La gitane était devant moi, souriante. Le corsage qu'elle avait dégrafé m'accordait un sein petit que la jeunesse avait arrondi.
- Touche, me dit-elle, il est à toi. Caresse le avec une pièce de monnaie qui te portera bonheur.
Je tendis un Napoléon d'argent qui disparut dans des profondeurs où je n'osais le poursuivre.
- La plume du geai est moins bleue que la chevelure de celle qui sera ta femme, murmurait-elle tout près de moi tandis qu'elle refermait son corsage.
Je ne sais si c'est à ce même café qu'un autre jour nous nous rencontrâmes. Camus arriva. Quelques jeunes filles de l'Equipe s'attablèrent avec nous. Françoise, près de Camus, lui faisait les yeux doux... Camus était dans un jour de gaieté et d'ironie cinglante par laquelle il savait donner sa mesure à l'ambiance qu'alors il dominait... Entre jeunes, nous parlions "femmes" et moi dans un coin... "Je me méfie des trop belles... dis-je... Je préfère les... J'allais dire : les gracieuses, les gentilles, celles dont les charmes sont plus cachés moins apparents... Une passe de lutte... J'étais au tapis. "Moi ! Je prends toujours la plus belle !... coupa Camus...
Douceur de mai ! Soleil de juin ! Albert Camus est devant moi dans ce vieux costume gris dont il traîne la fripe élimée. Ses vieux souliers sont éculés... Mais une joie radieuse émane de sa personne. Pourquoi s'en étonner. N'étions-nous pas tous, comme il se disait "riches de ciel bleu et de soleil"