Bien que les moeurs et les faits de l'art au XVIIIe siècle aient été, plus qu'au précédent, de nature à stimuler l'esprit d'observation et la verve des dessinateurs satiriques, trop souvent encore ceux-ci se renfermèrent dans les limites étroites d'attaques personnelles, aussi triviales dans le fond que dans la forme. C'est ainsi qu'ils prirent invariablement pour type de l'ignorance et de la stupidité l'âne, cet excellent âne, à qui ses longues oreilles prêtent bien quelque ridicule, mais qui rachète, à nos yeux, ce défaut par la finesse méditative de son regard et la philosophie de son allure. Parfois cependant, ils surent profiter avec quelque esprit des piquantes occasions que devaient fréquemment faire naître les expositions de peinture au Salon du Louvre, régularisées vers le commencement du siècle et a la série des pièces relatives à ces salons aurait ? peut-être mérité un chapitre spécial, si, pour ne pas interrompre l'ordre chronologique, nous n'avions préféré les citer chacune à sa date.
Le chapeau de paille par Rubens
Le type de Mlle Lunden pourra ne pas plaire à tout le monde; mais il est frappant et original. Un beau front bien modelé, des yeux énormes avec des sourcils touffus,.un nez régulier, mais un peu fort, une jolie bouche et un élégant ovale composent un ensemble attrayant, que rehaussent la blancheur de la peau, l'éclat du teint et la finesse des carnations. Elle semble réfléchie, attentive, défiante même et timide, portée à observer les gens qui l'approchent et à se tenir sur la réserve. Le grand chapeau orné de plumes qui ombrage le haut de sa figure, qui abrite, pour ainsi dire, ses yeux et son regard, avive, rend plus frappante cette expression inquiète et soupçonneuse.
Comme la plupart des musées de province, le musée de Marseille est d’origine révolutionnaire. Il semble que la Révolution ait voulu compenser les désastres causés par les excès de ses fanatiques aux monuments de notre art national, en nous léguant les musées qui n'étaient possibles que par elle. Avant 1789, il existait en France des galeries d'amateurs, il n'existait pas de musées. Les objets d’art n'avaient pour garant de leur conservation que l'intérêt de la propriété ou le plaisir de la jouissance. Le roi lui-même ne possédait des tableaux qu'en sa qualité d'homme le plus riche de France, au même titre qu’il possédait une ménagerie d’animaux rares. C'était affaire de curiosité. Mais on ne songeait pas à l'utilité de conserver des objets d'art dans un but d'enseignement, pas plus qu'à celle d'entretenir des animaux exotiques dans un but d’acclimatation et de reproduction.
L'idée de l’utilité des œuvres d’art, idée conservatrice s’il en fut, est donc une idée révolutionnaire. Le 6 frimaire an VII, Heurtaut de La Neuville demanda au conseil des Cinq-Cents la fondation dans les provinces d'écoles de peinture, de sculpture et d'architecture, ainsi que l’établissement d’un dépôt d'objets d’art auprès de ces écoles. Telle est la première date de l’histoire des musées de province.
Les grandes collections étrangères : M. John W. Wilson (extrait)
Dans son Cache-Cache, Fragonard a plus de vérité, de piquant et de ragoût, sans avoir moins de grâce. Il est vrai que ce Cache-cache est un Fragonard exceptionnel, au titre le plus fin et qui laisse bien loin les minauderies érotiques auxquelles le peintre abandonna son étonnante facilité. Dans une cour, à l'entrée d'une ferme, au milieu d'un fouillis d'accessoires spirituellement traités, un petit bambin presque nu s'essaye à marcher, et, repoussant son frère aîné qui le soutient, cherche sa jeune maman ou sa grande soeur qui se cache en souriant derrière la porte de la métairie.
Le nom glorieux de Véronèse, que saluent aujourd'hui tant de chaleureuses acclamations, n'a pas toujours obtenu en France le même honneur. Il a fallu bien du temps à notre critique, plus volontiers préoccupée, du sens moral des oeuvres d'art que de leur beauté pittoresque, pour entrer dans l'intimité de ce fier génie et comprendre un maître qui, épris avant tout des magnificences de la vie extérieure, paraissait s'inquiéter si peu des conditions littéraires de la peinture, de la vérité historique et même de la pensée ou de l'émotion. Nous aimons fort en France les idées clairement exprimées,nous n'admettons la fantaisie qu'autant qu'elle est raisonnable, et nous demandons de la logique et peut-être un peu de philosophie, même à ces décorateurs vigoureux ou charmants qui font vivre sur les murailles et aux plafonds des palais les lumineuses créations du caprice. Les peintres de Venise, qui ne savaient pas notre goût et qui ne l'eussent point compris, ne se mirent jamais en peine pour satisfaire à ces exigences. Paul Véronèse y songea moins que tout autre. Il était splendide, il avait la puissance et la grâce, il combinait savamment des couleurs et des formes, et, lorsque après avoir, depuis l'aube jusqu'au soir, travaillé aux Noces de Caria ou au Repus chez le Pharisien., il descendait de son atelier pour embrasser sa femme et ses enfants, il croyait naïvement avoir bien employé sa journée, et il s'endormait avec cette sérénité de l'ouvrier qui a fait sa tâche et qui est sûr de l'avoir bien faite.
La saison des ventes s'annonce bien ; pondant les premières vacations qui l'ont inaugurée et en dépit de toutes les circonstances qui semblent si peu favorables à un grand mouvement d'affaires, les prix de vente se sont bien maintenus. Si on les compare à ceux des années qui ont précédé les événements de 1870, on ne verra pas sans quelque étonnement qu'ils ont dépassé souvent ceux des belles époques des ventes de l'hôtel Drouot.
Rembrandt dut à son obscure naissance et à son contact perpétuel avec la réalité, d'entrer dans l'art par la porte la plus sûre, et d'ignorer au début ces conventions qui gâtent si souvent les dons de Dieu. L'observation fut son premier talent. Revenu de chez Pinas au moulin paternel, il commença par étudier sur sa personne toutes les variantes de l'humanité, de même que Vélasquez les étudiait dans le même temps sur son esclave Paréja. Il fit son portrait plus de cinquante fois dans tous les costumes imaginables. Il se peignait aujourd'hui sous le chapeau d'un paysan grossier, demain avec l'élégance d'un gentilhomme, la fine collerette, la toque à plumes d'autre fois en chef de brigands tenant-en main un sabre flamboyant, un oiseau de proie; ou bien au chevalet de l'artiste, dessinant la nature et la pénétrant du regard; le plus souvent nu-tête, dans le désordre de sa chevelure d'un blond ardent, semblable aux rayons ondoyants qui encadrent la figure du soleil. Et il varia les expressions de son visage au moins autant que les ajustements de son habit, de façon qu'il pût y saisir les traits qui décident du caractère d'une tête, ceux qui expriment la douleur, la joie, le contentement de soi-même, la rudesse, la fierté, la moue, le mépris. Mais, dès le commencement, il laissa percer, dans ses croquis les plus simples, quelque chose de personnel, une originalité puissante qui tranchait avec la naïveté des autres maîtres hollandais. A peine eut-il vu la nature qu'il la comprit à peine l'eut-il comprise qu'il y mêla sa fantaisie. Le feu de sa plume la finesse de son pinceau, l'étrange vivacité de sa pointe de graveur, donnèrent à chaque objet un accent imprévu. Son imagination jetant un voile entre la .nature et lui, ennoblit la vulgarité même; ses moindres études portèrent bientôt le cachet du maître, l'empreinte du génie.
Grammaire des arts décoratifs par Charles Blanc (extrait)
Les reines avaient donné l'exemple. Isabelle en Espagne, Catherine de Médicis en France, Catherine d'Aragon en Angleterre, sans. parler de Marie Stuart, pour qui le fil et la soie furent des compagnons de captivité, étaient des ouvrières habiles et très-diligentes qui enseignaient l'art de l'aiguille aux jeunes filles de la cour. Il est même probable que la dentelle fut inventée dans un de ces ateliers où les grandes dames préparaient les triomphes de leur coquetterie et de leur élégance.
La gazette des Beaux-Arts, que nous fondons aujourd'hui, n'eût pas été possible il y quinze ans; elle n'aurait pas eu alors huits cents souscripteurs : maintenant, si elle est faites comme nous le comprenons, elle en peut avoir facilement dix mille.
D'où vient ce changement, et que s'est-il passé dans le monde? Comment s'est formé en si peu de temps cet immense public, si prompt a s'intéresser aux choses d'art? Ce n'est pas, sans doute, que nos organes aient acquis une délicatesse imprévue, que notre esprit se soit tout à coup raffiné la France est depuis longtemps la nation le mieux façonnée à toutes les jouissances du goût; mais, il y a quinze ans, le public regardait ailleurs. Les grands artistes de la tribune, de la politique, de l'histoire, occupaient alors toute la scène, et l'art n'était qu'un agréable intermède dans ce drame émouvant des intelligences en rivalité, en lutte et en'action. Que d'événements, depuis, ont détourné le cours de nos idées!
Vint la paix de 1853, date importante à signaler! L'Angleterre allait donc pouvoir librement mêler sa vie à celle du continent! Comment l'art 'n'aurait-il pas gagné à un de ces grands mouvements qui, rapprochant les peuples, font jaillir de ce contact mille étincelles ? Rome, Paris, Naples, Athènes, Vienne, Dresde, sont, dès ce moment, inondés par des flots d'Anglais; les routes se couvrent de touristes enthousiastes; les artistes qui sont allés chercher l'inspiration au loin, rapportent de la contemplation dés chefs-d'oeuvre étrangers un trésor de souvenirs fécondants et d'idées neuves; la liste des noms illustres s'enrichit d'autres noms; des institutions nouvelles naissent dans toutes les villes principales du Royaume-Uni; des expositions annuelles s'y organisent; des musées et des galeries publiques s'y forment: c'en est fait, fart va se trouver acclimaté parmi les brouillards de la Tamise, de la Tweed et du Shannon.