André Cagnard

Une chose la rassurait, tout cela n'était encore que le produit de la folie des hommes faits de chair et de sang. Ce qu'elle avait vécu à Paris avec Camoletti et Jacques était tout autre ; une peur viscérale devant le surnaturel. Elle se souvint d'une citation anonyme découverte pendant ses études : "La peur est un cri, la terreur est un murmure."
La peur s'était dévoilée, mais la terreur était à venir. Kamal lui avait dit le matin même : "Vous avez amené avec vous la résonance de ce que vous avez vécu à Paris."
Si elle voulait aller au bout de sa quête, il lui était urgent de chasser de sa tête la folie qui s'y était amassée depuis le commencement.

La flamme se propagea en une fraction de seconde à la feuille dégoulinante qui se consuma instantanément en produisant un effet de souffle. Sur le banc, ce qui restait du cadavre du clochard apparut dans toute son horreur. Le visage et les mains n'étaient plus qu'une plaie sanguinolente et putride. Les vêtements semblaient avoir été brûlés. Par endroits, les côtes étaient visibles et commençaient à se dissoudre. Gutenberg se précipita en courant vers une poubelle, mais il ne put l'atteindre à temps et vomit au pied d'un arbre.

Ces horreurs qu'elle avait vécues se jetaient à nouveau sur elle, monstruosités qu'elle était incapable de gérer. Elle allait hurler afin de se libérer. Elle respira fortement et bloqua l'air dans ses poumons. Elle accrocha à nouveau le regard du chauffeur dans le rétroviseur et se força à lui sourire. La tension était retombée... mais pour combien de temps ?
Un jour prochain, elle réussirait peut-être à rejeter ces images hors de toute logique, qui semblaient s'accrocher à elle depuis cette nuit terrible.

Épouvanté, Achod se rua vers la porte. Au moment où il allait l'atteindre, elle se referma dans un claquement sinistre, le stoppant net dans son élan. Le vieil homme se retourna et affronta de nouveau la vision de cauchemar. Le regard fou, il recula. Son visage semblait s'être vidé de son sang. Ses yeux roulaient dans leurs orbites, allant du crucifix qui gisait sur le sol à la page du bateleur en lévitation devant lui. Achod poussa un petit cri et se protégea avec ses mains.

La bouteille était presque vide, le vieil homme la posa à côté de lui. Insouciant, il regardait tout autour de lui en souriant à la vue de la masse de papiers qui l'entourait. Il crut entendre un gémissement, puis deux, puis trois. Des petites voix semblaient lui parler.
- Laissez-moi ! J'suis pas Jeanne d'Arc et j'suis bourré, alors barrez-vous ! cria-t-il.
Sa tête retomba sur sa poitrine, ses yeux se fermèrent un court instant, puis il se ressaisit, rouvrit les yeux et découvrit à ses pieds un papier qui ressemblait à un journal. Il le déplia, s'allongea sur le banc et s'en recouvrit.

- Il y a du couscous ? demanda Camoletti.
Kamal hocha la tête. Achour avait tout vu et lui avait tout répété sur son portable... surtout l'histoire du couscous à fumer dans la pipe. Le Français avait de l'humour.

Camoletti se leva, le regard vide, se demandant s'il ne rêvait pas et s'il ne devait pas partir en courant, oublier cette histoire de fou, ou appeler Jacques et l'insulter pour l'avoir envoyé chez Achod.

Camoletti eut un haut-le-corps, cette histoire commençait à sentir mauvais.