Jacques de Vitry

La servante du Christ était gratifiée d’un don éminent pour le jeûne. Les jours où il lui fallait aller à table pour se restaurer, c’était avec le même plaisir qu’on prend à se rendre chez le médecin ; et encore ne mangeait-elle qu’une fois dans la journée, d’ailleurs très peu, le soir en été, en hiver à la première heure de la nuit.
Elle ne buvait pas de vin. Elle ne prenait pas de viande, jamais de poisson et si c’était le cas – mais rarement –, du menu fretin. Fruits, herbes et légumes constituaient la base de son alimentation : c’est avec cela qu’elle se sustentait.
Pendant une longue période, elle se nourrit d’un pain très noir et très dur – même les chiens auraient eu de la peine à le mâcher. Il était tellement rassis qu’en l’avalant, elle en avait la gorge lacérée et que le sang coulait de ses écorchures, mais ce sang lui semblait doux car il lui rappelait le sang du Christ. Les plaies du Crucifué étaient un baume sur ses plaies ! Et la suavité du pain céleste transformait l’âpreté de la croûte en gâterie.
Un jour qu’elle se restaurait, elle vit le vieil ennemi s’approcher : il se consumait d’envie. A défaut de pouvoir faire autre chose, il l’insulta : « Eh bien, espèce de goinfre ! Tu te remplis trop ! » Il faut dire qu’en raison de l’état d’abattement où l’avaient réduite des jeûnes prolongés, ses repas tournaient parfois au martyre : dès qu’elle absorbait le moindre aliment, son estomac contracté et refroidi se gonflait, ce qui était très douloureux. Mais elle connaissait par coeur les ruses du Malin : sachant quelle ascète scrupuleuse elle était, il se plaisait à la troubler pour qu’elle se tue à fore d’abstinence. Vaille que vaille, Marie se remit donc à table pour se payer la tête du démon, et plus elle mangeait, plus le serpent vénéneux en était tourmenté. Qu’elle se nourrît ou jeûnât, elle faisait tout à la gloire de Dieu.
Je l’ai vu jeûner au pain et à l’eau de septembre jusqu’à Pâques – et cela trois ans de suite – sans que sa santé ou son ardeur au travail manuel en soient altérés.
Elle se restaurait dans sa cellule – qui jouxtait l’église –, le soir ou même la nuit. Et pendant toute la durée de son frugal repas, de la bénédiction à l’action de grâces, des anges la regardaient grignoter – ils montaient et descendaient devant elle comme par une échelle de lumière. Elle trouvait dans leur présence tant de consolation et de joie intérieure que ce festin mystique dépassait les plaisirs de bouche les plus suaves.