Après cette petite digression, occupons-nous maintenant de conduire les Allemands à Constantinople, et même de les faire traverser au delà, car ces faits doivent être racontés comme ils se sont passés. Les Allemands donc s'avancèrent avec assez d'audace et peu de prudence ; car tandis qu'ils trouvaient sur ce territoire toutes sortes de richesses, et n'observaient aucune modération, leurs hommes de pied demeuraient en arrière dans un état d'ivresse, étaient massacrés, et leurs cadavres restant sans sépulture infectaient tout le pays. Aussi les Grecs armés étaient-ils moins dangereux que les Allemands morts pour les Français qui marchaient à leur suite. Arrivés à Andrinople, les Allemands trouvèrent des hommes qui voulurent leur interdire le passage par Constantinople, tantôt en leur résistant, tantôt en leur donnant des conseils, et qui leur assurèrent qu'ils trouveraient à Saint-Georges de Sestos un bras de mer plus étroit et un sol plus fertile. Mais l'empereur des Allemands dédaigna également et ceux qui voulaient résister et les donneurs de conseil. Poursuivant sa marche comme il avait commencé, à peu près au milieu de son chemin, il trouva une prairie arrosée par une certaine petite rivière ou plutôt un torrent, qui se jetait tout près de là dans la mer. Ils dressèrent leurs tentes pour passer la nuit en ce lieu ; mais bientôt il tomba sur eux une pluie qui ne fut pas bien forte sur ce point, à ce que j'ai entendu dire, mais qui fut telle dans les montagnes, qu'ils en furent emportés, plus encore que mouillés. Le torrent gonflé et coulant rapidement, enveloppant et enlevant dans sa marche toutes les tentes qu'il rencontrait, et tout ce qu'elles contenaient, les précipita dans la mer voisine, et noya même plusieurs milliers d'hommes. L'empereur et le reste de l'armée, supportant ce désastre, non sans douleur sans doute, mais presque comme s'il n'était qu'un léger dommage, se levèrent, et rendus en quelque sorte plus audacieux par cet événement, marchèrent vers Constantinople. Il y avait en avant de la ville une vaste et belle muraille qui enfermait dans son enceinte beaucoup de gibier et en outre des canaux et des étangs. On y voyait aussi des fosses et des cavités, qui servaient de repaires à des animaux, comme ils en peuvent trouver dans les forêts. Dans ce beau lieu brillaient aussi d'un grand éclat quelques palais, que les empereurs avaient bâtis pour y passer la belle saison. Pour confesser la vérité, l'empereur allemand fit une irruption dans ce lieu de délices, détruisit presque tout ce qu'il trouva, et ravit aux Grecs, sous leurs yeux même, ce qui leur plaisait le plus. Le palais impérial en effet, le seul qui domine au dessus des murailles de la ville, est élevé sur ce lieu, et l'on voit de cette hauteur ce que font tous ceux qui y habitent. Toutefois, si un tel spectacle frappa de stupeur l'empereur des Grecs, il sut contenir sa douleur, et fit demander par ses députés une conférence à l'empereur allemand. Mais ils craignirent ou ne voulurent pas, l'un entrer dans la ville, l'autre en sortir; et aucun des deux ne renonça, par égard pour l'autre, à ses habitudes ou à son orgueil.