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Citation de thepretender


Agnès Boucher
L’objet de ce livre est de mettre en perspective trois destinées féminines assez spécifiques, qui ont connu le mariage et la maternité même si au départ leur vie et leurs aspirations tendaient vers un tout autre but. Les deux premières ont traversé le dix-neuvième siècle ; allemandes et musiciennes, Fanny Mendelssohn Bartholdy et Clara Wieck se sont connues, reconnues et appréciées, de manière certes fugace mais bien réelle ; Alma Schindler est la troisième, qui aurait pu être leur petite fille viennoise et mettre en œuvre ce que ces deux annonciatrices n’avaient pu mener à terme. Le paradoxe veut qu’elle soit sans doute celle qui s’est le moins réalisée par elle-même.

Ce sont trois portraits de vie : ces femmes ne sont pas comme les autres, riches de talents plus ou moins féconds. Cependant, elles paraissent ne pouvoir échapper à la confrontation avec leur époque, et dans le même temps semblent ne jamais être tout à fait à leur place, quoi qu'elles fassent. Ce livre est le récit imparfait de leurs réactions - ou absence de réaction ! -, de leur soumission, de leur stratégie, de leur rébellion aussi face aux apriorismes, aux idées reçues, face aux hommes enfin, pétris de leurs croyances et de leurs peurs, et face à la société arbitraire qu’ils ont conçu.
Toutes trois aspiraient à être compositrices et en ont été peu ou prou empêchées.
(...)
Il existe au moins trois liens entre Fanny Mendelssohn Bartholdy, Clara Wieck et Alma Schindler. Le premier réside dans leur nom ; seule la première l’a reçu de naissance sans que le perdre à son mariage ne la libère de la tutelle excessive de son père, puis de son frère. La seconde s’en est fait un, celui de son père, en même temps qu’un prénom en tant que « fille de », et a renouvelé le processus en épousant son génial Saxon. Nous verrons comment la dernière a su user – voire abuser – du patronyme fameux que lui a laissé son premier époux, dans une quête effrénée, permanente et même quasi pathologique, de reconnaissance et de gloire.

Leur second point commun est la musique, l’amour de cet art, que l'on a exigé pour chacune de transformer en passe-temps, voire en « support » pour soutenir et accompagner le génie masculin à s’épanouir. Seule Clara Wieck ne céda que brièvement devant son époux.

Le troisième lien - et sans doute pas le dernier -, est d’avoir voulu non seulement vivre mais avant tout exister aux côtés d’un génie, dans une société profondément paternaliste, phallocrate et conservatrice, et de n’être parvenue qu’à survivre dans son ombre envahissante. Une nouvelle fois Clara Wieck est une forme de contre-exemple. Veuve très jeune - une chance ? -, elle put continuer de se révéler dans toute sa magnificence de pianiste virtuose pendant plus de quarante ans ; mais par loyauté vis-à-vis de l’homme aimé et trop tôt perdu, elle s’est d’elle-même interdite toute velléité de composer.
(...)
En effet, on ne peut dissocier Fanny Mendelssohn Bartholdy de son frère Félix, Clara Wieck de Robert Schumann, et Alma Schindler de Gustav Mahler. Le souvenir des trois femmes a survécu jusqu’à ce jour en grande partie parce que leur destin s’est trouvé lié à des compositeurs hors du commun ; et même si Alma Schindler a croisé d’autres monstres tels Gustav Klimt, Oskar Kokoschka ou Walter Gropius, c’est avant tout par Gustav Mahler qu’elle est identifiée comme « la » muse par excellence.
(...)
À aucun moment, je ne veux considérer ces trois hommes - voire quatre si on inclut Johannes Brahms contre lequel Clara Wieck dut également batailler, même si de manière moindre - comme coupables, si ce n’est de leur temps et des siècles de préjugés sexistes que leur éducation charriait. Pas davantage je ne remets en cause la portée de leur œuvre : ils ont, chacun à leur manière, marqué leur époque et enrichi la musique d’une créativité novatrice exceptionnelle, devenant - notamment pour Robert Schumann et Gustav Mahler -, source d’inspiration pour leurs héritiers. J’ai plutôt voulu comprendre la nature et les motifs de leurs conduites respectives en regard des femmes qu’ils aimaient mais qu’ils ont cherché malgré tout à dominer, volontairement ou non. Leurs attitudes sont notablement différentes, mais les raisons qui les ont motivés semblent assez similaires, avec notamment un amour immodéré des convenances sociales et un esprit petit bourgeois, assez indignes d’eux et de leurs talents. Leur part de responsabilité est fluctuante suivant leur histoire et leur personnalité.
(...)
Paradoxalement, ce sera peut-être Fanny Mendelssohn Bartholdy qui restera dans la mémoire collective de manière la plus tangible à mesure que renaît de ses cendres une vraie reconnaissance pour ce qu’elle a fait et été. Rendons ici hommage aux interprètes qui la redécouvrent et la révèlent dans toute sa dimension de compositrice.
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