L.N. Lavolle

J'ai désobéi, mais c'est peut-être heureux, car j'ai appris que nous n'avions plus rien à craindre

Lorsque Bertrand parut, une nuée blanche et lilas tournoya au-dessus de sa tête, poussant des clameurs stridentes pour chasser l'intrus. L'enfant avait presque envie de rebrousser chemin, tant les oiseaux criaient d'indignation en le voyant passer sur leur territoire. Indécis, il regarda mouettes et courlis s'élever en nuages vers le ciel pour s'éloigner au-dessus de la mer comme le panache de fumée d'un bateau. Il était si captivé par le spectacle qu'en se remettant en marche il buta contre une touffe de roseaux des sables protégeant deux oeufs posés à même le sol, dans un petit creux.

Dans la cour attenant au triclinium, des musiciens assemblés accordaient des lyres et des flûtes pour accompagner en sourdine les conversations.
Des parfums intenses, nés de la nuit chaude, arrivaient par bouffées. Brigitte, assise au pied du lit de l’impératrice Eutropie, s’étonna :
— Quel est cet arôme étrange, à la fois si lourd et si doux ?
Les narines de Niké palpitèrent pour mieux humer l’air parvenant du jardin :
— Je sais ! Il provient d’une fleur en forme d’étoile et que l’on dirait sculptée dans la cire. C’est la fleur d’un arbre fruitier. Elle fleurit sans cesse, d’une lune à l’autre. Sévérien aime beaucoup cet arbre, qu’il a rapporté d’Afrique. Il l’appelle oranger.
— La nuit est tout embaumée de son parfum. Il est…, il est inoubliable !

Niké, après quelques minutes d’escalade, abandonna la compétition pour admirer les fleurs sauvages qui diapraient la montagne comme une mosaïque.
…Si elle tressait une guirlande ?
Elle leva vers Nicias, qui continuait l’ascension, son visage lisse comme une olive, ou brillait un regard malicieux :
— Quand tu seras en haut, ne t’envole pas !
Le garçon s’arrêta :
— Tu ne joues plus ?
— Je préfère cueillir des fleurs pour Artémis.
— La statue de la déesse ?
— Oui.
Sur le mont Mangone, giroflées, asphodèles, mauves, géraniums, œillets, marjolaines, absinthes, croissaient à plaisir. L’air surchauffé entêtait comme une cassolette.
Niké, les bras surchargés, pensa :
« Ce n’est pas étonnant que les chiens perdent la trace du gibier quand ils sont en montagne… »
Elle hésita à cueillir les ombelles du sélinon en pensant que la plante sécrétait un suc qui était un poison pour les oiseaux. Or, Artémis trônait dans un bois où chardonnerets, pinsons et serins étaient nombreux. S’ils allaient picorer la guirlande ?
La fillette renonça au léger nuage des ombelles pour lui préférer une touffe de silènes d’un rose d’aurore. La guirlande devenait ravissante.