Joseph n’avait aucun ennemi, alors qui aurait pu vouloir sa mort ? Peut-être un avocat ou un procureur de la couronne, Joseph ayant déjà travaillé pour l’un comme pour l’autre. Ses expertises avaient contribué à la condamnation ou l’acquittement de certains suspects accusés de meurtre. Mais à quel point son intervention avait-elle fait pencher la balance dans l’un des deux camps ? Les diagnostics de Joseph n’étaient qu’un élément de plus parmi des pages de preuves et de témoignages. À lui seul, il ne pouvait certainement pas porter tout le poids d’un jugement sur ses épaules.
C’était un homme discret, d’humeur égale, c’est-à-dire neutre et difficile à cerner. Il n’aimait pas parler de lui, il avait plutôt cette faculté naturelle de faire parler les autres. À la première impression, les gens le jugeaient souvent froid et peu accessible. Déjà, son physique en imposait. Il était grand (1 m 82), avait les cheveux blonds coupés très court, des yeux bleu-gris perçants, et n’avait pas le sourire facile. Non pas qu’il était malheureux ; du moins, il n’avait jamais exprimé de pensées dépressives.
Et s’il ne s’était pas suicidé ? Et s’il s’agissait d’un meurtre maquillé en suicide ? Ça expliquerait pourquoi Philippe n’avait pas laissé de note et qu’il avait fait ça de façon bancale, avec une rallonge électrique ! Peut-être devait-elle le dire à l’inspecteur. Mais au lieu de quoi, elle se contenta de répondre, dans un sanglot : — Je n’en sais rien, inspecteur ! J’en ai aucune idée ! Il ne m’a laissé aucune explication ! Ses larmes étaient réelles. Son désarroi, total.
Il ne s’agissait pas d’un meurtre commis par un professionnel. Par conséquent, le meurtrier devait forcément le connaître. Il avait sûrement laissé des empreintes, des traces d’ADN. Dans les films policiers, il y avait toujours des indices, car le crime parfait n’existait pas. Alors pourquoi l’enquête piétinait-elle à ce point ? Il fallait chercher du côté de ses patients. Sinon, pourquoi son carnet de rendez-- vous aurait-il disparu ?
Ce n’était pas dans la nature de son mari de faire les choses aussi lâchement. Philippe s’était suicidé un vendredi matin, alors que Laure se trouvait chez Sabine avec ses filles. Il s’était pendu avec les moyens du bord. Comme si son geste n’était pas prémédité, mais exécuté sur un coup de tête. Il avait grimpé sur sa chaise, avait déplacé un panneau du plafond suspendu et attaché une rallonge électrique à un tuyau métallique.
La chance lui avait toujours souri. Après ses études en journalisme, il avait travaillé pour un quotidien montréalais dans la section des faits divers, avant de devenir correspondant étranger au Royaume-- Uni. Il avait mis fin à son contrat huit mois plus tard, juste avant la naissance de ses filles. Petit à petit, il avait monté les échelons de l’univers journalistique.
Laure n’était pas du genre à se défoncer avec les médicaments, elle préférait affronter les choses en toute lucidité. Toutefois, ce matin, elle avait avalé un comprimé et demi. Un calmant valait mieux que de s’effondrer en larmes devant tout le monde.
Comment un journaliste réputé, animateur d’une émission de journalisme d’enquête, père de famille et heureux en ménage avait-il pu mettre fin à ses jours ? Il n’avait que quarante-- deux ans, était en parfaite santé, et avait la vie devant lui.
Lorsqu’il revêtait l’uniforme de journaliste, il n’était jamais intimidé devant les caméras. Mais il était incapable de se regarder à l’écran. Physiquement, ses jumelles tenaient de lui. Blondes, yeux bleus perçants, déjà grandes pour leur âge.
Philippe était un journaliste extrêmement rigoureux, proche du zèle, selon elle. Le simple fait de fureter dans ses dossiers sans son consentement relevait presque du crime. Mais maintenant qu’il était mort, c’était une autre histoire.