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Biographie :

Alain Campiotti est journaliste, au Nouveau Quotidien et au Temps dès leur création, correspondant en Chine et aux États-Unis. En 2013 avait paru Fontaine Blanche, sorte de confession autobiographique écrite avec sa femme, Myriam Meuwly, et deux ans plus tard La Rue Longue, un roman chinois.

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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Ils sont venus juste après deux heures du matin. Ils lui ont dit en la repoussant dans la chambre de cesser de poser des questions et d'attendre, assise, la fin de la perquisition. Ça n'a pas duré longtemps, elle n'avait que sa valise, ouverte sur la commode. Dans la voiture ils lui ont de nouveau ordonné de se taire et ils lui ont passé une capuche sur sa tête. L'avenue vers l'ouest, un virage à droite, puis à gauche, à droite encore… Elle a vite perdu le fil. Le véhicule avançait au pas quand la rumeur de la ville s'est tue d'un coup. Une cour intérieure. Ils l'ont prise par les bras, ils la portaient presque dans le couloir. Ils ont retiré la capuche, et une femme qui les suivait a jeté une couverture sur le châlit contre le mur.
Elle n'est pas sortie de la cellule les trois premiers jours. La fenêtre face à la porte est minuscule, haut perchée. Le jour est obscur, la nuit illuminée par l'ampoule du plafond. De la soupe claire et du pain. Elle a faim. Chaque fois que le guichet s'ouvre, elle doit se lever face à la porte. Elle a fini par reconnaître ses gardiens à leurs yeux. Ils ne répondent à aucune de ses questions, sauf quand elle a demandé si elle pourrait prendre une douche.
« Après.» Le deuxième jour, elle a commencé à faire des exercices, des flexions des jambes, des bras, par terre, contre le mur. Tout deviendra clair quand elle pourra parler.
La nuit était tombée depuis longtemps quand deux gardes l'ont emmenée par le couloir et dans l'escalier. L'officier qui la regardait approcher dans une pièce rectangulaire est resté assis jusqu'au moment où les deux hommes ont refermé la porte en sortant. Il était en chemise en chemise, la veste de son uniforme sur le dossier de la chaise. Il s'est levé, il a pris le tabouret contre le mur, sous les portraits de Lénine et Staline, il l'a posé de l'autre côté de la table et lui a dit de s'assoir. Il a dit son nom, elle a retenu « Igor ».
« Comment dois-je t'appeler ? Pascal ou Lydia ? »
Elle n'a pas répondu, puis elle a dit que rien ne justifiait sa détention et qu'elle attendait depuis une semaine de pouvoir parler de ce qu'elle avait fait en quinze ans pour le parti, en Suisse, à Moscou, à Paris dans les conditions les plus difficiles, et qu'on lui rende justice. Le son de sa voix montait à mesure que sortaient les mots.
« Tais-toi ! Attends que je te pose des questions.»
Il a repris sa place derrière la table, ouvert le dossier, tourné les pages sans rien dire. Il a sorti la feuille qu'il cherchait et l'a posée sous les yeux de Lydia. « Lis !» Elle a lu : « Les anciens collaborateurs du centre OMS de Paris, Karl Brichmann (Gartl) et Pascal (alias Dübi) sont rayés de la liste du personnel depuis le 5 août. Ils ont été arrêtés par les organes du NKVD comme ennemis du peuple.» C'était signé « Anvelt ».
« On va commencer par là. Lève-toi ! Ne bouge pas. »

Il faisait jour quand Igor a appelé les gardes. Il venait de l'autoriser à s'assoir sur le tabouret.
« Réfléchis. Tu t'épuise à nier les faits. Je sais exactement ce que tu caches. Nous en reparlerons ce soir. »
Quand elle a voulu se lever, ses genoux se sont dérobés. Elle est tombée sur le côté.
« Je te l'ai dit : tu t'épuise !»
Deux gardes l'ont prise sous les aisselles. Dans l'escalier, ses pieds heurtaient les marches. En haut, ils ont fait une pose pour voir si elle gardait l'équilibre. Dans le couloir vide, elle a pu avancer en boitillant, soutenue des deux côtés. La porte de la cellule était déjà ouverte. Ils l'ont lâchée sur le lit.
« Tu peux t'assoir. Mais ne dors pas ! »
Elle a appuyé son dos contre le mur.
Les cris l'ont réveillée.
« On ne peut pas te faire confiance cinq minutes ! Tu ne dois pas dormir ! Lève-toi ! »
Elle s'est laissé tomber sur le bord du lit dès que la porte s'est refermée.

Ce devait être octobre. Il commençait à faire froid, même le jour. Pour la première fois, ils ne lui ont pas dit de rester éveillée. La douleur l'empêchait de dormir. Elle a ramené l'un après l'autre ses genoux sur la poitrine, s'aidant d'une main et enlevant la chaussette de l'autre. La laine était collée par le sang à la plante des pieds. Ça faisait affreusement mal. Elle est restée allongée, les yeux ouverts.
Tout est faux.
( . . . )
Tout est absurde.
Elle répétait chaque fois « C'est faux ! ». Et chaque fois ils recommençaient à frapper.

Ce devait être octobre. Maintenant, l'eau qu'elle boit le matin en rentrant dans la cellule est glacée. La faim, le froid, l'épuisement donnent envie de tout lâcher. Le guichet claque si souvent qu'elle imagine le garde en permanence derrière la porte.
( . . . )
Elle sait maintenant pourquoi il y a cette musique de Verdi dans les rues : la préparation du vingtième anniversaire de la révolution. « Qui oserait encore s'opposer à la marche triomphale vers le socialisme ? », lui a demandé le nouvel interrogateur. « La vie est meilleure, la vie est plus joyeuse ! » Quand les gardes l'ont descendue ce matin, il lui a annoncé en ouvrant la porte qu'elle avait de la visite. Une femme était assise, lui tournant le dos, face aux portraits, mais Lydia a compris tout de suite. Ils ont placé sa chaise à côté du tabouret, et leur regard se sont croisés. Berta portait une veste de drap boutonnée sous le coup et une longue jupe noire. Elle était amaigrie, ses cheveux étaient plus courts, elle avait un pansement à la commissure des lèvres.
Depuis une semaine, l'officier interrogeait Lydia sur ses relations avec les Platten, en Suisse et à Moscou. Il affirmait que Berta l'avait mise en cause pour le Club allemand, pour les messages dissimulés échangés entre le Poste 20 et la Mokhovaä, pour les affaires polonaises. « Au bout de six jours, nous savions tout ! »
Lydia avait répondu encore une fois, qu'elle ne le croyait pas. Berta était obéissante et fragile, et elle n'avait pas de peine à imaginer comment ils s'y étaient pris pour obtenir sa signature sous leurs mensonges.
Le nouvel interrogateur l'avait giflée.
Le lendemain, il lui avait montré un message signé de la main de Fritz Platten, daté du 4 juin et adressé au secrétaire de sa cellule dans le parti : « Chers camarades, je dois vous informer que le NKVD a effectué une perquisition dans mon appartement tôt ce matin. Ma femme, que j'ai épousée il y a 13 ans, a été arrêtée. J'ignore les motifs de son arrestation. »
Elle lui avait rendu le billet sans rien dire.
« Qu'est-ce que tu penses d'un mari qui écrit une chose pareille au moment où sa femme est arrêtée ? Ça crève les yeux ! Il sait qu'elle est coupable, et il l'est aussi ! »

Lydia s'est penchée en avant, elle a mis la main sur le bras de Berta.
« Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? »
L'interrogateur l'a saisie par le poignet et l'a repoussée.
« Pas de sentimentalité. Reste à ta place ! »
Il est allé s'assoir derrière la table.
« Puisque tu refuses de croire ce qui est écrit et signé, je l'ai fait venir pour que tu l'apprennes par sa voix. Parle ! Dis-lui ! »
Berta a baissé les yeux vers le sol et ses mains croisées sur les genoux. Elle n'a rien dit. L'officier s'est levé. Il a marché vers la porte et a fait entrer deux gardes, puis il est revenu à la table.
« Alors ? Alors? »
Sans lever les yeux, Berta a parlé en allemand.
« Lydia, tu dois dire ce que tu sais. Ils savent. »

Après le fiasco de la confrontation, ils l'ont ramenée dans sa cellule, sans la chaise, la portant comme un paquet. Le soir, ils sont venus à quatre pour la chercher. En bas, ils ne sont pas entrés dans la salle d'interrogatoire. Ils l'ont conduite plus loin dans le couloir, dans une pièce plus grande. Trois hommes en uniforme étaient assis derrière une longue table devant laquelle les gardes se sont arrêtés. Deux d'entre eux la tenaient par les bras. L'officier du milieu a commencé à lire le texte posé devant lui. « Le collège militaire du tribunal suprême de l'URSS contre Lydia Dübi, dite Pascal. »
L'interrogateur était assis avec d'autres contre le mur, à la gauche des juges. Il s'est levé sans attendre la fin de la lecture. Au fond du couloir, il est entré dans les toilettes. Quand il en est sorti, il n'est pas retourné dans la salle d'audience. Il a pris l'escalier et il s'est fait ouvrir la porte de la cour. « J'ai besoin d'un peu d'air. » Le froid était intense. Le garde est resté derrière la porte vitrée, sachant bien que la promenade ne serait pas longue.
Le téléphone sonnait quand l'interrogateur a ouvert la porte de son bureau. Il a ôté sa casquette.
« Oui ?… Comment s'est-elle comportée ?… Elle a dit autre chose ?… Bien. Je vais le faire. »
Il s'est assis et a ouvert le dossier à la dernière page qui ne contenait que deux pages dactylographiées : « Lydia Dübi (Pascal) a été condamnée à la peine capitale. Elle a été exécutée. » Il a ajouté à la main : « Le 3 novembre 1937, 02h 30 ». Et il a signé.
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