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EAN : 9782218978494
192 pages
Hatier (27/08/2014)
  Existe en édition audio
3.61/5   4945 notes
Résumé :
MOLIÈRE

Les Fourberies de Scapin


Doit-on présenter Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière ? Redécouvrez l'une de ses plus célèbres œuvres ! Pour tromper Argante et Géronte et soustraire leurs fils à un mariage arrangé, le valet Scapin imagine d'habiles fourberies. Comme toujours, le verbe de Molière réjouit et fait rire, se moque des grands et des petits avec une finesse et une justesse toujours d'actualité.

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Critiques, Analyses et Avis (172) Voir plus Ajouter une critique
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C'est terrible quand la légende, quand la vie rêvée de quelqu'un dont on aimerait faire une idole, se voit contredite, mise à mal, voire mise en pièces par les éléments patents de la réalité. Plus j'explore les arcanes sombres des archives théâtrales, plus je vogue dans l'histoire dramatique mondiale, plus je lis à droite et à gauche, et plus je découvre de petits faits qui viennent entacher la belle aura de mon Molière.
Dès le collège, j'ai rencontré Molière et ai de suite aimé, emportée par son ton, sa plume, son traitement scénique.
J'ai adoré le Bourgeois Gentilhomme puis vint le moment, peu de temps après, de ma rencontre avec Les Fourberies de Scapin.
Je crois que j'avais encore mieux aimé cette dernière, j'avais fait des pieds et des mains pour que nous montions la pièce avec notre prof de français qui s'était laissée vaincre par mes élans d'enthousiasme, si rares (déjà pour l'époque nous disait-elle) chez les collégiens moyens que nous étions.
J'ai relu récemment un certain nombre de pièces de Molière ; certaines m'ayant fort déçues, d'autres, c'est le cas du Malade Imaginaire ou des Fourberies de Scapin, ayant tenu toutes leurs promesses.
Me voilà rassurée, le talent de mon idole du collège n'a pas tant terni que cela. Mais dans le même temps, je découvre beaucoup de pièces antiques, de Plaute ou Térence, notamment, je lis des auteurs français moins connus du XVIIème siècle et là, je me rends compte, que beaucoup de ce que je crois être du Molière est un repompage quasi intégral d'autres auteurs. Je me rends compte également que nombreuses sont les thèses de doctorat, les études, les critiques et les analyses sur la paternité réelle de Molière sur « ses » pièces.
Les bras m'en tombent, il faut que j'aille voir ça moi-même. Pas Scapin, tout de même, pas lui que j'aime tant, non, ce n'est pas possible à la fin !
Et si, ma grande, encore une désillusion, encore un mensonge dans la liste si longue des histoires qui te répugnent et que tu ne voudrais pas connaître...
L'ossature des Fourberies est en fait la pièce de Térence intitulée Phormion. le traitement de la pièce est une recopie intégrale des fameuses farces de la Commedia Dell'Arte. Et enfin, le coup de grâce, la scène, non !, pas la scène, LA scène, le fameux « Mais que diable allait-il faire dans cette galère ! », même celle-là n'est pas de lui. C'est un authentique plagiat de Cyrano de Bergerac dans sa pièce le Pédant Joué de 1654.
Le talent de Molière ne serait-il que d'être un génial compilateur ? Aïe ! que j'ai mal à ma légende, que son image se brise et s'effrite ! Sans compter que l'analyse académique très pointue réalisée en 2008 sur le lexique de sa pièce en vers le Tartuffe révèle avec une quasi certitude qu'elle aurait été écrite par Corneille, et PAN ! encore une vitrine qui s'effondre.
Je découvre que dès l'époque on lui reproche ses plagiats et que c'est même la principale critique à son talent, tant d'écrivain que d'acteur que de metteur en scène (de nos jours il ne nous reste que les textes, mais il semble bien que sur le jeu d'acteur, les costumes et la mise en scène, c'était pareil). On lui reproche de copier tout ce qui marche ou qui a du succès et de le faire sien puis de se l'attribuer en propre.
Aïe ! ma légende, que je souffre tout d'un coup à vouloir te conserver. Il me reste soit le choix de te piétiner, soit celui de fermer mes écoutilles et de ne rien entendre, de continuer à te vénérer comme dans n'importe quelle croyance divine quelles que soient les preuves matérielles irréfutables. Je ne sais encore que choisir. Et la langue de Molière, alors ? Ne parlerais-je que le tissu plagiaire d'une bordée d'anonymes ?! C'est bien possible.
Ah ! Les Fourberies de Poquelin ! Un faquin ce Molière, en somme. On sait qu'il aurait beaucoup souhaité s'adonner au drame satyrique, voire à la tragédie plutôt qu'à la comédie. Et il est vrai que sa soif d'exprimer des messages sociaux ou politiques forts fut parfois muselée tant par la férule du roi soleil et de sa cour que par le style auquel il fut, un peu contre son gré, cantonné. Est-ce la raison intime pour laquelle Molière se serait adonné ainsi à la comédie, en faisant "ce qu'on lui demande" ou bien "ce qui marche auprès du public" et en s'y investissant personnellement assez peu pour ne pas répugner de voler de la matière à d'autres ? C'est ce que j'ai envie de croire. On a du mal à se figurer le réseau de contraintes qui s'exerçaient sur un artiste tel que lui à l'époque et c'est l'excuse que je veux lui donner.

Pourtant il faut bien que je vous parle de cette pièce. Ici, on peut dire que Molière fait si bien ce pourquoi on l'attend, réalise une pièce si réussie de bout en bout que cette comédie est devenue un archétype, que dis-je, LA comédie par excellence. Pas de message fort, pas de grande dénonciation (même si l'on voit poindre deci-delà des piques envers qui vous savez), par contre, un jeu scénique réglé au millimètre (même si le millimètre n'existait pas encore !), des gags et des dialogues qui font mouche, notamment, la fameuse scène 7 de l'acte II entre Géronte et Scapin et sa sublime récurrence « Que diable allait-il faire dans cette galère ? » qui est passée dans le langage courant (et ça, c'est bien à Molière qu'on le doit et non à Cyrano de Bergerac).
J'oserais presque, si vous me le permettiez, tenter une comparaison entre Molière et René Goscinny, qui lui aussi aurait tant souhaité se faire remarquer autrement que par des sujets légers et qui lui aussi nous a légué de ces récurrences géniales du genre : « les derniers irréductibles », « être tombé dedans quand on était petit », « vouloir être calife à la place du calife », « tirer plus vite que son ombre », etc., etc. En somme, la prochaine fois que vous direz « Pouah ! quelle galère ! », sachez que Monsieur Molière y est peut-être pour quelque chose, même s'il n'en est pas le géniteur véritable et authentifié.
L'histoire, c'est à peine si j'ose tellement elle est connue de tous. Deux fils de bourgeois tombés amoureux, contre la volonté de leur père avare respectif, de deux filles belles comme l'aube mais dont le mariage est impossible. Par l'entremise de Scapin et de sa roublardise, il faudra arriver à arranger tout ça et, si possible, rogner quelques écus au passage aux deux vieux radins. Tout s'arrangera bien vraisemblablement, mais au fait, j'y pense, qui sont-elles ces deux beautés féminines ?
Et malgré tout ce que j'ai écrit plus haut, malgré toutes les limitations qu'on peut faire, quel bonheur quand Molière fait s'agiter les personnages autour de nous comme une volée de moineaux en cage, c'est drôle, c'est plaisant, c'est vivant, c'est du grand théâtre et ça se mange sans faim, du moins c'est mon avis, mon tout petit avis, plus petit et piteux aujourd'hui que jamais, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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J'ai dû lire pas mal de pièces de Molière durant ma scolarité, mais Les fourberies de Scapin n'en faisait pas parti. du coup, quand j'ai vu qu'elles étaient disponibles en ebook, je me suis dit : pourquoi pas ! Je garde un très bon souvenir de mes lectures de ce grand auteur français et cela allait très bien avec mon petit challenge de lecture de classiques.

Je ne savais pas trop à quoi m'attendre, n'ayant même pas lu le résumé. Comme c'est une pièce de théâtre, on entre directement dans l'action et j'avoue avoir été un peu perdue au début mais ensuite tout se met en place assez facilement.

Les riches en prennent plein pour leurs grades, soit incapables de se tirer d'un mauvais pas sans leur serviteur, soit trop aveugles et facilement manipulables pour ne pas voir les mauvais tours qu'on leur joue. Les fils des deux bourgeois par qui tout commence nous sont dépeints comme de jeunes mignons mais ils sont amoureux et tiennent à faire beaucoup de choses pour leurs promises. Les pères, eux, sont gonflés d'orgueil, pingres et malléables. Les jeunes s'en retrouvent assez attendrissants, quant aux plus âgés, on ne souffre nullement de les voir subir les dites fourberies de Scapin.

Scapin, d'ailleurs, est sans aucun doute, le pilier de cette farce. Intelligent, manipulateur et fourbe, il n'en reste pas moins un personnage que l'on apprécié tout de suite. le pauvre, en fin de compte, se bat d'une certaine façon pour la justice : celle de l'amour mais aussi celle des affronts qu'il subit. N'allons pas en faire un héros pour autant, mais il a le mérite de nous faire rire.

Entre malentendus, tournures de phrases, embobinages, petites manipulations, la pièce se lit vite et avec le sourire. C'est frais, intelligemment bien tourné, comique sans rentrer dans le potache. Un bon moment comme de coutume avec Molière.
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C'est avec Scapin que j'ai fait connaissance avec la comédie made by Molière (oui, c'est terrible d'utiliser de l'anglais pour parler de notre cher dramaturge national mais c'est fait exprès, je sentais que vous aviez les mâchoires crispées, les faire grincer vous fera sans doute du bien).

Revenons à notre cher Jean-Bapt.
J'ai aimé Molière parce que j'ai aimé Scapin. C'est Scapin, sa ruse, son humanité et ses facéties qui m'ont charmée et donné envie d'en découvrir encore plus sur l'oeuvre du Maître.

Allez, ma critique sera courte, je vous épargnerai la galère !
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Il serait inutile aujourd'hui de discuter les origines et les sources de cette pièce, puisque beaucoup de préfaciers l'ont déjà fait. Seulement, il semble assez judicieux de mentionner que le fait de s'inspirer des anciens était à la mode au XVIIème siècle et l'on aura maints exemples de ce genre dans la littérature de cette époque. Or, cette fois Molière n'a pas seulement tiré profit d'une pièce de Térence (Phormio) ou d'une farce Tabarinique mais aussi de pièces contemporaines de Cyrano de Bergerac ou encore Rotrou. Mais il faut bien tenir en compte que Molière devait à chaque fois créer de nouvelles pièces pour les jouer ensuite et les mettre en scène pour satisfaire la soif de ses spectateurs et admirateurs.

La pièce comme son titre l'indique tourne autour des ruses d'un ingénieux valet qui use de fourberie pour venir en aide à son maître. L'intrigue, par ailleurs, est assez simple et réunie beaucoup de scènes burlesques dans l'esprit de la commedia dell'arte. Bien entendu, cette pièce s'éloigne des grandes comédies de Molière par son sujet, sa forme, son langage et son comique et n'a pas eu un grand succès à sa première représentation. D'ailleurs le grand Boileau avait écrit à son propos des vers peu élogieux dans son Art poétique :

Quitté, pour le bouffon, l'agréable et le fin,
Et sans honte à Térence allié Tabarin.
Dans ce sac ridicule où Scapin s'enveloppe,
Je ne reconnais plus l'auteur du Misanthrope.

La vérité est que Molière était un artiste complet qui devait envelopper tous les goûts de son public au prix de choix peu élégants ; et l'on se rappelle la critique sévère de la Bruyère contre Rabelais pour à peu près la même raison. Certes, cette pièce est moins profonde que ses grandes comédies mais c'est un plaisir pour le lecteur et le spectateur par ses jeux de langage et son comique spectaculaire.
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Après la démolition du théâtre du Petit-Bourbon, la troupe de Molière et les comédiens italiens qui partageaient la même salle, se sont vus relogés en 1660 au théâtre du Palais-Royal. Ce théâtre faisait partie du Palais Cardinal, propriété du cardinal de Richelieu (grand amateur de théâtre) qu'il a légué au roi, et au moment où Molière et les Italiens se le voient proposer, il n'est plus en très bon état. Les deux compagnies vont s'en accommoder tant bien que mal pendant quelques années, mais en 1671 Molière souhaite y donner psyché, une fastueuse tragédie-ballet,créée dans la salle des machine de la cour. Or l'état des poutres n'autorise pas du tout l'installation des machines permettant de jouer cette pièce. Des travaux deviennent donc indispensables pour permettre à Molière de donner de grands spectacles à machines, accompagnés de musique et de danse, qui sont dans l'air du temps et qui attirent le public en nombre. Ces travaux finis, les répétitions de psyché peuvent commencer. Mais compte tenu de l'importance des décors, et de l'alternance avec les Italiens, il n'est pas possible de reprendre les pièces de répertoire habituelles de la troupe de Molière. Pour ne pas arrêter complètement les représentations et les rentrées d'argent pour la troupe pendant la préparation de psyché, Molière écrit rapidement une pièce en trois actes (donc une petite comédie) nécessitant peu de décors et d'accessoires, faciles à enlever après la représentation.

Molière choisit d'adapter une comédie de Térence, Phormion, à qui il emprunte l'intrigue de deux jeunes gens qui tombent amoureux pendant l'absence de leurs pères, et dont l'un épouse la jeune fille qu'il aime, et l'autre a besoin d'argent pour racheter celle qu'il aime à un marchand d'esclaves, sans bien entendu l'accord des pères. Ils seront tirés d'affaires par un habile esclave.

Molière change peu la trame d'origine, il l'adapte seulement au contexte de son temps. Ainsi ce n'est plus à un marchand d'esclaves qu'il s'agit de racheter la jeune fille, mais à une bande de Bohémiens. de même l'esclave devient un valet, le Scapin du titre. Molière dédouble les fourberies du rusé serviteur, qui doit au final extorquer de l'argent aux deux vieillards et non plus un seul. de même les deux jeunes filles se trouvent êtres celles que les pères voulaient faire épouser à leurs fils, ce qui permet une heureuse issue à la fin de la pièce, tout le monde trouvant son compte à l'affaire. le dédoublement des fourberies du valet imprime à la pièce un rythme endiablé et donne à Scapin le rôle central, et à Molière qui le jouait une occasion de montrer tout son talent d'acteur comique.

Par ailleurs, la réplique la plus célèbre (Mais qu'allait-il faire dans cette galère ?) est empruntée à l'unique comédie de Cyrano de Bergerac, le pédant joué. Pièce jamais jouée ni éditée, car en plus de s'attaquer à un célèbre professeur, elle contenait des éléments considérés à l'époque comme blasphématoires, et qui ne circulait que sous forme de manuscrit parmi les libres penseurs. Ce qui montre au passage que Molière en faisait partie, et que les attaques des gens d'Église à son encontre n'étaient pas le fruit du hasard.

Les fourberies de Scapin sont créées le 24 mai 1661 et ne rencontrent pas un grand succès. Elle quittera l'affiche en juillet pour laisser la place à psyché, et sera édité en août.

Un peu conçue comme un bouche-trou, écrite très rapidement, la pièce montre à quel point Molière est capable d'insuffler une forme de génie à un canevas convenu. Son valet, l'air de rien, met en lumière tous les défauts de ses maîtres, vieillards avares et égoïstes, jeunes gens imprévoyants et de peu d'esprit. Il est la force agissante, mais sa condition sociale l'empêche de donner la pleine mesure de ses capacités, réduit à servir des personnages de peu d'intérêt de de peu d'envergure. Et il n'a pas de reconnaissance à attendre de ceux qu'il sert. Il y a là une sorte de satire sociale puissante, mais sans que cela nuise au formidable potentiel comique de la pièce.
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SCAPIN
Eh ! Monsieur, de quoi parlez-vous là, et à quoi vous résolvez-vous ? Jetez les yeux sur les détours de la justice ; voyez combien d'appels et de degrés de juridiction, combien de procédures embarrassantes, combien d'animaux ravissants par les griffes desquels il vous faudra passer, sergents, procureurs, avocats, greffiers, substituts, rapporteurs, juges, et leurs clercs. Il n'y a pas de tous ces gens-là qui, pour la moindre chose, ne soit capable de donner un soufflet au meilleur droit du monde. Un sergent baillera de faux exploits, sur quoi vous serez condamné sans que vous le sachiez. Votre procureur s'entendra avec votre partie, et vous vendra à beaux deniers comptants. Votre avocat, gagné de même, ne se trouvera point lorsqu'on plaidera votre cause, ou dira des raisons qui ne feront que battre la campagne, et n'iront point au fait. Le greffier délivrera par contumace des sentences et arrêts contre vous. Le clerc du rapporteur soustraira des pièces, ou le rapporteur lui-même ne dira pas ce qu'il a vu. Et quand, par les plus grandes précautions du monde, vous aurez paré tout cela, vous serez ébahi que vos juges auront été sollicités contre vous, ou par des gens dévots, ou par des femmes qu'ils aimeront. Eh ! Monsieur, si vous le pouvez, sauvez-vous de cet enfer-là. C'est être damné dès ce monde que d'avoir à plaider ; et la seule pensée d'un procès serait capable de me faire fuir jusqu'aux Indes.

Acte II, scène V
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SCAPIN
Mais, pour plaider, il vous faudra de l'argent : il vous en faudra pour l'exploit ; il vous en faudra pour le contrôle ; il vous en faudra pour la procuration, pour la présentation, conseils, productions, et journées du procureur ; il vous en faudra pour les consultations et plaidoiries des avocats, pour le droit de retirer le sac, et pour les grosses écritures ; il vous en faudra pour le rapport des substituts ; pour les épices de conclusion ; pour l'enregistrement du greffier, façon d’appointement, sentences et arrêts, contrôles, signatures, et expéditions de leurs clercs, sans parler de tous les présents qu'il vous faudra faire. Donnez cet argent-là à cet homme-ci, vous voilà hors d'affaire.

Acte II, scène V
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Scapin - Je vous ai fait quelque chose, Monsieur ?

Léandre - Oui, coquin, et ta conscience ne te dit que trop ce que c’est.

Scapin - Je vous assure que je l’ignore.

Léandre, s’avançant pour le frapper. - Tu l’ignores !

Octave, le retenant - Léandre !

Scapin - Hé bien ! Monsieur, puisque vous le voulez, je vous confesse que j’ai bu avec mes amis ce petit quartaut de vin d’Espagne dont on vous fit présent il y a quelques jours; et que c’est moi qui fis une fente au tonneau, et répandis de l’eau autour, pour faire croire que le vin s’était échappé.

Léandre - C’est toi, pendard, qui m’as bu mon vin d’Espagne, et qui as été cause que j’ai tant querellé la servante, croyant que c’était elle qui m’avait fait le tour ?

Scapin - Oui, Monsieur: je vous en demande pardon.

Léandre - Je suis bien aise d’apprendre cela; mais ce n’est pas l’affaire dont il est question maintenant.

Scapin - Ce n’est pas cela, Monsieur ?

Léandre - Non: c’est une autre affaire qui me touche bien plus, et je veux que tu me la dises.

Scapin - Monsieur, je ne me souviens pas d’avoir fait autre chose.

Léandre, le voulant frapper - Tu ne veux pas parler ?

Scapin - Eh !

Octave, le retenant - Tout doux !

Scapin - Oui, Monsieur, il est vrai qu’il y a trois semaines que vous m’envoyâtes porter, le soir, une petite montre à la jeune Égyptienne que vous aimez. Je revins au logis mes habits tout couverts de boue, et le visage plein de sang, et vous dis que j’avais trouvé des voleurs qui m’avaient bien battu, et m’avaient dérobé la montre. C’était moi, Monsieur, qui l’avais retenue.

Léandre - C’est toi qui as retenu ma montre ?

Scapin - Oui, Monsieur, afin de voir quelle heure il est.

Léandre - Ah ! ah ! j’apprends ici de jolies choses, et j’ai un serviteur fort fidèle vraiment. Mais ce n’est pas encore cela que je demande.

Scapin - Ce n’est pas cela ?

Léandre - Non, infâme: c’est autre chose encore que je veux que tu me confesses.

Scapin - Peste !

Léandre - Parle vite, j’ai hâte.

Scapin - Monsieur, voilà tout ce que j’ai fait.

Léandre, voulant frapper Scapin - Voilà tout ?

Octave, se mettant au-devant - Eh !

Scapin - Hé bien ! oui, Monsieur, vous vous souvenez de ce loup-garou, il y a six mois, qui vous donna tant de coups de bâton la nuit et vous pensa faire rompre le cou dans une cave où vous tombâtes en fuyant.

Léandre - Hé bien ?

Scapin - C’était moi, Monsieur, qui faisais le loup-garou.

Léandre - C’était toi, traître, qui faisais le loup-garou ?

Scapin - Oui, Monsieur, seulement pour vous faire peur, et vous ôter l’envie de nous faire courir toutes les nuits comme vous aviez de coutume.

Léandre - Je saurai me souvenir en temps et lieu de tout ce que je viens d’apprendre. Mais je veux venir au fait, et que tu me confesses ce que tu as dit à mon père.
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OCTAVE
Ah ! parle, si tu veux, et ne te fais point, de la sorte, arracher les mots de la bouche !

SIVESTRE
Qu'ai-je à parler davantage ? Vous n'oubliez aucune circonstance, et vous dites les choses tout justement comme elles sont.

OCTAVE
Conseille-moi, du moins, et me dis ce que je dois faire dans ces cruelles conjonctures.

SILVESTRE
Ma foi ! je m'y trouve autant embarrassé que vous, et j'aurais bon besoin que l'on me conseillât moi-même.

OCTAVE
Je suis assassiné par ce maudit retour.

SILVESTRE
Je ne le suis pas moins.

OCTAVE
Lorsque mon père apprendra les choses, je vais voir fondre sur moi un orage soudain d'impétueuses réprimandes.

SILVESTRE
Les réprimandes ne sont rien ; et plût au Ciel que j'en fusse quitte à ce prix ! mais j'ai bien la mine, pour moi, de payer plus cher vos folies, et je vois se former de loin un nuage de coups de bâton qui crèvera sur mes épaules.

OCTAVE
Ô Ciel ! par où sortir de l’embarras où je me trouve ?

SILVESTRE
C'est à quoi vous deviez songer, avant que de vous y jeter.

OCTAVE
Ah ! tu me fais mourir par tes leçons hors de saison.

SILVESTRE
Vous me faites bien plus mourir par vos actions étourdies.

Acte I, scène I
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SCAPIN. C'est à vous, Monsieur, d'aviser promptement aux moyens de sauver des fers un fils que vous aimez avec tant de tendresse.
GERONTE. Que diable allait-il faire dans cette galère?
SCAPIN. Il ne songeait pas à ce qui est arrivé.
GERONTE. Va-t'en Scapin, va-t'en dire à ce turc que je vais envoyer la justice après lui.
SCAPIN. La justice en pleine mort! Vous moquez-vous des gens?
GERONTE. Que diable allait-il faire dans cette galère?
SCAPIN. Une méchante destinée conduit quelquefois les personnes.
GERONTE. Il faut, Scapin, il faut que tu fasses, ici, l'action d'un serviteur fidèle.
SCAPIN. Quoi, Monsieur?
GERONTE. Que tu ailles dire à ce Turc qu'il me renvoie mon fils, et que tu te mettes à sa place jusqu'à ce que j'aie amassé cette somme qu'il demande.
SCAPIN. Eh ! Monsieur, songez-vous à ce que vous dites? Et vous figurez-vous que ce Turc ait si peu de sens que d'aller recevoir un misérable comme moi à la place de votre fils?
GERONTE. Que diable allait-il faire dans cette galère?
SCAPIN. Il ne devinait pas ce malheur. Songez, Monsieur, qu'il ne m'a donné que deux heures.
GERONTE. Tu dis qu'il demande...
SCAPIN. Cinq cents écus.
GERONTE. Cinq cents écus! N'a-t-il point de conscience?
SCAPIN. Vraiment oui, de la conscience à un Turc!
GERONTE. Sait-il bien ce que c'est que cinq cents écus?
SCAPIN. Oui Monsieur, il sait que c'est mille cinq cents livres.
GERONTE. Croit-il, le traître, que mille cinq cents livres se trouvent sous le pas d'un cheval?
SCAPIN. Ce sont des gens qui n'entendent point de raison.
GERONTE. Mais que diable allait-il faire dans cette galère?
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Vidéo de  Molière
MOLIÈRE – Variations sur les fêtes royales, par Michel Butor (Genève, 1991) Six cours, parfois coupés et de qualité sonore assez passable, donnés par Michel Butor à l’Université de Genève en 1991.
Dans la catégorie : Littérature dramatiqueVoir plus
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