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Citation de SZRAMOWO


Je ne sais pas ce que les camarades étaient devenus. Les uns avaient pris à droite, les autres à gauche, comme dans une église ; car toutes ces salles superbes aboutissaient les unes dans les autres, toujours avec la même beauté. Emmanuel et moi nous allions seuls ; il me disait :
– Tout cela, c’est le bien de la nation, Jean-Pierre. Il faut tout respecter… C’est notre bien !…
 
Je lui répondais :
– Ça va sans dire ! Nous l’avons gagné, et si ce n’est pas nous, ce sont nos pères, les bûcherons, les vignerons, les marchands, les laboureurs, tous ces malheureux qui travaillent et suent du matin au soir pour l’honneur de la France. Nous serions bien bêtes de gâter notre propre bien. Et nous serions des gueux d’avoir l’idée de rien prendre, puisque c’est à tous.
 
J’avais des idées pareilles, qui m’élevaient l’esprit et me faisaient voir les choses en grand ; mais j’ai bien reconnu par la suite que ce n’étaient pas les pensées de tout le monde, ni le moyen de s’enrichir. Enfin, j’aime pourtant mieux être comme cela.
 
Et regardant de la sorte ces richesses, nous arrivâmes au fond, dans une autre salle en travers de la nôtre. Je ne saurais pas dire si c’était la salle du trône, ou la chambre à coucher de Louis-Philippe. Elle était plus large que la première et moins longue, éclairée par les deux bouts, remplie de peintures, et sur la gauche, dans l’épaisseur du mur, se trouvait une niche en forme de chapelle, recouverte de tentures à franges d’or. Dans le fond, entre les tentures, je voyais une sorte de lit ou de trône. Emmanuel et moi nous ne voulûmes pas entrer, pensant que cela ne convenait pas.
 
Nous étant retournés au bout de quelques instants, nous vîmes devant une table ronde et massive en marbre rose, un homme assis, qui mangeait un morceau de pain et du fromage dans un papier. Nous ne l’avions pas vu d’abord. C’est pour vous dire combien ces salles étaient grandes, puisqu’un homme ne se voyait pas, en entrant du premier coup d’œil. Emmanuel lui dit :
– Bon appétit !
 
L’autre, avec un chapeau à larges bords et une camisole brune, la figure pleine et réjouie, le fusil en bandoulière, lui répondit :
– À votre service !… Tout à l’heure nous irons boire à la cave.
 
Il riait et clignait des yeux.
Dans ce moment, on commençait à entendre un grand murmure dehors, un tumulte, des coups de fusil. Nous allâmes regarder aux fenêtres ; c’était la grande masse du peuple qui s’approchait au loin sur la place du Carrousel avec défiance. Nous pensions :
« Vous pouvez venir sans crainte ; on ne vous gênera pas ! »
 
Et songeant à cela, nous continuions à marcher lentement, regardant tout avec curiosité. Nous arrivâmes même dans un théâtre, où la toile du fond représentait un port de mer. Plus loin, nous entrâmes de plain-pied sur le balcon d’une chapelle ; la chapelle était au bas, avec des vases d’or, des candélabres et le saint-sacrement. Il y avait des fauteuils, et, sur le devant du balcon, une bordure en velours cramoisi. C’est là que Louis-Philippe écoutait la messe. Comme nous étions fatigués, nous nous assîmes dans les fauteuils, les coudes sur ces bordures. Emmanuel alluma sa pipe, et nous regardâmes longtemps cette chapelle avec admiration.
 
À la fin il me dit :
– Si quelqu’un m’avait annoncé hier, quand cinquante mille hommes défendaient les Tuileries, que je fumerais aujourd’hui tranquillement ma pipe dans l’endroit où la famille du roi, la reine, les princes, venaient entendre la messe, jamais je n’aurais pu le croire.
 
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