Joan Sales i Vallès

Notre avril nous échappe, crois-moi, et cette saloperie de guerre nous le gâche complètement ; elle peut durer longtemps, assez pour nous entuber tous. Vous autres vous n'avez pas d'imagination ; vous vous figurez que ça, c'est comme une averse en été qui vous attrape en plein air mais qu'après viendra le potage au thym, le bon potage qui fume à la maison, une fois qu'on a changé de chaussettes et de chemise. Vous aurez un sacré potage au thym ! Ce qui viendra après, ce sera la nausée, mais tu n'en as peut-être pas entendu parler ?

Une femme qui se baigne, elle est cataloguée, parce que dans nos contrées il n’y a que les catins qui le font. Il y en a eu une, il y a quelques années, une de mon âge ou un peu plus, qui avait servi aussi à Barcelone. Elle était venue, pour la fête du village, passer quelques jours avec ses parents. C’était au mois d’août, il faisait chaud, elle était descendue du train noire d’escarbilles. Elle a pensé que le cuvier à lessive ferait l’affaire, à même la cuisine.

soif de gloire, à certains moments de la vie, se fait douloureusement aiguë, d’autant plus aiguë que la gloire dont nous sommes assoiffés est incertaine – je veux dire, énigmatique. Mon roman tente précisément de saisir, chez certains de ses personnages, quelques-uns de ces moments. Avec quel résultat ? D’autres que moi le diront.
Mais je sais qu’il sera beaucoup pardonné à celui qui aura beaucoup aimé.

À un certain moment de la vie, on a l’impression de se réveiller comme d’un rêve. La jeunesse est derrière nous. Bien sûr qu’elle ne pouvait pas durer éternellement ; être jeune, qu’était-ce au juste ? Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage, dit Baudelaire ; peut-être toute jeunesse n’a-t-elle jamais pu être qu’un ténébreux orage zébré d’éclairs de gloire, d’incertaine gloire, un jour d’avril.

Je suis convaincu qu'un poème existe autant et même plus grâce au lecteur que grâce à l'auteur, c'est souvent le lecteur qui met dans les vers la poésie que l'auteur n'a pas su y mettre.

Soc un convençut que la poesia la fa tant o més el lector que no pas l’autor; sovint és el lector qui posa en els versos la poesia que l’autor no hi ha sabut posar.

Joan Sales (Barcelona 1912-1983)

Ne fais jamais confiance à quelqu’un sans imagination : à tous les coups il te barbe.  Par contre, les perversions sexuelles l’intéressaient beaucoup ; il connaissait des individus atteints de diverses manies et, chaque fois qu’il en découvrait une, il ressentait cette euphorie du collectionneur qui a mis la main sur un exemplaire inconnu.

Chez nous, pas besoin de cache-sexe, au contraire ; cette histoire des parties honteuses, crois-moi, la honte, ça serait qu’on n’en ait pas. Je veux en finir avec les poux et les romans pornos, les deux fléaux de la guerre, Napoléon le disait déjà.

La vie nous use, comme les harnais la peau du mulet. Parfois je me demande avec horreur si les blessures que nous fait la vie ne dureront pas autant que la vie elle-même. Ou plus. Ces onze mois d’enfer…