Sous la vrille bouffie du cou éclatait son visage peint de nerfs, de couches de fruits rouges, de veines cintrées, de tons violacés, étouffés, saturés de peines, où l’on imaginait un passé d’assommoir, d’eau-de-vie, de brûle-gueule ; le visage de Nicole racontait à lui seul les défaites successives, les efforts, la guerre lasse qu’il avait fallu mener pour en arriver jusque-là, c’est-à-dire au même endroit, quatre-vingt-dix ans plus tard ; et pour mieux voir le destin en face, Nicole portait des culs de bouteilles démesurés, à monture épaisse bleu marine qui semblaient, eux aussi, amalgamés à la chair du crâne, aux sourcils, à ses oreilles chagrines ; et derrière le verre, on tombait sur ses yeux éteints, du charbon pillé qui prenait toute la place, à un point tel que lorsqu’elle retirait ses lunettes, un court instant, pour les nettoyer, j’avais l’impression dantesque qu’elle déchaussait son regard pour récurer ses yeux avant de les remettre à leur place.
(p. 95)