti au STO puis revenu et engagé dans la Résistance. Pendant la seconde guerre mondiale, chacun dans sa fonction a été amené à servir ou à réaliser une mission dans ou en relation avec la forteresse de Mimoyecques. Ce site fut un bunker à proximité du hameau de Moyecques, dans le Pas-de-Calais, construit en 1943/44 pour recevoir une batterie de canons V3 visant Londres. Il découvre, en outre, que ce tome quatre n’a pas la forme d’une bande dessinée, mais de textes entre dialogues et roman, agrémentés de nombreuses illustrations, majoritairement en couleur directe, avec quelques esquisses au crayon dans la partie consacrée à Erwin, comme des facsimilés de ses propres travaux. Chaque chapitre s’ouvre avec un dessin au crayon de la tête du protagoniste concerné, sur un papier à fort grammage. D’un autre côté, c’est l’occasion de retrouver des personnages auxquels le lecteur s’est attaché, et il comprend rapidement que ces entretiens ont lieu après les derniers événements du tome précédent, ce qui lui permet de découvrir ce qu’ils sont devenus quelques temps plus tard.



Indépendamment de la forme différente, les auteurs utilisent exactement les mêmes ingrédients que dans les trois premiers tomes : des évocations de souvenir de la seconde guerre mondiale, et quelques anecdotes sur le présent des personnages. Le dispositif narratif, des entretiens pour un mémoire de fin d’études, amène les personnages à revenir sur des faits déjà racontés dans les tomes précédents. Toutefois le lecteur n’éprouve pas la sensation de lire une seconde fois la même chose, car les personnages ajoutent leur affect et parfois le recul amené par le passage des années. Par exemple, Julien Lécluse parle de l’humiliation de l’examen médical en arrivant en Allemagne pour le S.T.O., et la mascarade qu’il constitue puisque jamais personne n’a été déclaré inapte au travail. Il aborde également les conditions de travail extrêmement difficiles (chaleur, bruit, impossibilité de communiquer, faim en continu), le retour en France et l’opprobre engendrée par le fait d’avoir travaillé pour l’ennemi, aux yeux des Français. Dans le chapitre qui lui est consacré, Archie Wyeth revient sur les conditions de vie dans le désert libyen. Puis il évoque sa convalescence au Caire, et son travail dans le Renseignement, en particulier sa connexion avec Roger Falise, nom de code Martin dans la résistance, l’homme qui lui avait fait parvenir les plans de la forteresse de Mimoyecques (la pièce manquante dans le tome précédent pour relier ce résistant à cet agent du Renseignement). Les souvenirs de Joe Bubble concerne son service dans les bombardiers lorsqu’il était affecté dans la région de Calcutta, le pont aérien au-dessus de l’Himalaya, son affectation en Birmanie, et son retour aux États-Unis, en particulier au Nouveau-Mexique pour honorer le souvenir de Wutpaki. Enfin Erwin raconte les années passées dans une isba en Sibérie d’abord comme prisonnier de guerre, puis pendant de nombreuses années après la fin du conflit mondial.



Le lecteur retrouve vite sa sympathie pour ces personnages, même pour les deux moins respectables du fait de leur comportement et des crimes commis. Il apprécie de voir ainsi explicité le lien les unissant lors du bombardement de la forteresse de Mimoyecques. Il se rend compte qu’il avait très envie d’avoir de leurs nouvelles, de savoir ce qui s’était passé après les dernières pages du tome précédent, en particulier pour celui ayant eu l’occasion de se saisir d’un pistolet chargé, découvert dans un cimetière, de l’autre portant une terrible culpabilité. Il se dit que les auteurs se montrent un peu taquins en ne faisant pas apparaître Opale dans les illustrations au temps présent. Le passage d’une forme bande dessinée à des illustrations d’entretiens fait sens du fait du principe de recueil d’informations pour un mémoire d’études. Chaque chapitre comporte une pagination différente : six pages pour Julien, huit pour Archie, dix pour Joe et vingt pour Erwin. Cela correspond presqu’à leur importance dans les tomes précédents, à l’exception d’Archie et Joe qui auraient pu être inversés. Mais il y avait plus à dire sur le devenir de Joe du fait de son crime et du jugement. Les quatre portraits en gros plan réalisés au crayon correspondent à l’apparence de ces hommes pendant la seconde guerre mondiale, avec des regards très différents : plus opprimé et abattu pour Julien, plus distant et distingué pour Archie, plus sûr de lui et même presque condescendant pour Joe, entre résignation et inquiétude pour Erwin.



Le lecteur retrouve avec grand plaisir les illustrations du bédéiste. Laure est magnifique dans sa jupe bleue à motif et son corsage blanc, sans oublier son petit bibi, et l’arrière-plan qui montre une station-service et un garage d’époque, celle de la seconde guerre mondiale. L’avance des chars britanniques dans le désert dans une peinture en double page fait ressortir l’inhumanité de tels engins blindés dans un environnement hostile, l’être humain semblant trop fragile pour y avoir sa place. Le passage consacré à Joe contient des visuels mémorables : une vue en plongée verticale avec un bombardier en premier plan et le paysage où explosent les bombes loin en contrebas, l’avancée à dos d’éléphant dans la jungle Birmane, la voiture rouge pétant de Joe dans la réserve indienne au Nouveau-Mexique. Le plus étonnant réside dans ce nu en pleine page consacrée à Eva Braun (1912-1945) qui a peut-être été réalisé par Adolf Hitler (1889-1945). Le chapitre consacré à Erwin commence par une magnifique illustration en pleine page une vue en plongée oblique au-dessus des toits d’un petit village de Normandie, avec la mer au fond. Outre les facsimilés des esquisses d’Erwin pour représenter Opale, le lecteur prend le temps de savourer une illustration en double page consacrée au paysage naturel autour de l’isba, puis un portrait saisissant en gros plan de la tête d’Erwin au temps présent du récit. Toutes les images viennent illustrer et montrer les faits évoqués par les quatre hommes dans leurs souvenirs, leur donnant une consistance remarquable, colorée par les émotions qui s’y rattachent.



Pas forcément très enthousiaste à l’idée de lire un quatrième tome qui n’est pas une bande dessinée et qui peut faire penser à une opération mercantile de l’éditeur et des auteurs, le lecteur se rend compte immédiatement qu’il avait envie de retrouver ces personnages une dernière fois. De bonne grâce, il entame sa lecture et il tombe vite sous le charme de la narration, mêlant souvenirs et émotions qui leur sont liées. La continuité avec les trois premiers tomes s’avère parfaite : entre évocation de la seconde guerre mondiale telle que vécue par Erwin, Archie, Joe et Julien, éléments complémentaires venant parachever l’intrigue initiale, et prise de recul sur ce que ces hommes ont vécu, sur ces circonstances arbitraires de leur vie qui l’ont façonnée sans qu’ils n’y puissent rien. Une conclusion émouvante sur les conséquences des épreuves subies, des erreurs commises, des traumatismes persistants, de la fragilité et de la faillibilité de l’être humain.
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