Savannaket. Et c'était aussi une histoire abandonnée. Une histoire de Duras, de Marguerite, sur vinyle, avec sa voix traînante, suspensive, dans cette ponctuation. Et c'était comme un pépiement sur le microsillon, Savannakhet. Et le vieux disque, cela allait bien avec le canapé rouge.
Duras. Elle parlait d'une jeune fille, d'une jeune femme. Elle venait du Tonlé Sap, de Savannakhet, mais elle était jeune dans la plaine aux oiseaux. Elle avait marché dix ans pour finalement arriver à Calcutta. Bien sûr, c'était faux, Calcutta, mais cela faisait fleuve, odeur de fleuve quand il l'écoutait, il y a longtemps, autrefois, cette histoire qu'il avait bien écoutée cent fois jusqu'à l'usure.
J'avais douze ans quand ma mère est revenue du marché.
Elle portait un enfant dans les bras. Elle pleurait...
Une histoire ancienne et qui passait en trente-trois tours.
En Indochine, à cette époque, la misère était endémique.
Calcutta, Mandalay, Phnom Penh, le Tonlé Sap, Savannakhet. Tous ces noms de lieux ricochaient sur le saphir et en prenaient la brillance, l'éclat de pierre dure, précieuse.
Il avait oublié cette histoire lorsqu'il était à Calcutta, Mandalay, Phnom Penh et même en traversant le Tonlé Sap. Et elle était revenue là, à Savannakhet, seulement à Savannakhet. Une histoire aveugle, racontée à l'aveugle par Duras et qui s'écoutait aussi, de la même manière par le haut-parleur, ces vieux haut-parleurs aux membranes caoutchoutées.
Est-ce que tu crois qu'on peut aller un jour jusqu'à Savannakhet à cause d'un morceau de disque que l'on a écouté jeune, à peine adolescent...
- Oui, bien sûr...
La Strada. Ce qui l'intéressait seulement, c'était que l'écrivaine Duras avait fait tellement dérailler ce récit qu'elle n'avait pas pu l'écrire. Ce n'était que cela qui importait à la Strada, cette finalité, cette impossibilité. Parfois, heureusement, le roman est impossible quand même.
Cura Daï. La plage de Ho An, Faïfoo. Autrefois, le port de Ho
An s’appelait Faïfoo, jusqu’au dix-septième siècle en tout cas,
au moment de l’arrivée des premiers jésuites et de leurs premiers dictionnaires portugais, vietnamiens, français, avec
leurs portées musicales, en fin de volume, pour indiquer les
sens différents des mots selon la hauteur des sons.
Et ce n'était plus vraiment de la culture non plus, ici, au Vietnam, ces loisirs de baie d'Along, en mer enchantée, en cabotage, dans des similijonques qui traçaient à cul entre les rochers, en allures de chalands. Ni même ces temples Cham devenus des ruches pour les essaims de minibus, tous ces minibus du dix-septième parallèle qui vont ensuite vers les abris, les trous de bombe, vers des lieux de folie, de massacres post-angkoriens. Et tout était organisé en parc d'attractions. La culture doit être attractive maintenant, la culture ou la mémoire, que faut-il dire... Une culture rythmée par des pauses sodas et adoucie par des groupes de danseurs et musiciens folkloriques.
Une perte de la culture, un désintérêt... C'était possible malgré ce nouveau vrac des moteurs de recherche...
Comme d'habitude. Le même trajet. Presque.
Et rien. Puis la mère, une mère de trente ans:
"Ils vont encore nous mentir, ne pas nous dire vraiment la vérité. Comment cela va se passer. On ne saura jamais bien, comme d'habitude. "
Tout cela dans le bruit de la route en ville. C'est elle qui conduit. Sans réponses. Et pourtant, il y a lui . Il s'appelle lui, quelquefois le père........