En hommage à l'écrivaine et professeure Monique Bosco
Il y a dans la Bible des millions d’histoires vivantes. Je me sers souvent de ces histoires bibliques parce que j’ai de la misère à raconter les miennes et parce que ça m’oblige à affronter un réel que je n’affronterais peut-être pas par mes propres moyens.
Elles les entendait encore, dans la torpeur du premier demi-sommeil. Une trépidation rageuse la saisissait alors. À l'abri, dans le noir presque complet de sa chambre, cette rumeur la poursuivait. D'avoir entendu tant de paroles, doléances diverses, ses oreilles s'entêtaient à répercuter ces refrains répétitifs, absorbés durant la journée. Elle en acquit la certitude absolue : chacun se mourait pour parler. Raconter n'importe quoi - mais faire passer, en mots, ce mal à l'âme, ces douleurs du corps assez anodines pour éviter l'opération, l'amputation, mais irritantes à l'excès. Sous le plus futile prétexte, ils communiquaient leur angoisse au « médecin de famille ». Ils adoraient « aller au docteur ». Pourquoi se priver ? Les consultations étaient gratuites. Lui, le pauvre, paraissait toujours aussi désargenté dans son cabinet, mal éclairé, mal meublé. Un « vrai médecin d'autrefois ». Ils le célébraient, entre eux, dans la salle d'attente. Toujours remplie, la salle d'attente. On y attendait, longuement, son tour. Elle les soupçonnait d'être heureux du délai. Cela augmentait peut-être l'intérêt de cette halte consacrée à leur existence. Sortie hors de la routine du travail quotidien. En vain, elle essayait de planifier des horaires raisonnables. II se débrouillait pour enchevêtrer les rendez-vous les mieux agencés. La liste était longue des malades qu'il lui interdisait de remettre à « plus tard ».
Noir d’ennui. Sans repère.
Sans espoir ni projet.
Sans lien,
sans lieu.
Sans rêve.
Même pas de douleur pour occuper ce corps,
condamné à s’effriter dans le noir ennui
d’une fausse vie, inventée à regret.
Libre passage
Refuge des mots. Abri sûr et toujours disponible.
Barrières de papiers. Livres aimés, déjà là. Toujours là.
Quand nulle autre frontière ne s’ouvre pour nous livrer passage.
Le temps perdu
J’ai perdu mon temps de si étrange façon.
En aveugle, sans le voir passer.
Sourde qui n’a pas entendu son tic-tac frénétique.
Muette qui n’osa prononcer les paroles nécessaires.
Je l’ai perdu, comme une folle, qui n’a jamais perçu la dure leçon de la passion.
Fantôme
De nuit, ton fantôme
Oui, c’était toi, sans nul doute.
Le spectre de l’amour est fidèle.
Je n’ai pas osé feindre l’ignorance.
L’oubli n’est pas mon fort.
Devant le rappel de l’amour mort et perdu
j’ai été aussi faible qu’autrefois.
Absurdes raisons
Ceux que j’ai aimés ne l’ont sans doute jamais su.
On aime pour de si absurdes raisons.
Il vaut mieux les cacher.
Que le doute réchauffe ceux
qu’aucun amour ne rassurera jamais, de toute façon.
Équinoxe
Rude apprentissage de l’oubli.
Avec l’arrivée d’équinoxe du printemps,
il faut balayer devant sa porte.
Tout passer au crible.
Oser effacer les anciennes traces,
plonger dans un présent précaire.
Vivre chaque journée
Comme si c’était la dernière.
Pour moi, il n'y eut qu'un couple idéal au monde, celui que formaient mes parents, autres Adam et Eve, heureux de quitter le Paradis pour la terre afin d'y vivre loin de tout regard indiscret. À l'abri de l'œil de Dieu. Adam et Eve eurent deux fils ennemis. Pour mes parents, ce fut une malédiction de me mettre au monde. Le châtiment divin n'était pas d'enfanter dans la douleur mais de partager leur pain avec une chétive intruse. Ma mère, à la rigueur, aurait accepté un fils à l'image de son amour. Mon père ne se consolait pas d'avoir sous les yeux une triste contrefaçon de l'épouse adorée pour sa beauté.
Pèlerinages
Quand tous les voyages ne sont plus que des pèlerinages
Aux sources taries d’autrefois,
Il est temps de renoncer à même sortir de chez soi.