Il a neigé tard…
Il a neigé tard sur les granges
étreignant le dos des champs esseulés
La lampe fait naître des roses
à tes joues aux carreaux brouillés
Tu déballes l'enfance
la menue monnaie de son paradis
le souhait fragile des peupliers
un ballon rouge qui s'envole
givre glissades en galoches
bicyclette vigne en septembre
puis pareils au chant du ramier
les yeux gris d'un garçon
grave et rieur tout autant
venu d'une contrée où se creuse l'attente
d'acide lumière de pierres vives
et qui a roulé longtemps
si longtemps
Un soupir a gagné la plaine
et les herbages odorants
ils pressentent cette rosée
que le soir leur apportera
comme à l'âme une absolution
dont la montagne a le secret
Dans la houle de ses herbages
tu regardes fuir la prairie
qui chaque jour t'emmène un peu
Attouchement sacré...
Attouchement sacré
de la paume et de la pierre
un dialogue se noue
qui remonte à la nuit
de la peur et du feu
la montagne écoute et vacille
La brume entrouvre son manteau
un rayon de soleil ricoche
sur les paupières de l'étang
La brume au pied de la montagne…
La brume au pied de la montagne
a répandu sa blanche jarre
de silence mousseux de rêves
que troue soudain l'éclair du sang
la faim renarde aux creux des combes
où la peur fait ployer les branches
et l'écluse a son plein de nasses
et l'aube s'enlise aux étangs
Les sapins en bure stoïque
ont repris leur pèlerinage
vers la cime de solitude
et la croix que lacère en vain
le blasphème angoissé du vent.
Le crépuscule a vu s'étendre
son empire et aucune issue
ne s'offre plus à l'heure infirme
Pétales de fine lumière
en chute lente la parole
hésite avant de retomber
sur les cyprès et le granit
les ombres espérant encore
rejoindre cette part secrète
de toi-même là où s'obstine
le souffle frêle du destin
qui pousse une à une ses vagues
à travers la plage et les dunes
d'un insituable couchant
(p.69)
Le brouillard…
Le brouillard
muet bouvier
a prosterné les métairies
son baiser d'étoupe
égare au ventre des prés
comme un feu de retrouvailles
leurs océanes lueurs
d'une lointaine odyssée
À l'immense roue
du soleil embourbé
des doigts se nouent déjà
L'appel du coucou…
L'appel du coucou fore
l'aubier profond de l'air
À la rencontre
du jour qui ne l'espérait plus
s'en va la source
Le ciel la gifle
et puis lui tend la main
et le cresson sanglote
qui voudrait tant les suivre
Un angélus défroisse
prières et pavots
Le grincement fantomatique
de l'enseigne d'une boutique
où le vent est venu sombrer
Cette fontaine de Provence
et la lumière qui ricoche
sur l'eau pour atteindre le coeur
(Manosque)
(p.29)