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4/5 (sur 7 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Paris , le 01/05/1930
Mort(e) à : Orléans , le 18/11/2021
Biographie :

Philosophe français, Professeur à l'Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne. Ses recherches portent sur l’histoire de la philosophie (sur ses doctrines, courants et traditions matérialistes), les matérialismes dans l'Antiquité (aristotélisme, épicurisme et stoïcisme) et de l’âge classique (en France et en Grande-Bretagne comme Marx, Engels, et les traditions marxistes) et les traditions libertines et clandestines de l’âge classique.



Source : wikipedia
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Citations et extraits (8) Ajouter une citation
Hölderlin appartient à cette époque étincelante de la fin du XVIIIe siècle en Allemagne qui vit fleurir l’idée d’une proximité énigmatique entre philosophie et poésie. Car la question que Hölderlin partage avec tous ses contemporains, avec Schiller, Schlegel, Novalis, et ses condisciples au Séminaire de Tübingen, Schelling et Hegel, c’est celle de la pensée et de l’expression de la totalité. Ce qui constitue l’originalité de la réponse que Hölderlin apporte à cette question, c’est l’accent mis non pas sur l’identité, qui serait le trait d’une totalité morte, mais au contraire sur le processus de différenciation interne qui caractérise une totalité vivante en devenir. « Nature » et « sacré » sont ainsi des noms du tout qu’il s’agit de penser, selon la formule héraclitéenne que Hölderlin reprend à son compte dans Hypérion, comme « l’un qui diffère de lui-même » et qui dès lors a « besoin » de la culture, de l’art et de l’humanité. Ce qui distingue pourtant décisivement cette conception dialectique de la réalité de celle de Schelling et de Hegel, c’est qu’elle n’est pas chez Hölderlin maîtrisée par le concept, mais exprimée dans le poème.

2On voit en effet alors apparaître une figure nouvelle, celle du poète-philosophe. L’époque qui a précédé la constitution du système philosophique le plus achevé de toute l’histoire de la philosophie, à savoir le système hegélien, dont la première partie a paru en 1807 sous le titre de Phénoménologie de l’esprit, a en effet été marquée, avec les noms des frères Schlegel, de Schelling, de Schleiermacher, de Novalis, par la volonté de réunir l’art et la science, la poésie et la philosophie. Le programme de ce romantisme théorique que fut le premier romantisme, le romantisme de Iéna, s’exprime dans un fragment de Friedrich Schlegel, datant de 1797, qui dit :

1 Fragments critiques, Fgt. 115, 1797, cf. Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, L’absolu littéraire. (...)
« L’histoire tout entière de la poésie moderne est un commentaire suivi du bref texte de la philosophie ; tout art doit devenir science et toute science art : poésie et philosophie doivent être réunies »1.

3C’est au cours des premières semaines de la même année 1797 que le jeune Hegel transcrira de sa main, mais peut-être sous la dictée de Schelling ou plus probablement encore de Hölderlin, les quelques feuillets que Franz Rosenzweig retrouvera et publiera en 1917 sous le titre sans doute un peu trop pompeux de « Le plus ancien programme systématique de l’idéalisme allemand ». On trouve dans ce texte l’esquisse d’une éthique, d’une physique, d’une politique, d’une théologie et d’une esthétique, et c’est tout cela ensemble qui constitue en cette fin de siècle la tâche de la pensée, à savoir celle, pratique, d’une libération de l’humanité qui passerait par la création d’une nouvelle religion, sensible au cœur et accessible au peuple, et d’une nouvelle mythologie, d’une « mythologie de la raison » qui se mettrait au service des idées.

4Quelques mois plus tard, à la mi-avril 1797, paraît à Tübingen le premier volume d’Hypérion, roman que Hölderlin a achevé l’année précédente, le second volume ne devant paraître que deux ans plus tard. Il s’agit en quelque sorte d’un Bildungsroman, d’un roman de formation qui narre l’histoire de l’éducation du héros Hypérion, les étapes du développement de sa personnalité, de l’enfance passée au sein de la nature, de son instruction sous la conduite d’un maître, de l’expérience de l’amitié et de l’amour, puis de la perte de l’une et de l’autre et finalement de l’acceptation de la finitude et de la mort dans le choix d’une vie d’ermite. Le roman se situe dans les temps modernes en Grèce et son thème fondamental, c’est la recherche d’un retour à l’unité perdue avec la nature que symbolise la Grèce antique, à partir de cette expérience de la séparation et du retrait du divin qui constitue l’essence de la modernité. C’est ce que Hölderlin soulignait dans un projet de préface rédigé à la fin de l’année 1795 et non repris par la suite :

2 Hölderlin, Œuvres, Paris, Gallimard, Pléiade, 1967, p. 1150.
« L’unité de l’âme, l’Être au seul sens du mot, est perdu pour nous et nous devions le perdre, si nous devions le désirer, le conquérir. [...] Nous avons rompu avec la nature, et ce qui était naguère, à ce que l’on peut croire, un, maintenant s’est fait contradiction [...]. Mettre fin à ce combat entre nous et le monde, [...] nous unir avec la Nature en un tout infini, tel est le but de toutes nos aspirations, que nous nous entendions ou non là-dessus »2.

5On retrouve ici une thématique qui est déjà celle de Schiller dont Hölderlin a fait la connaissance en 1793, mais qu’il admire passionnément depuis l’adolescence et dont la poésie a été la source essentielle d’inspiration de ses premiers poèmes. Schiller publie en effet en 1795 et 1796 dans les Horen, la revue qu’il a fondée avec Goethe, deux textes dont Hölderlin prendra aussitôt connaissance, les Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme et Sur la poésie naïve et sentimentale. Dans ce dernier texte en particulier l’opposition entre l’hellénité et la modernité est comprise comme la différence entre deux manières de penser et de se rapporter à la nature : est naïf ce qui est nature, est sentimental ce qui cherche une nature perdue. C’est en effet parce que les Grecs vivent en intimité avec la nature que l’on rencontre chez eux peu de traces de l’intérêt sentimental qui attache les modernes aux scènes de la nature. Les Grecs ne font pas de différence entre culture et nature, précisément parce que chez eux la culture se déployait dans la proximité de la nature et sans rupture avec celle-ci. C’est pourquoi Schiller peut dire des Grecs qu’« ils sentaient naturellement » alors que les modernes « sentent le naturel » et que le sentiment de la nature chez le moderne « ressemble à celui que le malade éprouve pour la santé ». Schiller voit cependant dans l’histoire un progrès qui se réalise en trois moments. Le premier moment est celui de l’harmonie entre la nature et l’art qui, comme le dit Aristote dans sa Physique, « imite ou parachève la nature ». Dans le second moment, l’art conquiert sa liberté en se retournant contre la nature et en brisant les liens qui l’unissent à la totalité. On a donc affaire à une antithèse entre le premier et le second moment, entre la poésie naïve et la poésie sentimentale, entre les poètes anciens et les poètes modernes, entre la réalité et l’idéal, puisque si les poètes anciens sont nature, les poètes modernes en cherchant la nature perdue font de celle-ci un idéal. Le troisième moment est celui où l’art achevé retourne à la nature et où se concilient la sensibilité et la raison, la nature et la liberté. Il y a donc une logique de l’histoire : la nature doit être anéantie par son opposé, l’art destructeur, pour se retrouver dans la synthèse idéale de l’art et de la nature qui advient comme accomplissement total de l’essence de l’homme qui est un être à la fois réceptif et spontané, naturel et libre, comme Kant l’a bien montré. Car ce que cherche Schiller, qui ouvre avec Fichte l’ère du post-kantisme, c’est une synthèse réconciliatrice qui permette le dépassement du dualisme kantien de la nature et de la liberté.

3 Ibid., p. 316.
6Hölderlin a lui aussi les mêmes références que Schiller, les Grecs et Kant, comme l’atteste une lettre qu’il écrit du séminaire de Tübingen en juillet 1793 à son ami Neuffer et comme il le répète un an plus tard dans une lettre à Hegel datée du 10 juillet 1794 : « Kant et les Grecs sont à peu près ma seule lecture »3. C’est à cette époque qu’il achève une première ébauche de son roman qui sera publiée en novembre 1794 dans Thalia, la revue de Schiller, et ce fragment s’ouvre sur l’idée kantienne de l’opposition de la nature et de la culture :

4 Ibid., p. 113.
« Il y a pour l’homme deux états idéaux : l’extrême simplicité où, par le seul fait de l’organisation naturelle, sans que nous y soyons pour rien, nos besoins se trouvent en accord avec eux-mêmes, avec nos forces et l’ensemble de nos relations ; et l’extrême culture, où le même résultat est atteint, les besoins et les forces étant infiniment plus grands et plus complexes, grâce à l’organisation que nous sommes en mesure de nous donner »4.

5 Hölderlin, comme déjà Schiller, a trouvé dans les opuscules sur la philosophie de l’histoire de Ka (...)
6 Hölderlin, Œuvres, op. cit., p. 114.
7Hölderlin, qui parle un peu après de l’« orbite excentrique » qui mène de la nature à la culture, affirme donc une identité entre l’état originaire de l’humanité et l’état de son accomplissement le plus achevé, au sens où l’homme doit apprendre à retrouver par l’organisation qu’il se donne à lui-même cet accord avec soi-même qui était le fait de la nature. Mais cette exigence d’une union supérieure, d’une hyperculture qui ferait retour à la nature5, est difficile à réaliser car, si ce qui anime Hypérion, c’est l’esprit d’impatience, il lui faut précisément apprendre que le retour à cette belle totalité que Hölderlin nomme à la fois « la nature » et « le sacré » ne peut être immédiat. Dans cette première ébauche du roman, cette aspiration à la totalité, qui fait dire à Hypérion : « Ce qui ne peut m’être tout, pour l’éternité, ne m’est rien »6, se heurte à la réalité de la finitude et de la séparation qu’elle ne peut abolir durablement. Certes l’apparition de Mélite, qui incarne la belle totalité, qui est donc le sacré même devenu visible, est cet « événement inexprimable » qui est celui d’une délivrance de la finitude :

7 Ibid., p. 116.
« Mon existence terrestre était morte, le temps n’était plus ; délivré de ses chaînes, proprement ressuscité, mon esprit pressentait sa race et son origine »7.

8Mais cette apparition immédiate du sacré, d’une totalité qui demeure extérieure au fini, qui demeure une fausse totalité et un faux infini, n’est pas appropriable pour l’être séparé qui s’efforce de s’unir à elle. C’est pourquoi à la révé
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Le grand ouvrage de Cassirer doit beaucoup à la pensée du langage de W.von Humboldt et à la notion de symbole selon Helmholtz, précisée et utilisée par Heinrich Hertz. Dans ses Principes de mécanique (1894), Hertz proposait, outre une « image électrodynamique du monde », une véritable « conversion de la ‘théorie de la connaissance comme copie’ en une pure ‘théorie du symbole’ »11. A l’instar des modèles dynamiques, les formes symboliques doivent faire voir que les conséquences des images-symboles, qui s’imposent nécessairement à la pensée (denknotwendigen), sont elles-mêmes les images des conséquences nécessaires selon la nature (naturnotwendigen) des objets reproduits12. Cassirer donnera à cette acception l’extension la plus vaste, de sorte qu’elle ne s’appliquera pas seulement aux signes et aux symboles des sciences. Il s’agira de « recouvrir la totalité des phénomènes dans lesquels de façon ou d’autre, se présente le remplissement de sens du sensible, dans lesquels un donné sensible, selon le mode de son existence et de son essence, se présente en même temps comme particularisation et comme concrétisation, comme manifestation et incarnation d’un sens »13.

14 Voir Husserliana IX, p. 64.
15 Op. cit., p. 55. Cf. La crise des sciences européennes, p. 420.
8Husserl était aussi en quête d’une science universelle, dite philosophique, en laquelle seraient élucidés les concepts fondamentaux des sciences de la nature et de l’esprit. Si le concept de monde de la vie (Lebenswelt, précédemment nommé monde naturel) s’est imposé, c’est parce que le souci de dépasser le dualisme nature-esprit l’avait conduit à analyser philosophiquement une expérience originaire du monde, à partir de laquelle seraient fondées les sciences de la nature et de l’esprit. Seule l’idée d’un fondement unique et donc d’une science universelle pourrait légitimer, en son abstraction méthodologique, la bipartition des sciences14. « En tant que thèmes scientifiques, nature et esprit ne sont pas là de prime abord. Ils ne prennent forme qu’au sein d’un intérêt théorique, dans un travail théorique régi par cet intérêt même, le tout reposant sur le fond d’une expérience naturelle préthéorique. C’est là qu’ils se produisent ensemble (Miteinander), dans une interpénétration (Ineinander) originelle »15.

16 Postface aux Ideen (1930), paragraphe 2.
17 Husserliana VU, p. 385, 394-395. Voir-L. Eley, Die Krise des Apriori in der Transzendentalen Phänom (...)
18 Outre les nombreuses références à Hegel dans le T.II de La philosophie des formes symboliques, conc (...)
9Les modes d’apparition de la nature transcendante diffèrent assurément de ceux de l’expérience psychique immanente. Toutefois, la philosophie ne se réduit pas à la science a priori16. Le fait de l’esprit dans la nature, qu’en elle et par elle soit rendue possible une culture, cela ne relève d’aucune nécessité a priori. Husserl a maintenu l’opposition d’une « philosophie première » et d’une « philosophie dernière »17. On retrouve chez Merleau-Ponty le même souci du commencement et le même combat contre le dualisme métaphysique, mais non point la même impasse où vient se loger l’antagonisme de l’empirique et du transcendantal. Il y a comme un chiasme de la raison et du fait (PP p. 451). Entre le fait et la raison, le fondant et le fondé, l’irréfléchi et le réflexif, le visible et l’invisible, la matière et la forme, les contenus sensoriels ou linguistiques et la fonction symbolique qui les anime — il y a « un rapport à double sens que la phénoménologie a appelé Fundierung » et qui est comme une « équivoque définitive ». Si Merleau-Ponty évoque à ce sujet « la ruse de la Raison déguisée en Nature », la dialectique qu’il entrevoit ne pourra s’exprimer en termes d’action réciproque. À la différence de la démarche critique, qui en reste là, la phénoménologie doit décrire le milieu où la raison reprend le fait et le hasard, alors qu’elle « n’existe pas avant lui et sans lui » (PP p. 148). C’est à ce moment que Merleau-Ponty évoque Cassirer, lequel fait appel à Hegel18. Tout en faisant des réserves quant aux relents d’intellectualisme kantien dans l’œuvre de Cassirer (maintien de la notion de synthèse), il reconnaît sa dette concernant « les analyses phénoménologiques et même existentielles » (PP p. 148 N.2).

10« Notre but est de comprendre les rapports de la conscience et de la nature, — organique, psychologique, ou même sociale » (SC p. V). « La prééxistence de l’être naturel, toujours déjà là... est le problème même de la philosophie de la Nature » (RC p. 111). Quinze années séparent ces deux textes, mais entre les deux une note rappelle la permanence de cette problématique (PP p. 489). Certains lecteurs ont cru pouvoir discerner chez le dernier Merleau-Ponty les accents d’une mystique de la Nature. Si en Janvier 1959 (VI p. 219) il déclare que que la « question de la Nature » est à traiter du point de vue ontologique, on ne peut oublier que, sans mystique aucune, l’auteur de La Structure du comportement était déjà soucieux des formes et des structures à l’œuvre dans les sciences, au point d’envisager une pensée philosophique qui procéderait « selon les formes ». Ce qui suggère un niveau de généralité où la forme serait tout autre chose qu’un « des événements de la nature » (SC p. 182), au sens réaliste du terme. Ce qui implique aussi une vive conscience de la tâche proprement philosophique qui, face aux sciences, consiste à trouver « entre la suffisance et la capitulation... l’attitude juste » (RC p. 118).Dire : « La nébuleuse de Laplace n’est pas derrière nous, à notre origine, elle est devant nous, dans le monde culturel » (PP., p. 494), cela se peut sans professer un quelconque idéalisme constructif (p. 490). Voulant éviter les issues matérialistes et spiritualistes, c’est avec clarté et détermination que, dès ses débuts, Merleau-Ponty procédait à l’analyse du comportement. Le comportement n’est ni une chose, ni une idée. Pour l’interpréter, il convient de procéder à une reprise qui transforme philosophiquement la notion de forme héritée des sciences. Il s’agit de mettre en relief les différences de structure des trois ordres : physique, vital et humain, matière, vie et esprit (SC p. 183), le physique, le biologique, le psychique (p. 181). Et cela, dans le but ambitieusement déclaré, de résoudre l’antinomie constitutive de la notion de forme, en reformulant sur de nouvelles bases le problème immémorial : « La synthèse de la nature et de l’idée » (p. 183). Mais l’analyste du comportement savait déjà qu’en cela il ne pouvait prétendre accéder au statut de « pure conscience » (p. 171).

11Dès son premier livre, Merleau-Ponty pose que « la totalité n’est pas une apparence, c’est un phénomène » (SC p. 215). C’est-à-dire ce qui s’offre à une « description des structures » (p. 215 N.3). C’est pourquoi la philosophie doit devenir phénoménologique, autant dire : « pensée naturante » (p. 270). Elle doit laisser agir sur elle la nature (p. 218), afin de devenir « inventaire de la conscience comme milieu d’univers » (p. 271).

12En définissant le milieu et l’aptitude — et non l’organisme et son environnement — comme les deux pôles du comportement participant à une même structure, Merleau-Ponty n’entendait pas construire « une Métaphysique de la Nature ». Il savait devoir se borner « à nommer comme elles doivent l’être les relations du milieu et de l’organisme telles que la science elle-même les définit ». Il rejoignait ainsi, par de nouveaux chemins, Hegel, pour qui « l’esprit de la nature est un esprit caché...il est esprit en lui-même, mais non pour soi-même » (SC p. 218). Ce qui revient, en dehors de tout animisme, à ne jamais séparer vie et conscience de la vie, à ne considérer aucun organisme comme reposant en soi, à ne pas voir la Nature comme l’en soi d’un être massif, d’un objet pur (RC p. 92), mais comme un processus significatif. L’examen des processus, des rapports dynamiques à la nature est exigé du fait que comportement et perception se rejoignent : « Nous comprenons la chose comme nous comprenons un comportement nouveau, c’est-à-dire non pas par une opération intellectuelle de subsomption, mais en reprenant à notre compte le mode d’existence que les signes observables esquissent devant nous. Un comportement dessine une certaine manière de traiter le monde... Le sens d’une chose habite cette chose... C’est pourquoi nous disons que dans la perception la chose nous est donnée ‘en personne’ ou ‘en chair et en os’« (PP p. 369).
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Dès son premier livre, Merleau-Ponty pose que « la totalité n’est pas une apparence, c’est un phénomène » (SC p. 215). C’est-à-dire ce qui s’offre à une « description des structures » (p. 215 N.3). C’est pourquoi la philosophie doit devenir phénoménologique, autant dire : « pensée naturante » (p. 270). Elle doit laisser agir sur elle la nature (p. 218), afin de devenir « inventaire de la conscience comme milieu d’univers » (p. 271).

12En définissant le milieu et l’aptitude — et non l’organisme et son environnement — comme les deux pôles du comportement participant à une même structure, Merleau-Ponty n’entendait pas construire « une Métaphysique de la Nature ». Il savait devoir se borner « à nommer comme elles doivent l’être les relations du milieu et de l’organisme telles que la science elle-même les définit ». Il rejoignait ainsi, par de nouveaux chemins, Hegel, pour qui « l’esprit de la nature est un esprit caché...il est esprit en lui-même, mais non pour soi-même » (SC p. 218). Ce qui revient, en dehors de tout animisme, à ne jamais séparer vie et conscience de la vie, à ne considérer aucun organisme comme reposant en soi, à ne pas voir la Nature comme l’en soi d’un être massif, d’un objet pur (RC p. 92), mais comme un processus significatif. L’examen des processus, des rapports dynamiques à la nature est exigé du fait que comportement et perception se rejoignent : « Nous comprenons la chose comme nous comprenons un comportement nouveau, c’est-à-dire non pas par une opération intellectuelle de subsomption, mais en reprenant à notre compte le mode d’existence que les signes observables esquissent devant nous. Un comportement dessine une certaine manière de traiter le monde... Le sens d’une chose habite cette chose... C’est pourquoi nous disons que dans la perception la chose nous est donnée ‘en personne’ ou ‘en chair et en os’« (PP p. 369).

19 E. Cassirer, op. cit., III, p. 251.
20 Op. cit., p. 255, 251.
21 La question du regressus in infinitum, parfois objectée à Merleau-Ponty à propos du temps, recondui (...)
13Dans La Phénoménologie de la perception, les références nombreuses à Goldstein et Gelb viennent de l’exploitation qu’en faisait Cassirer, notamment dans son étude sur la pathologie de la conscience symbolique. C’est de lui aussi que Merleau-Ponty tenait la conviction que dans l’étude de la représentation, à savoir de la constitution du monde de l’intuition, « on discerne mieux les principales puissances sur lesquelles repose la structure du monde perçu, là où leur exercice se trouve altéré »19. C’est dans l’articulation et la gradation des opérations symboliques que se révèlent les conditions de la perception, du langage et de l’action. Plus riche est le jeu de la fonction symbolique, plus vaste est la représentation, plus dynamique chaque impression comme « grandeur vectorielle », plus variés les emboîtements des « vecteurs de sens »20 — plus libre sera le jeu du passage d’une forme à l’autre, plus libre aussi la vision d’ensemble. L’analyse des troubles du langage et de la pensée permet d’éclairer, en leur origine, les processus pré-personnels, « le système de fonctions anonymes » antérieur à l’emprise du corps sur la nature, l’œuvre originaire du corps, « cet esprit captif ou naturel » (PP p. 294). C’est dans cette originaireté anonyme qu’a lieu, avant toute connaissance d’objet, l’immersion dans la nature. Parler de l’expérience naturelle à l’état naissant (Adam au premier jour, disait Peirce), même au niveau prépersonnel et anonyme (« subdoxastique », pourrait-on dire), cela ne se peut, dans la plus simple sensation, sans remonter à « une couche du sentir antérieure à la division des sens » (PP p. 262). L’analyse des perceptions synesthésiques conduit à l’idée « d’un système synergique » (p. 270), qui est la forme élémentaire déjà symbolique, moyennant des « transpositions intersensorielles » (p. 271), d’inscription dans la nature. La philosophie de la nature ne peut commencer, phénoménologiquement parlant, plus radicalement que par le « temps prépersonnel » (p. 100), ce sensorium commune évoqué par Herder (p. 271, 276), que Merleau-Ponty explicite en termes de préhistoire (p. 277) et de « tradition prépersonnelle » (p. 293)21.

22 E. Cassirer, op. cit., II, p. 186.
14Comme le montre l’analyse du sentir, les travaux des psychologues aujourd’hui oubliés, mais longuement consultés par Merleau-Ponty guidé par Cassirer, le persuadent, autant que la lecture de Husserl, qu’avant le jugement, il y a ce milieu d’expérience, qu’avant la spontanéité du jugement, il y a « les prises de la spontanéité sur le monde sensible et notre pouvoir de figurer en lui une intention quelconque « (PP p. 224). Or la symbiose avec le monde naturel — schéma corporel, mais aussi rapport à la naissance et à la mort — implique à la fois déprésentation de soi et reprise de soi. Les rapports de motivation entre l’intérieur et l’extérieur (PP p. 417) constituent le champ de la fonction symbolique. C’est seulement par la médiation des formes symboliques « que les deux moments de l’intérieur et de l’extérieur, du moi et de la réalité, réussissent à se définir et à se délimiter réciproquement ». La frontière ainsi posée « n’existe pas auparavant, n’est pas dessinée une fois pour toutes, (elle) a un tracé différent pour chacune de ces formes »22.

15La tension entre les existences, dont le lieu est d’abord le corps sexué, se produit dans une « atmosphère » (PP p. 196s, 201, 418), laquelle, non moins que l’horizon de la mort ou l’environnement social et économique, provoque dans l’existence une indétermination telle qu’on ne peut « délimiter ce qui nous vient de la nature et ce qui nous vient de la liberté » (p. 197). Sans recourir au terme de Chiasme, La Phénoménologie de la perception parle seulement de dialectique. Il s’agit bien, en effet, d’une reprise du projet de Hegel, mais elle exclut sa réalisation proprement hégélienne, puisqu’il est question de penser, en leur ambivalence, les rapports fondamentaux de la nature et de la liberté, sans toutefois les formaliser pour les intégrer dans un tout absolument pensable.

16Quand il parle de la signification métaphysique du corps et de la nature, Merleau-Ponty ne procède ni spéculativement, ni en philosophe des sciences de la nature, mais en phénoménologue soucieux d’articuler les formes symboliques par lesquelles se produit comme « émergence d’un au-delà de la nature » (PP p. 195), tout le contraire d’un dépassement, le moment même de la naissance du sujet. « La nature... est un objet d’où nous avons surgi, où nos préliminaires ont été peu à peu posés jusqu’à l’instant de se nouer en une existence, et qui continue de la soutenir » (RC p. 94). Ni réalisme, ni idéalisme (PP p. 489, 492), je suis à la fois hors de moi et en moi (p. 417), à la fois libre mais non pas sans motif (p. 201). L’existence corporelle est à la fois échappement et retour vers l’être naturel : Ineinander.

23 E. Fink, « L’analyse intentionnelle et le problème de la pensée spéculative », dans Problèmes actue (...)
24 Traduit par D. Franck dans De la Phénoménologie, éd. de Minuit, 1974, p. 157 (traduction modifiée).
25 Nähe und Distanz, Freiburg/München 1976, p. 224.
17Eugen Fink déclarait féconde la phénoménologie quand elle déploie des explications concrètes, mais stérile « dès qu’elle réfléchit sur le sens d’être de cette vie en totalité (Gesamtleben) »23. Sans doute les réflexions du dernier Husserl débouchaient-elles sur une métaphysique de « l’implication des monades », sur un Ineinander (l’un-dans-l’autre) non individualisé, possible seulement dans le transcendantal »24, antérieur à la différence de l’Ego et de l’Alter Ego, sur une vie profonde qui est le jaillisement même du temps, l’origine même du monde comme jointure du fait et de l’essence, du premier surgissement du sujet dans le devenir-soi de l’Être absolu25. Par le recours à de tels concepts de mauvais augure (ominösen), Husserl se voyait reconduit aux frontières d’une métaphysique absolue. En parlant de l’Urseino ou de l’Urich, il semblait hanter dangereusement les philosophies spéculatives de l’identité. En fait, jamais ces explorations laborieuses, ces esquisses aventureuses ne se figeaient en doctrine spéculative.
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De Merleau-Ponty, s’agissant de la Nature, les textes le plus souvent cités sont dans Signes l’évocation de Schelling et, dans Le Visible et l’invisible, des esquisses frémissantes mais sans lendemain : le « principe barbare » (RC pl06, VI p. 321), « l’être sauvage et vertical », (VI p. 232). « Au premier jour », la nature, l’absolu du sensible est « éternité existentielle...explosion stabilisée » (p. 320s.). Au terme de son parcours, la philosophie de la conscience se heurte à ce qui la conteste : « la Nature, sphère de l’Urpräsentierbare ». Mais le phénoménologue sait que même les différences cardinales, comme celle qui oppose nature et esprit, « sont médiatisées par des rapports de sens et d’essence » (S p. 224). Cette découverte prend tout son sens lorsque s’impose « une phénoménologie de la phénoménologie », quand la philosophie de la conscience entrevoit « son rapport à la non-phénoménologie... Ce qui résiste en nous à la phénoménologie, — l’être naturel, le principe ‘barbare’ dont parlait Schelling, — ne peut pas demeurer hors de la phénoménologie et doit avoir sa place en elle » (S p. 225).

2 All-und Einheit, Schelling, S.W., VIII, p. 339. Les Âges du Monde, Paris 1949, p. 183.
3 S.W. VIII, p. 343. Traduction citée, p.187 ici modifiée. Voir aussi la version de 1811 des Weltalte (...)
4 Einleitung zu den Ideen zu einer Philosophie der Natur, S.W. II, p. 56. Essais, trad.S. Jankélévitc (...)
5 A Fichte, 19 novembre 1800. Fichte/Schelling, Correspondance (1794-1802), trad. M. Bienenstock, Par (...)
6 S.W. II, p. 11. Essais, p. 46.
7 S.W. XI, p. 246. L’importance de Schelling est analysée par Cassirer dans son volume consacré à la (...)
2C’est dans la traduction de S. Jankélévitch que Merleau-Ponty devait lire de Schelling les considérations sur l’Uni-totalité2. Méditant sur Spinoza, Fichte et la philosophie de la nature, Schelling évoquait la nécessité d’un réalisme supérieur, car en épuisant toutes ses forces dans l’idéalité, la pensée en vient à perdre « ce principe barbare (que soit ici maintenu le mot juste) qui a pu être vaincu, mais non anéanti, et qui est au fondement de toute grandeur et de toute beauté... Qu’il est bienfaisant de savoir qu’au sein même de la mobilité et de la légèreté de la pensée, il est un principe que ne désagrège pas le flux du concept le plus corrosif, que ne consume pas le feu de la pensée la plus spirituelle. Sans ce principe de résistance à la pensée, le monde serait depuis longtemps réduit à rien »3. Dès les Lettres sur le dogmatisme et le criticisme (1796), Schelling avait thématisé l’antagonisme de l’absolu objectif (Dieu, nature ou destin) et de l’absolu subjectif (le Moi). En 1797, des textes décisifs s’interrogent sur « le lien mystérieux qui rattache notre esprit à la nature, (sur) cet organe caché par l’intermédiaire duquel la nature parle à l’esprit, et l’esprit à la nature ». « La nature doit être l’esprit visible, et l’esprit la nature invisible »4. La philosophie de la nature seule peut restaurer l’équilibre rompu par l’exercice exclusif de la réflexion. A la pure Doctrine fichtéenne de la science doit succéder la philosophie proprement dite, à savoir « la démonstration matérielle de l’idéalisme »5. « C’est à la philosophie que nous sommes redevables de la question de la possibilité d’une nature et d’une expérience ou, plutôt, c’est avec cette question qu’était née la philosophie »6. Dans le Système de l’Idéalisme transcendantal de 1800, la réconciliation, la suppression de l’antithèse du subjectif et de l’objectif est exposée dans la philosophie de l’art, comme le redit la lettre à Fichte. Ensuite sera aussi dite « sauvage » la mythologie, cette religion qui, avant toute Révélation, jaillit des profondeurs de la nature7.

8 S.W. IV, p. 87-88, VI, p. 142. Œuvres métaphysiques (1805-1821), trad. J.F. Courtine et E. Martinea (...)
3Fasciné par ce que Husserl appellera « l’énigme du monde », pris dans le jeu de deux absolus, répugnant à l’idée d’une raison s’assurant transcendantalement d’elle-même à la manière de Fichte, Schelling se concentra sur le programme d’une « physique spéculative » — ce « spinozisme de la physique » — capable, compte tenu des acquis de l’idéalisme subjectif, de penser l’opérativité, l’actuosité de la natura naturans. La théorie des éléments et des forces, expansion et contraction, s’élabore conjointement à la pensée spéculative de l’absolu. Mais c’est à condition que soit acquis transcendantalement l’accès à l’impersonnel. En cela consiste le thème proprement schellingien de « l’abstraction de l’intuitionnant dans l’intuition intellectuelle », de « l’anéantissement de toute subjectivité », dont le résidu est le pur objectif de l’acte, cet « en soi pur sujet-objet, mais nullement égal au Moi »8.

4Ces thèmes schellingiens ont retenu l’attention de Merleau-Ponty, convaincu que la pensée transcendantale trouve sa force renouvelée dans l’affrontement permanent de ce qui lui résiste, de ce qu’elle est toujours tentée d’éluder. De même que le maintien du dualisme du principe barbare et de la pensée ailée est le fait d’une philosophie robuste, ainsi le refus de la subjectivisation de la raison implique une intensification de la pensée due à la coïncidence de la nature et de l’intelligence. Dans la santé de l’esprit préconisée par l’auteur de la Philosophie de la nature, on peut pressentir quelque anticipation de la pensée de l’Ineinander, dont il va être question. (Dans les Weltalter de 1811, Schelling traite de la fusion du spirituel et du physique dans l’engendrement des archétypes).

*

9 R. Bernet, « Le sujet dans la nature. Réflexions sur la phénoménologie de la perception chez Merlea (...)
5« Si nous voulons décrire le réel tel qu’il nous apparaît dans l’expérience perceptive, nous le trouvons chargé de prédicats anthropologiques » (PP p. 369). Citant ces mots de Merleau-Ponty, R.Bernet ajoutait : « On peut supposer qu’une telle conception de la nature doit beaucoup à Cassirer »9. Le monde naturel et, en lui, l’institution primordiale du corps humain est une unique élaboration symbolique. Le corps, par où seulement peut se dire la signification du monde, peut être vu comme une « symbolique générale du monde » (id., p. 274. La Prose du monde, p. 63 en marge).

10 Voir E. Cassirer, Essai sur l’homme, trad. N. Massa, Paris 1975, p. 41-45, 103.
6Notre propos est ici d’indiquer quelques points de contact avec La philosophie des formes symboliques d’E. Cassirer (Berlin 1923-1929), sans omettre d’inévitables références à Husserl. Malgré la rareté des citations de Cassirer (voir notamment SC p. 230, PP p. 212, 224, 521), il est certain que la phénoménologie de Merleau-Ponty tient compte de l’addition, par Cassirer, d’un troisième système aux deux systèmes décrits par J.von Uexküll : aux systèmes récepteur (Merknetz) et effecteur (Wirknetz), le système symbolique. L’homme n’est pas face à la nature dans un rapport immédiat, il est en elle par son œuvre même, par le système de ses activités. Ce système d’ordre fonctionnel — qui signifie le primat de la fonction sur l’objet, de la loi immanente de la production sur le donné, qui implique que le tout des formes en action est plus riche que l’ensemble des éléments qui le compose — est celui des formes symboliques. L’homme est animal symbolicum10.
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Dans la première partie de l’essai intitulé le Fondement d’Empédocle que Hölderlin rédige après avoir laissé inachevées deux versions successives de sa tragédie, il développe l’idée de l’opposition et de la réconciliation de deux principes opposés, la nature et l’art, qu’il nomme l’organique et l’organique, en utilisant un vocabulaire qui est celui de Schelling. L’aorgique ou anorganique, c’est le principe de la nature dans son unicité infinie en tant qu’elle est sans forme et sans organisation — orgia renvoyant à ergon, œuvre, travail — alors que l’organique, c’est le principe de l’art qui suppose une organisation interne, une opposition des parties. L’idée maîtresse, c’est à nouveau celle d’un échange de la nature et de l’art qui naît précisément de leur opposition. Car entre la nature et l’art, il y a moins opposition que médiation réciproque, chacun n’accomplissant son essence que par l’autre. C’est ce qui est dit très explicitement lorsqu’on rapproche deux passages de la deuxième version de la tragédie. Dans le premier de ces passages, Mécade déclare :

25 Ibid., p. 543.
« Car la nature est muette,
Le soleil et l’air, la terre et ses enfants,
Vivent côte à côte comme en étrangers
En solitaires qui n’auraient pas de liens »25.

24Dans le second passage, c’est Empédocle qui ajoute :

26 Ibid., p. 555-56.
Que seraient donc et le ciel et la mer
Et les îles et les astres et ce qui
S’étend sous les yeux des hommes, que serait-elle
Cette lyre inerte, si je ne lui donnais
Moi, sa voix et sa langue et son âme ? Que sont
Les Dieux et leur esprit si ce n’est moi
Qui les annonce ? »26

25Pourtant c’est au moment où Hölderlin est le plus proche de Schelling, qui lui aussi a pensé une telle réconciliation de l’art et de la nature, du sujet et de l’objet, qu’il s’écarte de manière décisive de l’idéalisme absolu et de la réconciliation qu’il promeut. Dans la seconde partie du Fondement, on voit apparaître un nouveau personnage, celui de l’adversaire d’Empédocle. L’adversaire lui aussi donne une solution au problème de ce temps, mais celle-ci ne consiste pas en une réconciliation, mais dans le maintien de la tension entre art et nature et dans le respect de leurs limites respectives. La figure de l’adversaire est l’incarnation de la patience, de la persévérance et de la fermeté, tandis qu’Empédocle incarne l’impatience et la démesure :

27 Ibid., p. 668.
« Il n incline pas tant à concilier les extrêmes qu’à les dompter, à lier leur action réciproque à quelque chose de solide, de permanent et d’intermédiaire qui les maintient chacun dans ses limites en se les appropriant »27.

28 Ibid.
29 Ibid., p. 958.
26Et ce « quelque chose » ne peut être que l’État ou l’œuvre d’art. L’adversaire représente une forme plus passive de la subjectivité, sa capacité d’endurer les oppositions et de persévérer dans la différence. Et pourtant cette différenciation n’est pas séparation absolue, puisque dans l’adversaire aussi « l’art et la nature se réunissent »28. C’est vers cette autre manière de réunir les opposés en conservant leur différence que Hölderlin va se diriger désormais, ayant ainsi « dépassé » l’idéalisme absolu et l’identification absolue des opposés, au moment même où Hegel est en train de constituer la trame de sa pensée dialectique. Les Remarques sur Antigone et Œdipe qui accompagnent la traduction de ces deux tragédies de Sophocle que Hölderlin publiera en 1804 ne décrivent plus le mouvement tragique comme une réconciliation dialectique, mais comme un retournement séparateur qui seul permet à l’homme de communiquer avec le tout, car ce n’est que dans l’infidélité et l’oubli que le Dieu et l’homme peuvent avoir un partage commun29.

30 Ibid., p. 833.
31 Heidegger, Approches de Hölderlin, Paris, Gallimard, 1973, p. 73 sq.
27Mais plutôt que d’aller jusqu’aux Remarques, je voudrais conclure en m’arrêtant sur un poème écrit en 1800 et qui a pour titre Comme au jour de fête, qui en sont aussi les premiers mots. Car, dans ce poème, il est à nouveau question de la nature qui y est dite « divinement belle, puissante et merveilleusement toute présente »30. Dans le commentaire que Heidegger donne de ce poème, il souligne que la nature n’est plus ici opposée à l’art ou à l’esprit, à l’histoire ou à la surnature, qu’elle ne signifie plus un aspect du réel, un domaine particulier de l’être et qu’elle ne peut être « toute présente » que parce qu’on ne peut lui assigner aucune place déterminée, aucun lieu particulier, ce qui fait précisément sa puissance, sa beauté et sa divinité31. Le poème dit que la nature qui maintient tout dans une « étreinte légère » semble, à certaines époques, dormir et que les poètes portent son deuil bien qu’ils la « pressentent » toujours et qu’ainsi ils ne sont pas seuls, malgré l’apparence. Et la nature elle aussi « pressent » le jour. L’exclamation qui ouvre la troisième strophe est en réalité l’invocation poétique de la nature : celle-ci est nommée le sacré, comme dans un autre poème, A la source du Danube, écrit peu de temps après, où il est dit :

32 Op. cit., p. 843. Je cite ici la traduction de M. Deguy et F. Fédier dans Approches de Hölderlin, (...)
« Nous te nommons, contraints par le sacré, te nommons
Nature ! Et à neuf comme de l’onde
Sort de toi tout ce qui est né des dieux »32.

28Heidegger dans son commentaire rapporte que dans l’édition de Hellingrath il est fait mention que ces vers ont été rayés par Hölderlin et que Hellingrath ajoute en note que le nom « nature » ne suffit plus désormais à Hölderlin.

33 Ibid., p. 834. (Je cite à nouveau la traduction de M. Deguy et F. Fédier dans Approches de Hölderl (...)
34 Ibid., p. 969.
29Car le poète nomme la nature le sacré. « Plus ancienne que les temps et au-dessus des dieux », comme il est dit dans Comme au jour de fête, la nature est sacrée comme l’est le chaos, la béance originelle d’où tout est sorti, « selon un ferme statut »33. C’est la nature elle-même qui est le statut ou la loi, c’est-à-dire « la médiateté rigoureuse », comme l’explique Hölderlin dans une réflexion ajoutée à la traduction d’un fragment de Pindare qui dit que le statut est de tous le roi, des mortels comme des immortels34.

30C’est précisément en effet en tant qu’immédiate omniprésence que la nature est la médiation qui permet à toute chose d’apparaître. En elle-même, elle est ce qui ne cesse d’être, ce qui demeure en soi, sauf, indemne, inentamé : le sacré. Mais en tant que telle, elle est aussi ce qui donne à toute chose son apparaître, ce qui rend possible le médiat : le statut. La nature ne se donne donc jamais que dans le procès de sa médiateté, comme statut, mais elle demeure en elle-même, comme béance originelle et chaos « sacré », « rigoureusement » inapprochable.
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C’est parce que la vie est un processus d’allègement par contraste avec la matière inerte que la plante est attirée par la lumière selon Schelling, mais ce processus se continue au-delà dans l’animal et l’homme jusqu’à l’esprit. Pour Hölderlin par contre la nature dans son mouvement interne d’allègement et de différenciation est déjà à sa plus haute perfection dans la plante, qui devient dès lors le paradigme de l’existence. Or Schelling veut lui aussi réaliser la synthèse de l’objet et du sujet, de la nature et de l’esprit, dans une philosophie de l’identité ou de l’indifférence, ce à quoi s’oppose précisément l’insistance hölderlinienne à se maintenir au sein de la différenciation originelle et dans la tension entre nature et humanité. Cette distance par rapport à Schelling peut sans doute être comprise comme une distance par rapport à la philosophie même. L’hen diapheron eautô n’est pas en effet un principe explicatif de l’univers, l’énoncé de la cause première du monde, ni le point de départ d’une élaboration philosophique, mais simplement l’expression du mouvement même de l’être qu’il s’agit de reconnaître non pas comme constituant le dynamisme de l’esprit et l’essence de la subjectivité, mais comme la voix de la nature en nous19. Ainsi, il faut le souligner, cette présence que Hölderlin nomme être, nature, sacré, beauté, n’est pas une indifférence dans laquelle l’homme devrait être absorbé, ni une création de la subjectivité absolutisée par une extension de la révolution copernicienne, mais un processus qui ne se révèle que par l’activité poïétique et poétique des hommes.

18Car la totalité, que Hölderlin exprime depuis sa jeunesse par la formule, elle aussi empruntée à Héraclite, Hen kai Pan, l’Un et le Tout, contient en elle du subjectif et de l’objectif, de sorte qu’il n’est pas possible d’y distinguer la part du particulier et celle du Tout. Il y a donc dépendance de l’homme par rapport au Tout, à la « Nature », mais inversement aussi dépendance du Tout par rapport à l’homme, grâce auquel il peut apparaître. Il y a là ce que Hölderlin nomme dans une lettre datée du 4 juin 1799 et adressée à son frère un « paradoxe ». Ce qui constitue le besoin spécifique le plus particulier de l’homme, c’est de « favoriser la vie », « d’accélérer et perfectionner la marche permanente de la nature » et chacun à sa manière l’accomplit plus ou moins bien. Et Hölderlin déclare :

20 Ibid., p. 711.
« Tu vois que je viens de formuler un paradoxe. Le besoin formatif et artistique avec toutes ses modifications et variétés est un véritable service que les hommes rendent à la nature. Mais ne savons-nous pas depuis longtemps que tous les courants de l’activité humaine se jettent dans l’océan de la nature, de même qu’ils y prennent leur source ? »20

19Ce paradoxe vient de l’ignorance où nous sommes de notre véritable cheminement qui nous ramène à notre insu à notre point de départ et c’est à la philosophie de nous éclairer là-dessus, à l’art de nous fournir les moyens de satisfaire ce besoin et à la religion de nous faire comprendre que nous ne devons pas nous considérer comme le maître et seigneur de la nature, car si l’être humain peut développer les forces créatrices qui sont en lui, il ne peut néanmoins rien créer et en particulier il ne peut créer la force elle-même qui est éternelle et non humaine :

21 Ibid., p. 712.
« Si grands que soient son art et son activité, il devra s’incliner avec piété et modestie devant cet esprit de la nature qu’il porte en lui, qui l’entoure et qui fait sa force et son élément »21.

22 C’est la même idée que l’on trouve déjà chez Kant dans L’idée d’une histoire universelle du point (...)
20Le paradoxe en question provient donc de ce que l’homme est à la fois dépendant et indépendant de la nature. Car celle-ci n’est pas au pouvoir de l’homme qui ne parviendra jamais à l’asservir, mais elle est pourtant à la source de l’activité humaine puisqu’elle donne à l’homme la mission de favoriser et de parfaire son déploiement22. Toute la culture humaine doit être considérée non pas comme une tentative de maîtrise de la nature, mais bien plutôt comme « un service » rendu par les hommes à cette dernière.

21Car, comme le dit Hölderlin à la même époque (1799) au début de son essai sur le Fondement d’Empédocle :

23 Op. cit., p. 659.
« Dans la vie pure, la nature et l’art s’opposent seulement harmoniquement. L’art est la floraison, la perfection de la nature »23.

24 Fragment 123 dans la numérotation Diels-Kranz.
22Opposition harmonique : c’est là le mot-clé pour Hölderlin. Pour lui, comme pour les Grecs, l’art est un processus qui va certes contre la nature, mais afin de la faire apparaître, non de la détruire. Car la nature ne peut apparaître par elle-même : physis krypthestai philei, la nature aime à se cacher, comme le dit Héraclite24. Or la plus haute forme d’art qui puisse porter la nature au paraître, c’est la tragédie, parce qu’elle met en scène le conflit dynamique de la nature et de la culture lui-même. Le conflit de la nature et de la culture est représenté dans toute tragédie parce que le héros tragique est le médiateur par lequel la nature apparaît dans toute sa puissance sous la forme du destin implacable. Pour Hölderlin la tragédie est un sacrifice par lequel l’être humain aide la nature à apparaître proprement, à sortir de la dissimulation originelle. Le tragique consiste en ce que le héros doit mourir afin ainsi de « rendre service » à la nature. Et dans la tragédie que Hölderlin se proposait alors d’écrire, La mort d’Empédocle, le conflit de la nature et de la culture constitue le thème explicite du drame. Car Empédocle incarne précisément cet esprit d’impatience qui ne peut se satisfaire d’une vie limitée et qui est disposé à la haine de la civilisation parce qu’il vit dans une époque où nature et culture s’opposent, où l’activité humaine ne parvient plus à exprimer « l’esprit de la nature » qui en est la source.
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Husserl était aussi en quête d’une science universelle, dite philosophique, en laquelle seraient élucidés les concepts fondamentaux des sciences de la nature et de l’esprit. Si le concept de monde de la vie (Lebenswelt, précédemment nommé monde naturel) s’est imposé, c’est parce que le souci de dépasser le dualisme nature-esprit l’avait conduit à analyser philosophiquement une expérience originaire du monde, à partir de laquelle seraient fondées les sciences de la nature et de l’esprit. Seule l’idée d’un fondement unique et donc d’une science universelle pourrait légitimer, en son abstraction méthodologique, la bipartition des sciences14. « En tant que thèmes scientifiques, nature et esprit ne sont pas là de prime abord. Ils ne prennent forme qu’au sein d’un intérêt théorique, dans un travail théorique régi par cet intérêt même, le tout reposant sur le fond d’une expérience naturelle préthéorique. C’est là qu’ils se produisent ensemble (Miteinander), dans une interpénétration (Ineinander) originelle »15.

16 Postface aux Ideen (1930), paragraphe 2.
17 Husserliana VU, p. 385, 394-395. Voir-L. Eley, Die Krise des Apriori in der Transzendentalen Phänom (...)
18 Outre les nombreuses références à Hegel dans le T.II de La philosophie des formes symboliques, conc (...)
9Les modes d’apparition de la nature transcendante diffèrent assurément de ceux de l’expérience psychique immanente. Toutefois, la philosophie ne se réduit pas à la science a priori16. Le fait de l’esprit dans la nature, qu’en elle et par elle soit rendue possible une culture, cela ne relève d’aucune nécessité a priori. Husserl a maintenu l’opposition d’une « philosophie première » et d’une « philosophie dernière »17. On retrouve chez Merleau-Ponty le même souci du commencement et le même combat contre le dualisme métaphysique, mais non point la même impasse où vient se loger l’antagonisme de l’empirique et du transcendantal. Il y a comme un chiasme de la raison et du fait (PP p. 451). Entre le fait et la raison, le fondant et le fondé, l’irréfléchi et le réflexif, le visible et l’invisible, la matière et la forme, les contenus sensoriels ou linguistiques et la fonction symbolique qui les anime — il y a « un rapport à double sens que la phénoménologie a appelé Fundierung » et qui est comme une « équivoque définitive ». Si Merleau-Ponty évoque à ce sujet « la ruse de la Raison déguisée en Nature », la dialectique qu’il entrevoit ne pourra s’exprimer en termes d’action réciproque. À la différence de la démarche critique, qui en reste là, la phénoménologie doit décrire le milieu où la raison reprend le fait et le hasard, alors qu’elle « n’existe pas avant lui et sans lui » (PP p. 148). C’est à ce moment que Merleau-Ponty évoque Cassirer, lequel fait appel à Hegel18. Tout en faisant des réserves quant aux relents d’intellectualisme kantien dans l’œuvre de Cassirer (maintien de la notion de synthèse), il reconnaît sa dette concernant « les analyses phénoménologiques et même existentielles » (PP p. 148 N.2).

10« Notre but est de comprendre les rapports de la conscience et de la nature, — organique, psychologique, ou même sociale » (SC p. V). « La prééxistence de l’être naturel, toujours déjà là... est le problème même de la philosophie de la Nature » (RC p. 111). Quinze années séparent ces deux textes, mais entre les deux une note rappelle la permanence de cette problématique (PP p. 489). Certains lecteurs ont cru pouvoir discerner chez le dernier Merleau-Ponty les accents d’une mystique de la Nature. Si en Janvier 1959 (VI p. 219) il déclare que que la « question de la Nature » est à traiter du point de vue ontologique, on ne peut oublier que, sans mystique aucune, l’auteur de La Structure du comportement était déjà soucieux des formes et des structures à l’œuvre dans les sciences, au point d’envisager une pensée philosophique qui procéderait « selon les formes ». Ce qui suggère un niveau de généralité où la forme serait tout autre chose qu’un « des événements de la nature » (SC p. 182), au sens réaliste du terme. Ce qui implique aussi une vive conscience de la tâche proprement philosophique qui, face aux sciences, consiste à trouver « entre la suffisance et la capitulation... l’attitude juste » (RC p. 118).Dire : « La nébuleuse de Laplace n’est pas derrière nous, à notre origine, elle est devant nous, dans le monde culturel » (PP., p. 494), cela se peut sans professer un quelconque idéalisme constructif (p. 490). Voulant éviter les issues matérialistes et spiritualistes, c’est avec clarté et détermination que, dès ses débuts, Merleau-Ponty procédait à l’analyse du comportement. Le comportement n’est ni une chose, ni une idée. Pour l’interpréter, il convient de procéder à une reprise qui transforme philosophiquement la notion de forme héritée des sciences. Il s’agit de mettre en relief les différences de structure des trois ordres : physique, vital et humain, matière, vie et esprit (SC p. 183), le physique, le biologique, le psychique (p. 181). Et cela, dans le but ambitieusement déclaré, de résoudre l’antinomie constitutive de la notion de forme, en reformulant sur de nouvelles bases le problème immémorial : « La synthèse de la nature et de l’idée » (p. 183). Mais l’analyste du comportement savait déjà qu’en cela il ne pouvait prétendre accéder au statut de « pure conscience » (p. 171).

11Dès son premier livre, Merleau-Ponty pose que « la totalité n’est pas une apparence, c’est un phénomène » (SC p. 215). C’est-à-dire ce qui s’offre à une « description des structures » (p. 215 N.3). C’est pourquoi la philosophie doit devenir phénoménologique, autant dire : « pensée naturante » (p. 270). Elle doit laisser agir sur elle la nature (p. 218), afin de devenir « inventaire de la conscience comme milieu d’univers » (p. 271).
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Seule en effet la Grèce est capable de cet accord avec le sensible et l’extériorité, qui lui procure l’accord avec l’intelligible et l’intériorité : ni l’Oriental (l’Égyptien), assujetti à une extériorité qui apparaît comme une « terrible énigme », ni le Nordique (l’Allemand), enfermé dans une intériorité sans dehors, ne sont capables d’un tel accord et ne peuvent s’ouvrir à une beauté à la fois « humaine et divine ». Faut-il donc ressusciter la Grèce ? L’échec de l’expédition guerrière en vue de la libération de la Grèce à laquelle participe Hypérion aux côtés de son ami Alanbanda atteste au contraire que c’est là seulement un rêve. Car cet accord avec le tout ne peut être arraché par violence, ni représenté dans la nostalgie. Il ne peut qu’être réalisé par l’acceptation et l’endurance de la séparation. Tel est le sens des paroles d’Hypérion dans une des dernières lettres du roman :

14 Ibid., p. 264.
« Cher ami, je suis calme, car je n’exige pas un sort meilleur que les dieux. Toutes choses ne doivent-elles pas souffrir ? Et d’autant plus qu’elles sont plus excellentes ? La sainte Nature ne souffre-t-elle pas ? Ô ma divinité ! Que tu puisses souffrir, radieuse comme tu l’es, j’ai mis longtemps à l’admettre. Mais la félicité qui ignore la souffrance est sommeil, et sans mort, il n’est pas de vie »14.

15 Ibid., p. 273.
14L’accent est donc mis sur la différence, sur la souffrance de la séparation : ni l’humanité ni la nature ne coïncident avec elles-mêmes. Ce qu’Hypérion a mis longtemps à apprendre, c’est que la nature « sacrée » elle-même inclut la différence et la souffrance. Et si le roman s’achève sur l’idée d’une absorption possible de la vie humaine dans la vie divine de la nature, ce n’est certainement pas au sens d’une sorte d’engloutissement final dans l’indifférencié. Les tout derniers mots du roman, il faut le souligner, qui sont : « Ainsi pensai-je. J’en dirai plus une autre fois »15, ne constituent pas une conclusion définitive, mais une sorte de suspension.

16 Ibid., p. 1150
15Dans le roman, l’unité englobante, cet infini qui ne s’oppose pas de l’extérieur au fini, mais l’inclut, reçoit diverses appellations : être (« l’être au seul sens du mot », disait la préface d’Hypérion16), sacré, nature, beauté. Quelle est dès lors la tâche de l’homme ? Non pas de réclamer le dépassement de toute limite, car ce serait méconnaître que le limité est lui aussi issu du processus de différenciation illimité. Mais ce n’est pas non plus de se satisfaire du limité, car ce serait également méconnaître son fondement, la différenciation illimitée. Être homme ne peut donc consister qu’en une fidélité au processus ontologique lui-même, c’est-à-dire en un dépassement du fini qui demeure lié à la finitude, car c’est ainsi que l’être humain peut faire apparaître la nature processuelle de l’être lui-même sans se l’approprier comme sa propre création.

17 Sacer s’oppose comme le divin ou le maudit au profanum, ce qui est devant, c’est-à-dire au dehors, (...)
16C’est ici que se marque sans doute le plus clairement l’originalité de la position de Hölderlin par rapport à Schiller et à Schelling. Schiller en effet ne peut assigner comme but à l’histoire la synthèse de la nature et de l’art que parce qu’il pense encore, de manière dualiste, la nature comme constituant un aspect du tout et non pas le tout lui-même dans son processus dynamique. Or c’est là précisément ce à quoi atteint Hypérion lorsqu’il nomme la nature « sacrée », lorsqu’il identifie la nature et le sacré. Car le sacré, c’est en allemand das Heilige, ce qu’il faudrait traduire plutôt par « indemne », « intègre » ou « sauf », car le mot heilig vient du verbe heilen qui signifie guérir et est de même racine que l’anglais whole, entier, alors que sacré n’a de sens que par opposition au profane et désigne donc non pas le tout, l’entier, mais au contraire un aspect du réel17. Mais d’autre part en insistant sur le processus de différenciation qu’est la nature, Hölderlin prend ses distances par rapport à la philosophie de la nature de Schelling dont il est pourtant si proche. Car Schelling pense un développement graduel de la nature, une organisation de celle-ci, dans ce qu’il appelle des « puissances », de la plante à l’homme, alors que Hölderlin au contraire voit dans la plante la perfection déjà atteinte de la nature, ce qui explique qu’il compare souvent Diotima à une fleur :

18 Op. cit., p. 181.
« Son cœur était chez lui parmi les fleurs, comme s’il eût été l’une d’elles. [...] Cette vérité est éternelle et universelle : plus une âme a d’innocence et de beauté, plus elle est familière de ces autres existences que l’on prétend sans âme »18.
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