Quand j’avance sur mon trottoir, le matin, avec mes chaussures à trois sous et mon mini sac à dos, je me sens légère et heureuse. Je constate avec bonheur que je n’ai besoin de rien de plus. Plus que tout, c’est ce sentiment de dénuement qui me plaît : allégée des fardeaux, je peux enfin m’ouvrir au monde et à moi-même. Et ce que je découvre alors, c’est le bonheur d’être là, le cadeau de l’instant, la communion avec la ville.
Pour l'instant, j'avançais seule sur la rive et je voyais défiler, un peu au dessus, tous ces beaux monuments, là pour se donner au monde entier, familiers à mon regard, mais restés jusqu'alors distants malgré tout, comme des personnes toujours sur leur quant à soi...Et voila que ce jour-là, miraculeusement, ils étaient devenus mes amis, mes potes de longue date, mes complices. On se voyait depuis si longtemps!
Nous devinons, sous un amoncellement de cartons…Une cabane ! Des immeubles bas, autrefois crépis, qui longent l’allée, pendent des fils électriques. Des occupants clandestins doivent les habiter. La rue qui suit est occupée par des caravanes de fortune, installées là. Des planches ont été découpées pour remplacer des portes, des fuites sont colmatées avec des tôles, des bâches de plastique ou du papier collant. Ce campement est gardé par des amoncellements de ferrailles, arrachées plus loin, tirées jusqu’ici : des sommiers, des tôles, des roues, des outils hors d’usage…Sous un panneau « Prochainement bureaux », un groupe d’hommes donne l’impression de monter la garde. À côté, des restes de feu.
Laissons-nous porter par nos pas, ouvrons nos yeux et nos esprits, le reste suivra de lui-même…Écoutons tout simplement la musique des mots : « partir au petit bonheur », « aller de l’avant », « suivre son chemin » …C’est comme si les hommes, tous les hommes qui ont construit le langage essayaient de nous dire quelque chose, comme s’ils avaient façonné un message qui leur échappait. Ils ont laissé une trace, semblable à celle que creusent des milliers de pieds sur des marches de pierre que nous foulons à notre tour. Ils nous soufflent quelque chose : « faire sa route », « faire sa trace », « retrouver son chemin », « être un homme debout » …
À force de croiser des hommes et des femmes dans les rues et les boulevards, de décrypter les indices de leur présence et de leur activité, vous vous sentez juste homme ou femme parmi les autres. Ces milliers d’individus vont comme vous quelque part, ils suivent leur chemin et progressent dans la cité. Vous êtes un piéton dans la foule, un élément dans la multitude. Vous dansez avec les autres.