HYMNE À LA TERRE
... Je te salue, ô Terre, ô Terre porte-grains,
Porte-or, porte-santé, porte-habits, porte-humains,
Porte-fruicts, porte-tours, alme, belle, immobile,
Patiente, diverse, odorante, fertile,
Vestue d'un manteau tout damassé de fleurs
Passementé de flots, bigarré de couleurs.
Je te salue, ô cœur, racine, baze ronde,
Pied du grand animal qu'on appelle le Monde,
Chaste espouse, du Ciel, asseuré fondement
Des estages divers d'un si grand bastiment.
Je te salue, ô sœur, mere, nourrice, hostesse
Du Roy des animaux. Tout, ô grande princesse,
Vit en faveur de toy. Tant de cieux tournoyans
Portent pour t'esclairer leurs astres flamboyans ;
Le feu pour t'eschauffer sur les flotantes nues
Tient ses pures ardeurs en arcade estendues ;
L'air pour te refreschir se plait d'estre secoux
Or' d'un aspre Borée, or' d'un Zephyre doux ;
L'eau, pour te destremper, de mers, fleuves, fonteines
Entrelasse ton corps tout ainsi que de veines. ...
Extrait in «La Sepmaine» ou «Création du monde», 1578.
Ce premier monde estoit une forme sans forme…
Ce premier monde estoit une forme sans forme,
Une pile confuse, un meslange difforme,
D’abismes un abisme, un corps mal compassé,
Un Chaos de Chaos, un tas mal entassé :
Où tous les elements se logeoyent pesle-mesle :
Où le liquide avoit avec le sec querelle,
Le rond avec l’aigu, le froid avec le chaud,
Le dur avec le mou, le bas avec le haut,
L’amer avec le doux : bref durant ceste guerre
La terre estoit au ciel & le ciel en la terre.
La terre, l’air, le feu se tenoient dans la mer :
La mer, le feu, la terre estoyent logez dans l’air,
L’air, la mer et le feu dans la terre : & la terre
Chez l’air, le feu & la mer. Car l’Archer du tonnerre
Grand Mareschal de camp, n’avoir encore donné
Quartier à chacun d’eux. Le ciel n’estoit orné
De grands touffes de feu : les plaines esmaillees
N’espandoyent leurs odeurs : les bandes escaillees
N’entrefendoyent les flots : des oiseaux les souspirs
N’estoient encore portez sur l’aille des Zephirs