Erckmann et Chatrian :
Gens d'Alsace et de LorraineOlivier BARROT signale la publication aux Presses de la Cité (collection Omnibus) de "
Gens d'Alsace et de Lorraine" d'
ERCKMANN-CHATRIAN. Ce gros ouvrage rassemble six des Romans et Contes des deux célèbres Alsaciens.
Alors je renonçais pour toujours à la méthode de M. Guillaume. Ce n'est pas en battant les enfants, en les humiliant, qu'on peut en faire quelque chose ; c'est en les relevant à leurs propres yeux, en leur donnant le moyen de se relever, en les traitant comme des hommes et non comme des animaux.
Tout leur grand génie et toutes leurs grandes idées de gloire ne sont rien, car il n'y a qu'une chose pour laquelle un peuple doit marcher, c'est quand on attaque notre Liberté, comme en 1792 ; alors on meurt ensemble ou l'on gagne ensemble.
la victoire n'est pas pour quelques uns , elle est pour tous. Voilà, la seule guerre juste, toutes les autres sont honteuses.
si avec cela on organisait dans chaque village des bibliothèques sérieuses, où les gens trouveraient de bons livres d’histoire, de morale, de droit, d’agriculture, de sciences, pour s’instruire et se perfectionner de plus en plus ; si nos écrivains, nos hommes de talent se mettaient à faire des ouvrages et des journaux à bon marché ; s’ils comprenaient enfin qu’au lieu de vendre leurs livres à deux ou trois mille exemplaires, ils trouveraient, en écrivant pour le peuple, des centaines de mille et bientôt des millions d’acheteurs, sans parler du plaisir d’être utile à son pays, de faire des choses nouvelles, de travailler au développement de la civilisation, à quel degré de prospérité n’arriverait pas bientôt notre race !
Ceux que tu n'as pas vus revenir sont morts, comme des centaines et des centaines de mille autres mourront car l'Empereur n'aime que la guerre.
Il a déjà versé plus de sang pour donner des couronnes à ses frères, que notre grande Révolution pour gagner les Droits de l'Homme.
Le solfège et le plain-chant pouvaient seuls réussir aux Roches ; à ces gens superstitieux il fallait les cérémonies de l'église, le chantre au lutrin était pour eux une sorte de personnage, qui venait après le bedeau et M. le curé ; qu'on se figure donc leur contentement. Il ne me restait que six semaines pour enseigner le catéchisme aux grands ; eh bien ! cela suffit. A chaque nouvel examen que nous allions passer tous les jeudis au Chêne-Fendu, M. le curé Bernard s'émerveillait de leurs progrès. Sœur Éléonore n'avait rien obtenu de pareil, il me disait en riant que c'était Dieu qui avait suscité les mauvaises langues contre moi, pour m'envoyer aux Roches, afin de civiliser ce pays ! Et le dernier dimanche avant Pâques il annonça que, ceux du hameau des Roches sachant le mieux leur catéchisme, ce serait Jacques Hutin, le fils du garde, qui réciterait l'acte de foi publiquement à la première communion. Dire la considération dont je fus entouré depuis ce moment par les habitants du hameau serait chose impossible ; c'est à moi qu'ils attribuaient cet honneur unique, extraordinaire. Tout le monde me tirait le chapeau, et les femmes me recevaient toutes avec un sourire agréable, lorsque j'allais dans leur baraque prendre mes repas.
« Nous étions entourés partout : Les Anglais nous repoussaient dans le vallon, et dans le vallon Blücher arrivait. Nos généraux, nos officiers, l’Empereur lui-même n’avaient plus d’autres ressources que de se mettre dans un carré ; et l’on dit que nous autres, pauvres malheureux nous avions la terreur panique ! Quelle injustice ! »
(tiré de "Waterloo")
Si de nos jours tout est moins grand, moins beau, moins noble qu'autrefois, n'est-ce pas parce que les hommes ne connaissent plus l'amour véritable, et qu'ils se marient pour de l'argent ? Eh bien ! moi, David, entends-tu, je dis et soutiens que l'amour vrai, l'amour pur est la seule chose qui change le cœur de l'homme, la seule qui l'élève et qui mérite qu'on donne sa vie pour elle. Je trouve que ces hommes ont bien fait de se battre puisque chacun ne pouvait renoncer à son amour, sans s'en reconnaître lui-même indigne.
Oui, j'ai vu ces immenses tranchées dans lesquelles on enterre les morts: Russes, Français, Prussiens, tous pêle-mêle, - comme Dieu les avait faits pour s'aimer avant l'invention des plumets et des uniformes, qui les divisent au profit de ceux qui les gouvernent, Ils sont là... ils s'embrassent... et si quelque chose revit en eux, ce qu'il faut bien espérer, ils s'aiment et se pardonnent, en maudissant le crime qui, depuis tant de siècles, les empêche d'être frères avant la mort !
Ôte l'amour à l'homme, que lui reste-t-il ? L’égoïsme, l'avarice, l'ivrognerie, I'ennui et les plus misérables instincts ; que fera-t-il de grand, que dira-t-il de beau? Rien, il ne songera qu'à se remplir la panse!
" Alors je regardai dans la nuit grisâtre, et je vis, à cinquante pas devant moi, le colporteur Pinacle, avec sa grande hotte, son bonnet de loutre, ses gants de laine et son bâton à pointe de fer. La lanterne pendue à la bretelle de la hotte éclairait sa figure avinée, son menton hérissé de poils jaunes, et son gros nez en forme d'éteignoir ; il écarquillait ses petits yeux comme un loup, en répétant : "Qui vive !" [...] "
[ERCKMANN-CHATRIAN, "Histoire d'un conscrit de 1813", 1864, chapitre III – page 26 de la collection "la Petite Vermillon", Editions de la Table Ronde]