L’ARRIVÉE
Nous sortons de l’avion et nous dirigeons, Nicaraguayens et étrangers
confondus, vers le grand bâtiment éclairé – d’abord
la Migration et la Douane – et moi je songe, alors que nous en approchons
le passeport à la main : quelle fierté pour moi d’être titulaire du passeport de ma patrie socialiste et quel bonheur
d’arriver dans le Nicaragua socialiste – « Camarade »…
c’est ce qu’on me dira – un camarade révolutionnaire bien accueilli
par les camarades révolutionnaires de la Migration et de la Douane
– il ne s’agit pas d’abolir tout contrôle, il faut en exercer un
pour éviter à tout jamais le retour du capitalisme et du somozisme –
et quelle émotion de revenir au pays en pleine révolution
avec à chaque fois de nouveaux changements, de nouveaux décrets d’expropriation
dont on me parlera, des transformations à chaque fois plus radicales
d’innombrables surprises pendant le court laps de temps de mon absence
et je lis de la joie dans les yeux de tous – de ceux qui sont restés, les autres sont déjà partis – maintenant nous entrons dans la lumière
et on nous demande les passeports, à ceux d’ici et aux étrangers mais c’était un rêve et je me trouve dans le Nicaragua somoziste on me prend le passeport en usant de la même politesse glacée qu’on manierait à la Sécurité pour me dire « entrez »
on l’emporte à l’intérieur et on ne le rapporte plus (on est
certainement
en train de téléphoner – certainement à la Sécurité
aux services de la Présidence ou allez donc savoir à qui) et
maintenant
tous les passagers ont quitté les lieux et j’ignore si je vais être
arrêté
mais non : on revient avec mon passeport au bout d’une heure
la CIA devait savoir que cette fois je ne suis pas allé à Cuba
et que je n’ai passé qu’un jour à Berlin-Est
je peux enfin passer les contrôles de la Douane
seul voyageur à la Douane avec ma vieille valise
le garçon qui me contrôle fait semblant de me contrôler
sans rien contrôler, tout bas il m’a dit « Mon Révérend »
et il ne fouille pas le fond de ma valise où il trouverait
le disque avec le dernier appel d’Allende au peuple
depuis la Moneda haché par le bruit des bombes
que j’ai acheté à Berlin-Est ou encore le discours de Fidel
sur le renversement d’Allende que m’a offert Sergio
le garçon me dit alors : « Il est huit heures et nous n’avons
pas dîné
nous aussi, les douaniers, la faim peut nous tenailler »
et moi : « À quelle heure mangez-vous ? » « Pas avant l’arrivée
du dernier avion »
maintenant je vais me diriger vers les ténèbres de la ville
dévastée
où rien ne change et où il ne se passe rien mais j’ai vu
ses yeux et ses yeux m’ont dit : « Camarade ».
Nous avons un centre commun et il est devant nous.
Beaucoup sont prisonniers, d’autres clandestins.
Les paysans, ils sont jetés depuis les hélicoptères.
Donner la vie, c’est s’abandonner au futur.
Pour n’être qu’un seul corps avec un seul entendement
et la volonté de prétendre à la même chose tous ensemble.
Le Président de la Cour a déclaré :
« Êtes-vous au courant qu’ils se battent pour les pauvres ?
Répondez par oui ou par non. »
Pour devenir quelque chose de plus grand que soi-même.
Tout est mouvement : galaxie, système solaire, planète
et aussi Maria Daniela, le vieux canot des Lorío
tout navigue dans l’espace-temps.
« Je crois qu’ils se battent pour les pauvres. »
J’ai été convoqué à la Cour
et j’ai fait Ta volonté.
Je regarde les étoiles et je dis :
j’ai respecté tes commandements.
Dans notre modeste coin, la révolution planétaire
une humanité sans classes
ce qui fait
que la planète tourne autour du soleil.
L’unification
de l’univers !
Et les « ténèbres extérieures » :
les espaces interstellaires ?
Tout est mouvement
que Ta volonté soit faite
sur la planète comme dans les galaxies.
Lorsque je t’ai perdue, moi, toi et moi avons perdu :
moi parce que tu étais ce que j’aimais le plus
et toi parce que j’étais celui qui t’aimait le plus.
Mais de nous deux, toi, tu perds plus que moi :
parce que moi, je pourrai en aimer d’autres comme
je t’ai aimée toi
mais toi, on ne t’aimera pas comme je t’aimais, moi.
***
Jeunes filles qui un jour lirez émues ces vers
et qui rêverez d’un poète :
sachez que je les ai faits pour une jeune fille comme vous
et que ce fut en vain.
***
Telle sera ma vengeance :
Qu’un jour t’arrive dans les mains le livre d’un poète célèbre
et que tu lises ces lignes que l’auteur a écrites pour toi
et que tu ne le saches pas.
***
On m’a raconté que tu étais amoureuse d’un autre
alors je suis retourné dans ma chambre
et j’ai écrit cet article contre le Gouvernement
à cause duquel je suis en prison.
//ERNESTO CARDENAL nous a quitté le 1er mars 2020.
/Traduction : Edgar Romero / Modesta Suárez)
Ils ne connurent pas la valeur d’inflation de l’argent
Leur monnaie était le Soleil qui brille pour tous
Le Soleil qui est à tous et a tout fait croître
Le Soleil sans inflation ni déflation : Et non pas
ces sales « soleils » qui servent à payer le péon
(lui pour un « soleil » péruvien te montrera ses ruines)
Et on mangeait 2 fois par jour dans tout l’Empire
Et ce ne furent pas les financiers
les créateurs de leurs mythes
Plus tard fut pillé l’or des temples du Soleil
et mis en circulation en lingots
portant les initiales de Pizarre
La monnaie amena les impôts
et avec la colonie apparurent les premiers mendiants
À la chute de l’Empire
l’Indien s’est assis accroupi
comme un tas de cendres
et il n’a rien fait d’autre que penser…
Indifférent aux gratte-ciel
à l’Alliance Pour le Progrès
Penser ? Qui sait
Le bâtisseur de Macchu Picchu
dans une maison de carton
et boîte de conserve Flocons d’Avoine Quaker
Le tailleur d’émeraude affamé et puant
(le touriste prend sa photo)
Solitaires comme des cactus
silencieux comme le paysage – au fond – des Andes
Ils sont cendres
ils sont cendres
qu’évente le vent des Andes
Et le lama triste chargé de bois
regarde sans mot dire le touriste
collé à ses maîtres
On ne peut pas acheter la vie avec un chèque, ses actions sont trop élevées, on ne peut les payer avec de l’argent.