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Citation de Charybde2


On glisse sous les défenses et on entre chez l’ennemi – mais lequel ? L’occupation policière est palpable, ça doit être une zone sous loi d’urgence. On se faufile sans attirer l’attention, on a l’habitude. Ca grouille, des jeunes bien habillés profitent de la paix pour acheter des fromages hors de prix. On les a appelés bobos, mais on sait que ce mot ne veut plus dire grand-chose. La frange radicale de cette classe créative a d’ailleurs rejoint la Commune, laissant une partie du bas-Belleville aux profiteurs, ceux-là même qui lèchent les cops pour se donner bonne conscience. Car on sait ce qui se passe ici.
Place de l’Orgie, les cages publiques. Des clameurs, des regards entre les barreaux. Paris montre son vrai visage. Sous le soleil d’un printemps qui n’en finit pas, plusieurs de nos camarades sont enfermés dans de grandes structures métalliques, d’anciens terrains de sport devenus prison à ciel ouvert. On n’imagine pas le calvaire que ça doit être pour nos camarades à l’intérieur. Entassés, moqués par les passants. Sans savoir quand ils seront relâchés. Des cages comme ça, y en a plein la ville. Et nous les cages on veut les ouvrir toutes.
Retour dans nos murs, on en a assez vu. On remonte Belleville puis Rébeval et les escaliers. On croise une moto caméra de la ville – dégénérescence de bubons mobiles. Elle fait pas dix mètres et se fait caillasser. L’ennemi regorge d’imagination pour nous espionner, c’est terrible.
En descendant Bolivar, on pense à l’image, à la nécessité de peut-être devoir se battre sur ce plan-là, un jour : de ne plus leur nier le droit de nous regarder mais peut-être bien de les rendre jaloux. De notre liberté, même ghettoïsée. De notre style et de nos modes de vie.
On va manger un de ces délicieux kebabs végé sous l’arbre géant de la place Bolivar. Ici, les bubons-camrés, l’arbre lui-même se charge de les faire tomber comme châtaignes. On s’assoit sous ses branches. On se dit que c’était ça, la meilleure vengeance : nous sommes toujours en vie. Après tout ce temps, après les affrontements, les raids et l’injustice, on continue à leur faire des doigts dans nos survêts italiens.
À l’angle du parc, la barricade de l’ID coupe l’avenue Bolivar et fait face aux groupes de fachos qui tiennent le 11e arrondissement. Ce que l’on appelle souvent la « queer zone de défense » est souvent en tension à cause des réserves de pétrole dans le sous-sol de la station-service, de nombreuses guerrières tiennent ici leurs positions mais, selon la légende, les débats internes peuvent parfois être aussi éprouvants que les combats.
Manquant de temps, nous évitons stratégiquement l’affrontement et nous nous engageons dans le chemin de garde qui parcourt le haut du parc des Buttes-Chaumont. Nous sommes surprises du nombre de combattantes que nous y croisons. Le haut du parc semble n’être qu’un gigantesque camp d’entraînement. Tous les sports de combat du monde sont mis en partage et les militantes se forment en autogestion aux dernières pratiques de guérilla urbaine à la mode.
Notre regard s’arrête sur les régiments bien spécifiques de joggers. Jadis esclaves du capital, ils ne peuvent s’arrêter de courir et leur incorruptible mentalité néo-libérale demande toujours plus de performance. Véritables cyborgs mercenaires, leurs corps sont outillés par la Mesure. La plupart reviennent de loin, échappés des centres métropolitains ultra-connectés, ils sont maintenant au service de la Commune. Certains d’entre eux produisent une partie de l’électricité dans des sortes de goulags souterrains dont l’existence pose question aux plus convaincus des révolutionnaires. D’autres forment des troupes de démineurs qui percent les lignes ennemies dans un écran sacrificiel.
Nous observons un instant leur va-et-vient évoquant l’accélérationnisme de nos anciens maîtres. Il est troublant de voir que ces individus – ce banquier courant dans la posture voûtée et douloureuse du pénitent ou ce journaliste sérieux et dispo dans son imperméable Libération -, ne savent pas quoi faire de leurs mains.
Outre les corps des ex-capitalistes, l’ensemble des Buttes-Chaumont est le lieu de fights régulières, d’escarmouches avec les ennemis de la Commune. Le bas du parc est en fait un no man’s land déserté, vivant les allers et retours de forces armées. L’enjeu majeur de ces combats est le promontoire rocheux où s’accroche la tour du Romantisme.
Après avoir visité par courtoisie le comité de défense réuni au local Rosa Malheur, nous nous perdons dans les petites rues de l’arrière, fuyant ce front tumultueux de la Commune. Nous prenons la plus petite rue de Paris, ruelle oubliée du plateau qui mène à la cabane en bambou, refuge végétalisé au cœur de la ville. Nous y retrouvons – grâce au plaisir simple du hasard – des ami.e.s pour prendre le thé.
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