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Citation de enkidu_


Tandis qu’Adam figure l’unité sous son aspect essentiel et synthétique, Shîth la symbolise en tant qu’elle est à l’origine de la multiplicité des déterminations particulières : il est le « don d’Allâh » fait à Adam, dont procède tout l’ensemble des dons, aussi bien les dons « essentiels » qui confèrent al-wujûd aux êtres différenciés que les dons « provenant des Noms » qui sont à l’origine de cette différenciation ; cette distinction fondamentale ordonne le présent chapitre dans sa totalité. Shîth n’est autre qu’Adam, tout comme la « réalité actuelle » n’est autre que la « Réalité principielle » ; il est le « secret de son père », car cette identité constitue le mystère suprême de sa réalisation initiatique(1). Étant le don principiel dont procèdent tous les dons, il est aussi le « premier esprit » ou « esprit universel » dont procède tous les esprits, le « premier mouvement » (non dans l’ordre physique mais dans l’ordre « logique » et principiel)(2) dont procèdent tous les mouvements ; il représente « le Vivant, l’Immuable » (al-Hayy al-Qayyûm) à l’origine de toute vie.

Ceci explique la fonction cyclique de Shîth, qui comporte un double aspect d’ « ouverture » et de « fermeture ». D’une part, « en sa main est la clé des dons » ; de l’autre, c’est « sur ses traces » que l’humanité adamique est « scellée ». Il ferme ainsi ce qu’il a lui-même ouvert, car il détient le « pouvoir des clés » dans toute sa plénitude. Les deux aspects opposés de ce pouvoir unique reflètent au sein de la manifestation les deux phases de la respiration que le « Souffle du Tout-Miséricordieux » exprime dans l’ordre principiel. La représentation physique de ce « souffle divin » est le mouvement ondulatoire, ce qui confirme la relation spéciale de Shîth avec le symbolisme du serpent, que René Guénon a mise en lumière.

Ces considérations nous ramènent à la signification du terme nafth qui désigne précisément l’acte par lequel le serpent crache son venin quand il mort, et, d’une façon plus générale, toute émission de souffrance accompagnée de salive. C’est à cette signification que se rattache la fonction opérative du souffle dans les incantations, les charmes et les envoûtements. Rappelons que René Guénon a évoqué, à propos du Set égyptien, un aspect bénéfique et un aspect maléfique qui correspondent au double pouvoir de « lier » et de « délier » qui est celui des clés. L’aspect maléfique est illustré dans le Coran par le terme naffâthât qui figure dans l’avant-dernière sourate ; Allâh y ordonne à Son Prophète – sur lui la Grâce unitive et la Paix ! – de prendre refuge contre le mal venant de celles qui soufflent dans les nœuds. L’aspect bénéfique est mentionné dans un hadîth que le Prophète introduit en disant : « L’Esprit de Sainteté a insufflé dans mon cœur ». L’insufflation au moyen du nafth désigne ici un mode de l’Inspiration divine dont l’effet bienfaisant concerne le « centre vital » de l’être, ce qui est en accord avec l’ensemble des aspects initiatiques qui se rapportent à Shîth. Au début de son commentaire, Jandî définit le sens de nafth au point de vue linguistique en évoquant « une modalité du souffle qui consiste en l’envoi d’un flux d’air à partir du point d’émission de la lettre thâ(3) affectée du damma, d’une façon relâchée… Son usage habituel et sa raison d’être résident dans le ‘’remède qui guérit du sortilège’’ : il communique les qualités spirituelles et les répand dans le souffle à partir de ses vertus curatives internes. »

La relation de cette modalité particulière du souffle qu’est le nafth avec la question de l’Inspiration divine est confirmée par une autre formule de « prise de refuge » que le Prophète – sur lui la Grâce et la Paix ! – utilisait au début de la prière rituelle : « Je me réfugie en Allâh contre le Shaytân le Lapidé, contre son souffle (nafkh), son insufflation (nafth) et son incitation mauvaise (hamz) » où le terme nafth est considéré traditionnellement comme une désignation de la poésie. Or celle-ci est loin de présenter uniquement un aspect néfaste ; elle revêtait même, au sein des traditions plus anciennes, une fonction rituelle dont le caractère opératif était précisément lié, comme dans le cas du nafth arabe, à certaines formes d’inspiration : « En latin, les vers étaient appelés carmina, désignation qui se rapportait à leur usage dans l’accomplissement des rites, car le mot carmen est identique au sanscrit Karma, qui soit être pris dans son sens spécial d’ ‘’action rituelle’’ ; et le poète lui-même, interprète de la ‘’langue sacrée » à travers laquelle transparaît le Verbe divin, était vates, mot qui le caractérisait comme doué d’une inspiration en quelque sorte prophétique ».(4) Cette efficacité rituelle de la poésie traditionnelle est attribuée en Islam plutôt à certains vocables ou versets coraniques. On ne s’étonne donc pas de trouver, toujours dans le commentaire de Jandî, un passage où celui-ci déclare, à propos de l’usage incantatoire du nafth, que Shîth est « le premier homme à qui ont été révélées les sciences des ‘’dons traditionnels’’, celles des esprits et des anges qui ont pour fonction particulière de soumettre, d’influencer et de gouverner les êtres au moyen des Noms, des Lettres, des Mots et des Versets. »

La nature véritable des dons conférés par Shîth ne peut être comprise pleinement qu’à la lumière de la doctrine du Centre suprême. En effet, alors qu’Adam est une figure de la Tradition primordiale sous son aspect axial et synthétique, son fils représente la diversité des dons conférés aux prophètes et aux envoyés dans l’ordre ésotérique. Dans une perspective cyclique, ces dons peuvent être identifiés aux « Dépôts » et aux « Mystères » qui sont à l’origine de la constitution des centres spirituels, ainsi que des formes traditionnelles qui en sont issues. A cet égard, on soulignera que Shîth n’est pas seulement le « fils d’Adam » par excellence mais aussi le « maître de sayyidnâ Idrîs », considéré dans le Tassawuf comme le « Pôle des esprits humaines ».(5) Évoquant ce point, René Guénon rappelait que « d’anciens auteurs arabes le désignent par les noms, étranges en apparence, d’Aghatîmûn et d’Adhîmûn ; mais ces noms ne sont visiblement que des déformations du grecs Agathodaymôn, qui, se rapportant au symbolisme du serpent envisagé sous son aspect bénéfique, s’appliquent parfaitement à Seth ». Ces aspect bénéfique est constamment rapproché, dans les écrits de notre maître(6), d’une part de la « face lumineuse » de Metatron dont la signification, selon la Kabbale hébraïque, correspond aussi exactement que possible à celle de Shîth dans l’ésotérisme islamique ; d’autre part, d’un symbolisme solaire et apocalyptique(7) qui se rapporte, quant à lui, à la fonction cyclique finale d’ « Idrîs-Hermès » ainsi qu’à celle des trois Sceaux qui lui est solidaire. Ceci permet de comprendre la raison pour laquelle la doctrine des Sceaux est abordée par le « plus grand des Maîtres » précisément à propos du Verbe de Shîth.

Les indications qui précèdent montrent que celui des trois « fils d’Adam » qui représente le « secret de son père » peut être considéré, par la même, comme le dépositaire par excellence de la Science sacrée. Telle est, selon nous, la signification ultime des « mystères de Shîth » évoqués dans ce chapitre dont la sagesse caractéristique conditionne, ainsi que le conseil donné par Jandî le donne clairement à l’entendre, l’intelligence de toutes celles qui sont inclues dans le Livre des Chatons.

(1) Cette signification métaphysique de la filiation de Shîth est analogue (en dépit de différences fondamentales dans la formulation dogmatique et théologique) à celle du Christ par rapport au « Père ». La parenté entre Jésus et Seth est attestée aussi bien dans l’ésotérisme chrétien que dans le Tasawwuf ; nous aurons l’occasion d’y revenir dans notre commentaire sur le Verbe de ‘Isâ.

(2) Toutefois, le mouvement physique est lui aussi représenté par Seth ; cf. René Guénon, Les conditions de l’existence corporelle dans Mélanges, p. 117 : « Qaïn correspond au temps, Habel… à l’espace, et Seth… au mouvement ». Il précisait : « Seth, ou le mouvement, ne procède pas en lui-même de Qaïn et d’Habel, ou du temps et de l’espace, bien que sa manifestation soit une conséquence de l’action de l’un sur l’autre (en regardant alors l’espace comme passif par rapport au temps) ; mais, comme eux, il naît d’Adam lui-même, c’est-à-dire qu’il procède aussi directement des puissances de l’Homme Universel ».

(3) Cette lettre est présente à la fois dans le vocable nafth et dans le nom Shîth.

(4) R. Guénon, La Langue des Oiseaux, chap. VII des Symboles fondamentaux.

(5) Cf. R. Guénon, Le Tombeau d’Hermès, p. 143 et Formes traditionnelles et cycles cosmiques. A cet aspect se rattache la désignation de Shîth comme « Maître des Feuillets primordiaux » (sâhib as-sahâ’if) que lui donne Nâbulusî. Selon un hadîth, ces Feuillets sont attribués principalement à Adam, à Shîth et à Idrîs.

(6) Cf. Le Roi du Monde, chap. III ; Symboles fondamentaux, chap. XX ; Hermès dans Formes traditionnelles et cycles cosmiques, p. 132 à 137

(7) Évoqué par le nombre 666 dans les deux premiers écrits cités dans la note précédente et par la mention finale de la « Citadelle solaire » dans le troisième. (Charles-André Gilis, pp. 91-95)
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